« Tentative d'attentat sur les Champs-Élysées. »
(paru sur lexpress.fr, le 23 juin 2017)
Photo Wikipédia sous licence GFDL par Sam Greenhalgh
Ce que j'en pense
Il n'est que de consulter la Toile pour s'aviser du nombre de sites de langue qui tiennent l'attelage tentative d'attentat pour un pléonasme. Pour un bel exemple d'allitération, je ne dis pas, mais pour un pléonasme, vraiment ?
Au regard de l'étymologie, la cause paraît entendue : attentat, nous dit-on, serait emprunté du latin attentatum, participe passé neutre de attentare, variante de attemptare (« entreprendre quelque chose [avec une idée d'hostilité], surprendre, attaquer »), composé de ad et de temptare, lui-même à l'origine du verbe... tenter ! « Tentative de tentative », avouez que cela fait mauvais genre... en latin. Mais en français ? Selon le Dictionnaire historique de la langue française, attenter signifie « agir de manière à détruire ». Partant, rien ne s'oppose, me semble-t-il, à ce que l'on puisse tenter d'agir... Las ! c'est à un tout autre son de cloche que nous avons droit du côté des dictionnaires usuels : « Faire une tentative criminelle contre », « Commettre une tentative criminelle contre » lit-on à l'entrée « attenter », respectivement du Robert illustré et du Petit Larousse illustré. Un partout, la bombe au centre.
En ce qui concerne attentat, Frédéric Godefroy observe dans son Dictionnaire de l'ancienne langue française que le mot s'est d'abord utilisé au sens de « préjudice causé à quelqu'un » ; on s'employait donc surtout, autrefois, à réparer un attentat : « Ce sont les attemptaz qu['il] doit reparer pour les religieuz » (1346), « Ainçois sera l'attemptat reparé » (1365), « reparer lesdiz attemptas » (1401), « affin qu'il repareille certains actemptats » (1420). Depuis lors, ledit substantif désigne, selon le Dictionnaire de l'Académie, une « entreprise criminelle ou illégale contre les personnes ou les choses » (huitième édition), une « action violente et criminelle contre les personnes, les biens privés ou publics, les institutions » (neuvième édition) − « un ou plusieurs actes de violence de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national », si l'on en croit la définition du code pénal. Aussi bien, au nom de quel principe, je vous le demande, s'opposerait-on à l'idée de tenter une entreprise, une action, un acte ? Mais voilà, Robert, une fois de plus, ne l'entend pas de cette oreille : « Attentat n. m. Tentative criminelle contre une personne (surtout dans un contexte politique), contre quelque chose. » (1) Nouvelle impasse.
Gageons que, si le caractère pléonastique de notre expression était aussi patent que certains l'affirment, il se trouverait plus d'un ouvrage de référence pour s'en faire l'écho. Or, force est de constater que, sur ce sujet, les spécialistes de la langue sont aux abonnés absents. Ceux du droit, en revanche, sont nettement plus diserts. Ainsi du juriste Joseph Ortolan, qui affirme qu'en droit ancien « attentat n'est autre chose que tentative ; attenter, autre chose que tenter » (Éléments de droit pénal, 1855). Or, poursuit-il, « comme dans les crimes qualifiés d'atroces, savoir les crimes de lèse-majesté au premier chef, de parricide, d'assassinat, d'empoisonnement, d'incendie [...] l'attentat suffisait à lui seul pour faire prononcer la peine du crime, de là est venu l'usage d'entendre le mot attentat, dans la langue vulgaire, comme signifiant un grand crime, et de l'appliquer non seulement à la tentative, mais même au crime consommé ». Depuis le code pénal de 1810, précise le Dalloz, « tentative et attentat mènent une existence juridique distincte et parallèle [...] : l'attentat désigne à présent une catégorie spéciale d'infractions se caractérisant par le fait que l’attentat consommé [...] est une tentative érigée en consommation, et que l’attentat tenté est une tentative de tentative » − la tentative étant elle-même constituée « dès lors que, manifestée par un commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet qu’en raison de circonstance indépendante de la volonté de son auteur ». Les non-initiés apprécieront... Toujours est-il que la notion de tentative d'attentat (2) n'est pas étrangère à la jurisprudence criminelle.
Mais laissons les spécialistes à leur jargon. Dans l'usage courant, on est tenté de parler de tentative d'attentat dès lors qu'un acte de violence (attentat) a manqué son effet (tentative). Or, il se trouve que le mot attentat ne préjuge pas de la réussite de l'entreprise criminelle. Ainsi est-on fondé à parler de l'attentat du Petit-Clamart contre le général de Gaulle, car il y a bien eu acte de violence − en l'occurrence, un commando a ouvert le feu sur la voiture conduisant le président de la République − quand bien même ce dernier y a réchappé comme chacun sait. La cible aurait été atteinte, il se serait toujours agi d'un attentat, doublé d'un assassinat. Mais quel type d'infraction constituerait, par exemple, la seule participation à l'élaboration du projet de guet-apens ? La tentative d'attentat ?
Vous l'aurez compris : dans cette affaire, tout est question de définition. À y bien réfléchir, mieux vaut encore éviter une expression qui a « l'apparence d'un pléonasme » et lui préférer, selon le contexte, les tours attentat manqué, déjoué ou tentative d'agression, d'assassinat. Histoire de ne pas courir le risque d'être pris en flagrant délit d'attentat aux bonnes mœurs grammaticales.
(1) Étonnamment, le Petit Larousse ne parle pas dans ce cas de « tentative », mais bien d'« attaque criminelle ou illégale contre les personnes, les droits, les biens, etc. » Allez comprendre...
(2) Elle permet d'inscrire dans le champ de la répression pénale les actes préparatoires, tels que le fait d'aiguiser une arme blanche dans le dessein d’assassiner quelqu’un ou le fait d'acheter une substance mortifère dans celui d'empoisonner quelqu’un.
Remarque : Selon Girodet, attentat se construit avec la préposition à si le complément désigne une chose abstraite (attentat à la pudeur, à la sûreté de l’État) et avec la préposition contre si le complément désigne une chose concrète ou une personne (attentat contre la patrie, contre le chef de l’État). Là encore, les avis divergent : Hanse et Thomas n'optent-ils pas pour « attentat, attenter contre la sûreté de l’État » ? Et l'Académie n'écrit-elle pas indifféremment « un attentat à la raison, contre la raison » ?
Ce qu'il conviendrait de dire
Attentat manqué sur les Champs-Élysées.