« "Que ce soit clair, je n'ai pas envie d'avoir à faire au monde politique, qui me procure un ennui mortel", assure-t-il » (à propos de Nicolas Sarkozy, photo ci-contre).
(Marion Brunet, sur lefigaro.fr, le 6 mars 2013)
(photo Wikipédia sous licence GFDL par EPP)
Ce que j'en pense
Sans doute l'ancien président de la République, connu pour son dynamisme, a-t-il toujours fort à faire. Mais en l'occurrence, c'est plutôt d'affaires qu'il est ici question. Pas tant celles liées à Liliane Bettencourt, comme le prétendent les mauvaises langues, que celle rencontrée dans l'expression avoir affaire (sans s final à affaire).
Bien sûr, Hanse laisse planer un doute en écrivant : « On a affaire (beaucoup plus rarement à faire [1]) à quelqu'un, à quelque chose » – après tout, une affaire ne désigne-t-elle pas étymologiquement ce qui est à faire ? Mais c'est pour aussitôt préciser que, « dans l'usage [moderne], affaire l'emporte nettement et est à conseiller, sauf si le sens "faire quelque chose" apparaît clairement ». Pour l'Office québécois de la langue française, l'affaire est entendue : « Bien que les deux graphies aient longtemps été possibles [2], la graphie avoir affaire est maintenant celle qui prévaut. »
Mieux vaut donc s'en tenir à la recommandation suivante : on a à faire quelque chose (ses devoirs, une démarche, un travail, etc.), au sens de « être obligé de faire quelque chose, devoir s'acquitter d'une obligation » ; mais on a affaire à (plus souvent que avec [3]) quelqu'un ou quelque chose (à une plaisanterie, à une difficulté, à un complot, à une menace, etc.), au sens de « avoir à traiter, à discuter, à se mettre en rapport avec (quelqu'un) ; avoir quelque différend avec (quelqu'un) ; se trouver en présence de, être confronté à (quelque chose) ».
Le premier qui dit qu'il n'en a rien à faire... aura affaire à moi !
(1) Pas si rarement que ça, rétorque Grevisse, exemples à l'appui : « Il faut qu'il ait à faire à quelque vainqueur » (Sainte-Beuve ; mais c'est la graphie affaire qui figure dans l'édition de 1848 du troisième tome de Port-Royal, d'abord paru sous forme d'articles de presse − de quoi donner raison à Girault-Duvivier, qui soutenait mordicus que « si l'on trouve quelquefois avoir à faire, c'est une irrégularité qu'il ne faut pas imiter, et qui provient le plus souvent de la négligence des imprimeurs ou des éditeurs » !), « Ils ont à faire à des chiens » (Paul Morand, 1926), « On a à faire à des fonctionnaires » (Daniel-Rops, 1928), « M. de Rebours, à qui il eut d'abord à faire » (Mauriac, 1931). Citons encore, au risque de procurer au lecteur un ennui mortel : « J'aime mieux avoir à faire à vous » (Stendhal, 1835), « On a à faire à une expression de la nature humaine » (Sartre, 1946), « Nous avons à faire à une crise de la critique » (Ionesco, 1971).
(2) En ancien français, af(f)aire apparaît souvent comme une simple variante graphique (agglutinée) de à faire : « Le royaume de France avoit moult affaire en son temps » (Jean Froissart, avant 1400), « Tout ce que j'auray affaire » (Jean de Bueil, 1466). De là l'hésitation formelle qui caractérise notre affaire, quand bien même la logique porte à croire que l'on a écrit avoir à faire avant avoir affaire : « Mais onc o tei a faire n'oi » (Le Roman de Thèbes, vers 1150), « Et a faire avoit a tel gent » (traduction anonyme de la Disciplina clericalis de Pierre Alphonse, XIIIe siècle), « A quel seignor afaire avoies » (Le Roman de la Rose, XIIIe siècle), « Tous ceulx qui avoient affaire à luy » (Jean de Joinville, 1306), « Ceulx a qui ilz avoient a faire » (Le Roman de Perceforest, vers 1340 ?), « Ot devant vous a faire a prinche ou a bourgois » (Li Bastars de Buillon, XIVe siècle), « Se monstrant plus traittable a ceulx qui avoient a faire a luy » (Jacques Amyot, 1559). La locution figure sous les deux graphies, et sans différence de sens appréciable, dans l'édition de 1656 des Curiosités françoises d'Antoine Oudin : « A qui pensez vous avoir affaire [à faire dans l'édition de 1640] », « Avoir à faire à une personne », puis dans les premières éditions (1694-1762) du Dictionnaire de l'Académie : « On dit, Avoir affaire à quelqu'un, avec quelqu'un, pour dire, Avoir à luy parler, avoir à traiter, à negocier avec luy de quelque chose » (à l'article « affaire »), « On dit Avoir à faire à quelqu'un, avec quelqu'un, pour dire, Avoir à luy parler, à l'entretenir de quelque chose, à traiter de quelque chose avec luy » (à l'article « faire »). Mais voilà : en 1787, l'abbé Féraud décrète toutes affaires cessantes que « coupe[r] affaire en deux est contre l'usage » ; c'en sera fini de la variante avoir à faire à, avec dans les éditions à venir du Dictionnaire de l'Académie. À l'inverse, la graphie avoir affaire de, attestée depuis le XIIe siècle au sens de « avoir besoin de » mais déjà contestée au XVIIIe siècle (« Bien des gens confondent avoir à faire et avoir affaire. On devroit les distinguer en disant j'ai affaire à vous et j'ai à faire de vous », Dictionnaire de Trévoux, édition de 1732), y est désormais donnée pour vieillie : « Qu'avons-nous affaire de ces querelles ? (On écrit plutôt Avoir à faire de) » (article « affaire » de la neuvième édition dudit Dictionnaire). C'est que, analyse Kristian Sandfeld, que dans ce dernier exemple suppose le verbe faire, dont il est en réalité le complément d'objet direct !
(3) Grevisse reconnaît qu'il est difficile de distinguer nettement ces deux constructions : « Comme Littré le fait observer, la seule distinction réelle entre avoir affaire à et avoir affaire avec, c'est que à est plus général ; on a affaire à quelqu'un pour toutes sortes de choses ; on a affaire avec quelqu'un pour traiter avec lui, et en raison d'une certaine réciprocité, qui n'est pas impliquée par à. » De son côté, Girodet, à la suite de Laveaux et de Bescherelle, considère que avoir affaire à « souligne le rapport de subordonné à supérieur », quand avoir affaire avec « implique une relation sur un pied d'égalité et une idée de transaction, de négociation ». Tout cela paraît un peu subtil. Aussi ne s'étonnera-t-on pas que ces deux tours se trouvent souvent confondus dans l'usage, au détriment du second, jugé vieilli.
Remarque 1 : Il est à noter que le Dictionnaire de l'Académie ne donne aucun exemple de avoir affaire à (ou avec) suivi d'un nom de chose. Cette construction est pourtant attestée de longue date (seulement avec à ?), sous des plumes averties, voire académiciennes : « Mais il avoit affaire a un accident reparable » (Montaigne, 1587), « Dans cette seconde moitié de sa carrière où il eut affaire à un milieu de société décidément modifié, à certains goûts littéraires » (Sainte-Beuve, 1845), « La première fois qu'il eut affaire à un bateau de la marine nouvelle » (Ernest Lavisse, 1893), « Aussi ai-je affaire continuellement à ces petites taquineries de la médiocrité » (Jacques Rivière, 1906), « Nous aurions certainement affaire à bien des confusions » (Émile Henriot, 1946), « Nous avons affaire à deux conceptions [...] distinctes » (Jean-Marie Rouart, 2004).
Remarque 2 : Le sens exige d'écrire :
Ce qu'il conviendrait de dire
Je n'ai pas envie d'avoir affaire au monde politique.