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C'est le bouquet !

C'est le bouquet !

« C'est au sortir de la Seconde Guerre Mondiale que Grasset songe à une édition des Œuvres Complètes de François Mauriac. L'entreprise fleurissante des années 20 et 30 est alors au plus mal [...]. »
(Nouveaux Cahiers François Mauriac, sous la direction de Philippe Baudorre et Caroline Casseville)

François Mauriac (photo Wikipédia sous licence GFDL par Studio Harcourt) 



FlècheCe que j'en pense

Avouons-le d'emblée : dans cette affaire, la langue nous joue un vilain tour. Voici deux adjectifs verbaux, fleurissant et florissant, le premier formé à partir de fleurir, le second à partir de florir. Rien que de très logique sous le soleil − ou, plus opportunément, à l'ombre des jeunes filles en fleurs. Sauf qu'il ne s'agit pas à proprement parler de deux verbes différents... mais de deux formes d'un même verbe, fleurir ne devant le jour qu'à une réfection, au XIIIe siècle, de l'ancien français florir (*), lui-même emprunté du latin florire (« être en fleur ») ! Ledit verbe a, du reste, conservé le souvenir de ce phénomène dans sa conjugaison, régulière mais à alternance.

Quand il signifie au propre « produire des fleurs », « être en fleur », « orner de fleurs » ou quand il prend le sens figuré de « s'épanouir comme un fleur », fleurir se conjugue à toutes les formes sur le radical fleur-, notamment à l'imparfait de l'indicatif (fleurissait) et au participe présent (fleurissant) : Les arbres fleurissaient. Voyez ces lilas fleurissant dans le jardin. Il fleurissait sa boutonnière, son style. Sur ses lèvres fleurissait un sourire amusé.

Mais quand il signifie au figuré « prospérer, être en honneur », le bougre marche à l'occasion sur les plates-bandes de florir, en lui empruntant les formes florissait à l'imparfait de l'indicatif, florissant au participe présent (éventuellement adjectivé), voire, dans un style très littéraire, florir à l'infinitif et flori au participe passé (en dehors de ces cas, c'est le radical fleur- qui prévaut) : Un pays, un commerce, un teint florissant. En ce temps-là, le style gothique florissait dans le nord de la France.

Faut-il être vicieux pour maintenir artificiellement une double conjugaison en fonction du sens ! Car, vous l'aurez compris, ces subtilités fleurent l'arbitraire le plus pur, au point que nombreux furent les écrivains qui les ignorèrent sans état d'âme : Bossuet (« Un royaume florissant », mais « La réputation toujours fleurissante de ses écrits »), Voltaire (« Cette florissante armée », mais « Cet ordre respecté [les dominicains] fleurissait dans la France »), Balzac (« Au temps où les arts et la licence florissaient », mais « Il est certain que les affaires ne sauraient être plus fleurissantes »), Anatole France (« Dans [cette] ville florissait jadis un monastère », mais « Ce style roman qui fleurissait encore en Aquitaine au XIIe siècle »).

Pour autant, Grevisse, qui compte parmi la fine fleur des spécialistes de la langue, constate que le radical fleur- est très rare pour le sens « prospérer », notamment au participe présent (comme forme verbale ou comme adjectif). Littré et l'Académie se font plus catégoriques : « Fleurissant se dit au propre et florissant au figuré » (Dictionnaire de Littré, à l'article « fleurissant ») ; « Qui pousse des fleurs, qui est fleuri [...]. Au figuré, on dit florissant » (huitième édition du Dictionnaire de l'Académie, à l'article « fleurissant »).

De là à ce que Grasset me jette des fleurs pour avoir débusqué la coquille...


(*) « Chantent oisel et florissent verger » (Raoul de Coucy, XIIe siècle), « Qui est cist [celui] En cui si granz biautez florist ? » (Chrétien de Troyes, XIIe siècle).


Remarque : Floraison se dit, plus couramment que fleuraison, au propre comme au figuré.

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


L'entreprise florissante.

 

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B
Bravo encore pour votre site.<br />  <br />
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