Voilà une expression qui a le vent en poupe, un tic de langage à la mode qui fait florès dans les bars comme dans les salons, en dépit de l'indéniable lourdeur de son tour pléonastique.
Que lui vaut son succès actuel ? Son emphase supposée renforcer l'actualité de l'idée exprimée ? Ou la délicieuse suffisance que sa formulation semble procurer à certains ?... Autrefois réservé au registre ironique, ce pléonasme volontaire se répand aujourd'hui dans le langage courant comme une marque illusoire de style soutenu et jusque chez de bons auteurs (George Sand en tête). Au point de susciter chez d'autres un agacement (et c'est un euphémisme) à la hauteur de son incompréhensible popularité.
Au jour d'aujourd'hui, double pléonasme
Déjà, la formation de l'adverbe aujourd'hui (contraction de à le jour d'hui) avait de quoi faire grincer des dents. Hui signifiant à lui seul « le jour présent » (du latin hodie, en ce jour), aujourd'hui constitue un pléonasme en soi (« au jour de ce jour »), à la lourdeur certes critiquable mais qui est entré dans la langue comme un mot à part entière depuis le XIIIe siècle. Un pléonasme « admis », donc, par oubli de son étymologie.
Mais que dire de la locution au jour d'aujourd'hui, qui ajoute une troisième couche à un mille-feuille déjà bien indigeste ? Sinon qu'il s'agit d'un « pléonasme populaire et fort peu recommandable » (Littré), que l'on remplacera plus légèrement par aujourd'hui, actuellement ou à ce jour.
Foin de la surenchère verbale, donc ! Car à force de se gargariser de ces constructions artificielles, pompeuses et souvent ridicules, on finirait par voir fleurir des « au jour d'hier (ou de demain) » comme des « à l'heure de cette heure »...
Pour autant, comme le concède le même Littré, cette locution tant décriée peut parfois être utilisée à bon escient, sans relever de la redondance fortuite, de la surcharge sémantique ou de l'excès de zèle. Ainsi chez Lamartine : « L'univers est à lui [Dieu], Et nous n'avons à nous que le jour d'aujourd'hui ! » (= que le jour qu'est aujourd'hui). Et chez Maurice Genevoix : « Une riche plaine bien de chez nous, aussi belle qu’au jour d’aujourd’hui. »
Pour l'Académie, pour une fois bien conciliante, « l’essentiel est de n’en pas abuser, mais en elle-même, cette tournure n’est pas incorrecte ».
Quitte à vouloir insister sur l'idée du moment présent, pourquoi ne pas plutôt recourir à l'expression « au jour actuel » comme on dit « à l'heure actuelle » (au lieu de cet invraisemblable « à l'heure d'aujourd'hui » qui se propage sur la Toile) ?...
Jusqu'(à) aujourd'hui
Pour les mêmes raisons, certains grammairiens condamnent la locution jusqu'à aujourd'hui sous le prétexte que la préposition à est déjà dans aujourd'hui. S'il est évidemment plus correct, grammaticalement parlant, de dire jusqu'aujourd'hui, l'Académie admet les deux formes sans distinction.
Définitions
Pléonasme : répétition inutile de mots ayant le même sens.
Pléonastique : qui relève du pléonasme.
Remarque : On lit dans le Grand Larousse du XIXe siècle (1864) : « Cet adverbe, composé de cinq mots, à le jour de hui, est peut‐être l'exemple le plus frappant du principe d'agglutination suivant lequel se sont formés un grand nombre de mots de notre langue. […] Hui était évidemment suffisant pour rendre l'idée exprimée par le latin hodie ; mais, par une de ces redondances si fréquentes dans notre ancienne langue, on ajouta à cet adverbe les mots au jour de, et l'on eut au jour de hui, aujourd'hui. Et ce pléonasme ne suffisant pas encore au peuple, il dit au jour d'aujourd'hui [...]. Voilà comment nous rendons, par une accumulation de mots, une idée que nos pères exprimaient par un monosyllabe : "E s'il sunt hui mauvais, il seront demain pire" (Rutebeuf, XIIIe siècle). Qu'on vienne donc nous dire maintenant que le progrès consiste à simplifier. »
Affiche d'un spectacle de la Compagnie Au jour d'aujourd'hui