Attention, locution suspecte ! Condamnée par l'Académie comme « grammaticalement fautive », présentée comme « familière » dans le Petit Robert (1), l'expression au final est pourtant fréquemment employée, tant à l'écrit qu'à l'oral, comme synonyme de finalement. Que lui reproche-t-on, au juste ? De faire de l'adjectif final un nom : au n'est-il pas la contraction de à le ? nous explique-t-on le nez plissé. Le masculin attendu excluant le substantif féminin finale (« dernière épreuve d'une compétition sportive », « dernière syllabe d'un mot »), l'homme de goût passera son chemin. Point final.
L'argument est de poids, assurément, mais ne saurait donner la mesure : les fines bouches font-elles autant de cas de l'expression en définitive, dûment consignée dans le Dictionnaire de l'Académie ? Si l'on accepte cette dernière locution mise pour « en sentence définitive », pourquoi refuser au final, que l'on peut voir comme une ellipse de « au temps final, au moment final » ? Deux poids, deux mesures, avouez que c'est agaçant, à la fin ! D'autant que, soit dit en passant et n'en déplaise aux grincheux, l'emploi substantivé de final est attesté (au sens de « finalité », si l'on en croit le Dictionnaire du moyen français) depuis... la fin du XIVe siècle, notamment en anglo-normand : « N'est qui d'amour poet dire le final » (John Gower, vers 1390), « PARIS. Dieu fault de tout louer... PEUPLE. Ce est le principal. PARIS. ... et pardon demander. PEUPLE. Cela est le final » (Moralité d'Excellence, Science, Paris et Peuple, vers 1465) (2). De là : « Dont au final nuls est joyant », « Et si n'en guarist au final » (John Gower, avant 1379) ; « Mays au finale nepurtant il n'en poiat du dit Conseil ascun socour avoir » (Rotuli Parliamentorum, 1377).
Mais c'est surtout dans son acception musicale que finale (et sa variante orthographique sans e... final), emprunté au XVIIIe siècle de l'italien finale, s'est imposé comme substantif masculin pour désigner la dernière partie d'une œuvre de musique, d'un acte d'opéra (le finale de la neuvième symphonie de Beethoven). Partant, il était écrit que le syntagme prépositionnel au final(e) finirait par se rencontrer dans la littérature musicale, comme en témoignent ces deux exemples :
« [Le compositeur italien] Piccinni eut l'heureuse idée de les [= divers motifs musicaux] annoncer aussi par des changements de mouvements et de mesure, donnant, par ce moyen, au final, moins d'uniformité et plus de développement et d'étendue » (Biographie nouvelle des contemporains, 1824).
« Il est bon dans une symphonie même pastorale de faire revenir de temps en temps le motif principal, gracieux, tendre ou terrible, pour enfin le faire tonner au finale avec la tempête graduée de tous les instruments » (Gérard de Nerval, 1854).
De là à accréditer l'origine musicale de notre locution adverbiale, il n'y a qu'une pirouette orthographique que tous les spécialistes ne sont pas près d'accepter : « Qui peut croire à ce glissement du vocabulaire mélomane vers le parler de tous les jours ? » objecte Didier Pourquery dans Les Mots de l'époque (2014). Et pourtant... Un article de la Grammaire des grammaires (1853) de Girault-Duvivier nous met la puce à l'oreille, fût-elle non mélomane :
« [Pour le grammairien Domergue, membre de l'Académie française de 1803 à 1810,] le mot final, ainsi que la chose, nous vient des Italiens, et que dans leur langue il est, lorsqu'il signifie le morceau final, du genre masculin : Ecco un bel finale, disent-ils ; ils sous-entendent pezzo, qui veut dire morceau. D'ailleurs, ajoute Domergue, final est évidemment un adjectif, ou plutôt un adjectif substantifié [qui] ne peut être d'un autre genre que du genre masculin. »
Dès lors, rien ne s'oppose, de l'aveu même d'un académicien, à ce que au final soit analysé comme l'ellipse de la locution musicale « au morceau final », passée dans la langue courante avec le sens figuré de « au moment final ». Pour autant, les sceptiques successeurs de Domergue pourront toujours continuer de lui préférer des expressions plus consensuelles comme à la fin, finalement, pour finir, en fin de compte, tout compte fait, au bout du compte, en dernier lieu, somme toute, etc., voire in fine, locution latine renvoyant à la fin d'un livre, d'un texte, d'un discours. Fin mot de l'affaire ?
Pour rappel, finale, au féminin, désigne la dernière épreuve d'une compétition sportive (ou la dernière syllabe d'un mot) ; au masculin, la dernière partie d'une œuvre musicale.
Il va disputer la demi-finale mais Il va entonner le finale.
(1) Et aussi : « Au final est un barbarisme, une tournure inacceptable » (Jean-Pierre Colignon), « Il s'agit d'une faute de grammaire » (Paul Saegaert), « L'expression au final [...] est donc, au mieux, un néologisme, au pire, une impropriété et, en tout cas, une expression tellement galvaudée qu'elle doit être bannie » (Didier Guével). Rien que ça !
(2) Notons également cette construction trouvée dans un texte daté de 1618 : « Le tuteur peut actionner son pupil apres la closture de son compte pour la despence, fraiz, nourriture et entretenement, dont il se trouve au final d'iceluy son reliquataire » (Les Procès civil et criminel, Claude Le Brun de la Rochette).
Remarque 1 : D'autres encore justifient la construction au final par analogie avec le latin in fine, l'espagnol al final ou les français au total, au complet. Goosse, prudent, se garde bien de trancher la question dans Le Bon Usage : « Nominalisation de l'adjectif (comp. au total) ou influence du vocabulaire musical, ou bien de l'anglais, où le nom final connaît diverses applications ? On dit aussi en finale : Toute la traversée de Paris [...] avec la montée de Montmartre en finale (Aymé, 1947). »
Remarque 2 : Non, la locution adverbiale au final n'est pas « nouvellement forgée » comme on peut le lire çà et là : « Je disserterai, au final, sur l'intérêt de divers partis à intervenir dans cette affaire » (Charles Fourier, 1823), « J'leur tiens la bride, si bien qu'au final, Y a toujours mèche pour me faire entendre » (Pierre Tournemine, 1837), « Mais au final, elle devint excessivement pâle » (Joseph-Henri Boex, 1890), « La théorie cachée dans ce mot égalité n'est autre chose, au final, que celle d'une nouvelle organisation sociale » (Auguste Onclair, 1895). C'est sa prolifération − jusque sous des plumes académiciennes (!) − qui date des années 1960 : « Au final, il sera toujours temps de reprendre notre liberté d'action » (Claude Orval, 1963), « Ainsi, un point rouge devenait peu à peu tache rouge, puis bande rouge et je découvrais, au final, un pétale » (Rafaël Pividal, 1974), « Au final, ce sont deux types en blanc qui l'ont raisonné » (François Cérésa, 1988), « Au final, Molotov put annoncer [que...] » (Hélène Carrère d'Encausse, 1993), « Regard terrible, mais au final bienveillant » (Marc Lambron, 1997), « Tous, au final, flambeau en main, se regrouperaient devant l'église » (Jean-Luc Coatalem, 1998), « Un compromis entre exigences lexicographiques et nécessités commerciales qu'au final on s'accordera à trouver plutôt honorable » (Jean Pruvost et alii, Pierre Larousse, 2002), « Mais, au final, il va prendre la route du nord » (Erik Orsenna et Isabelle Autissier, 2006), « On ne sait, au final, s'il publie afin d'être aimé ou moqué » (Jean-Paul Enthoven, 2016).
Remarque 3 : Dans la neuvième édition de son Dictionnaire, l'Académie enregistre les deux graphies pour le substantif masculin employé au sens de « dernière partie d'une œuvre » : « Final, ou mieux, Finale. » Précisons que le mot est également attesté comme terme d'architecture : « Les pinacles, les flèches, si essentiels à l'architecture gothique, exigeaient un surcroît qui en fût la fin, un ajoutage qui en fût la terminaison. Eh bien, cette fonction indispensable fut noblement remplie par le final, terme employé par les Anglais pour désigner le bouquet et qui a plus de justesse que celui-ci » (Jean-François Colfs, La Filiation généalogique de toutes les écoles gothiques, 1883).
Remarque 4 : L'adjectif final s'écrit finals au masculin pluriel (parfois finaux dans le vocabulaire des linguistes et des économistes) et finales au féminin pluriel.
Les résultats finals, les solutions finales.
Remarque 5 : Voir également les billets En définitive et Finaliser.