« À la Mission locale [de Wattrelos-Leers], on travaille sur les savoirs-faire et le savoir être !" »
(Myriam Zenini, sur lavoixdunord.fr, le 3 juillet 2017)
Ce que j'en pense
Sans doute notre journaliste serait-elle bien inspirée d'y travailler aussi son orthographe. Car enfin, je ne sache pas que les composés de savoir puissent s'écrire autrement, de nos jours, qu'avec un trait d'union, qu'il s'agisse de savoir-faire (« habileté à résoudre les problèmes pratiques ; compétence dans l'exercice d'une activité », attesté dès la seconde moitié du XVIIe siècle), de savoir-être (néologisme formé au milieu des années 1960 sur le même modèle pour désigner des caractéristiques de personnalité), de savoir-vivre (« qualité d'une personne qui connaît et sait appliquer les règles de la politesse, les usages de la vie en société ») ou de quelques autres fantaisies verbales créées pour l'occasion (savoir-aimer, savoir-bâtir, savoir-décliner, savoir-dire, savoir-écrire, savoir-lire, savoir-manger, savoir-mourir, savoir-peindre, savoir-rire, faire-savoir, d'après ce que croit savoir le TLFi).
Surtout, on s'avisera que lesdits noms masculins, formés à partir d'infinitifs non substantivés, restent invariables, à l'instar de ces exemples trouvés sous des plumes qui savent y faire : « Il résulta de ces petits savoir-faire cette apparence de succès qui trompe la jeunesse » (Balzac), « Les beaux-arts et la poésie [sont] des savoir-faire dédaliens, où n'atteint pas le grand nombre » (Sainte-Beuve), « Il me suffit d'apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tous leurs savoir-vivre » (Camus). À dire vrai, l'emploi de ces mots au pluriel est plutôt rare dans la langue ordinaire (*) : Il a du savoir-faire. Il devrait acquérir un peu de savoir-vivre. Mais il se répand dans le jargon des ressources humaines et de la pédagogie : développer des savoir-faire spécifiques, « On liste d'abord les savoir-faire pour en déduire les savoirs requis ainsi que les savoir-être adéquats » (Sabine Wojtas, Les Ressources humaines pour les nuls).
Qui sait, à ce rythme-là, je ne serais pas outre mesure surpris de voir fleurir sur la Toile des savoirs(-)faires et des savoirs(-)êtres de curieuse facture.
Pourquoi diable ai-je voulu en avoir le cœur net ? Allez savoir...
(*) Girodet (comme Thomas) va jusqu'à écrire que savoir-faire et savoir-vivre sont « inusité[s] au pluriel ».
Remarque : On ne sait trop pourquoi Bouhours condamna en son temps le nouveau-né savoir-faire : « Quoique ce terme exprime assez bien, les personnes qui parlent le mieux ne peuvent s'y accoutumer ; il n'y a pas d'apparence qu'il subsiste, et je ne sais même s'il n'est point déjà passé ; aussi est-il très irrégulier, et même contre le génie de notre langue, qui n'a point de pareils substantifs » (Les Entretiens d'Aristide et d'Eugène, 1671). L'usage ne lui a pas donné raison.
Ce qu'il conviendrait de dire
Le(s) savoir-faire et le savoir-être.