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Ah ! ce que !

Ah ! ce que !

« Nous nous attendons à ce que ce total [le nombre d'interpellations effectuées par la police] augmente chaque jour », « Nous nous attendons que la justice soit rendue rapidement » (propos rapportés au sujet des émeutes au Royaume-Uni, après l'attaque au couteau ayant coûté la vie à trois fillettes).
(paru sur lemonde.fr, le 5 août 2024.)

 

FlècheCe que j'en pense


Tâchons d'oublier un instant, si tant est que cela soit possible, l'horreur de ce qui s'est passé, le 29 juillet dernier, dans la ville anglaise de Southport pour nous intéresser à la seule question qui vaille dans le cadre d'une chronique de langue : doit-on écrire s'attendre que... ou s'attendre à ce que... ? L'affaire n'en finit pas de diviser les spécialistes de ce côté-ci de la Manche.

Certains, alléguant « une loi très claire de la langue, qui veut que le complément d'un verbe, que ce soit un nom ou une proposition, soit précédé ou non d'une préposition, suivant que le verbe, par sa signification propre, est transitif indirect ou transitif direct » (Léon Clédat, Revue de philologie française, 1924), exigent à ce que :

« [Puisqu'on dit] s'attendre à un hiver rigoureux, [on doit dire] s'attendre à ce que l'hiver soit rigoureux » (Léon Clédat, 1924).

« Ceux qui commettent ce solécisme [s'attendre que] ne pensent pas qu'un verbe réfléchi ne saurait se construire comme un transitif : de même qu'on s'attend à quelque chose, alors qu'on attend quelque chose, la préposition doit introduire la subordonnée, tout comme le nom complément : On s'attend à ce qu'une déclaration officielle soit publiée » (Albert Dauzat, Le Monde, 1948).

D'autres, dénonçant la lourdeur de la construction avec à ce que, préconisent l'emploi de que seul, à l'imitation des classiques :

« Demander à ce que, consentir à ce que, s'attendre à ce que, de façon à ce que, etc., tout cela est du franc galimatias, une construction bâtarde, dans laquelle on a combiné la construction du substantif avec celle du verbe [...]. Il n'y a aucune raison de construire s'attendre autrement que attendre : "J'attends qu'on m'augmente" diffère de "Je m'attends qu'on m'augmente" par une simple nuance de sens, mais c'est la même syntaxe [!]. Pour vous garder du solécisme s'attendre à ce que, ayez toujours présent à l'esprit ce passage de Racine : "[Ils] ne s'attendoient pas [...] Qu'un jour Domitius me dût parler en maître" » (Théodore Joran, Les Manquements à la langue française, 1930).

« On s'attend à une chose, d'où il devrait s'ensuivre que l'on s'attend à ce que. Plusieurs, en effet, le disent ; mais l'invariable usage des classiques est de dire s'attendre que. Comme à ce que est affreux et que sa suppression est un soulagement pour l'oreille, je pense qu'il faut [...] dire s'attendre que » (Abel Hermant, Le Temps, 1933).

« S'attendre que (au lieu de s'attendre à ce que) continue à déplaire à certains lecteurs mal informés. L'un d'eux me reproche ma "mansuétude" pour cette construction qu'il juge incorrecte sous prétexte qu'on dit s'attendre à quelque chose. Mais il ne faudrait pas que l'amour de l'analogie et de la symétrie fît perdre de vue qu'un complément peut fort bien se construire d'une façon et une proposition subordonnée d'une autre. Ne dit-on pas correctement se plaindre de et se plaindre que, prévenir de et prévenir que, informer de et informer que, se souvenir de et se souvenir que ? J'ai répondu à ce lecteur que s'attendre que était le tour courant au XVIIe siècle [et] que à ce que et de ce que sont des tours pesants et peu harmonieux qu'il faut éviter autant que possible » (René Georgin, Consultations de grammaire, 1964).

Qui croire ? De quel côté est le solécisme ? Avant de répondre à ces questions − dont la futilité, vu les circonstances, ne nous échappe pas −, commençons par rappeler quelques points essentiels à la bonne compréhension de ce qui va suivre :

  • les propositions complétives sont des propositions subordonnées qui peuvent avoir les mêmes fonctions que le groupe nominal (sujet, complément de verbe, attribut, agent, etc.) ;
  • on distingue les complétives qui contiennent un verbe conjugué (encore appelées conjonctives et ordinairement introduites par la conjonction que) et celles qui contiennent un verbe à l'infinitif (ou infinitives) − nous laissons volontairement de côté le cas particulier des constructions interrogatives ou exclamatives ;
  • tous les verbes n'ont pas (ou n'ont plus) la propriété de se construire avec une complétive par que (ainsi de commencer, continuer, poursuivre...) ;
  • la conjonction que ne peut être directement précédée par une préposition dite « faible » (comme à, de, en) ; deux solutions sont alors possibles en théorie : l'effacement de la préposition (au profit de que seul) ou son maintien, après intercalation du pronom faible ce (à ce que, de ce que, plus rarement en ce que, sur ce que) ;
  • c'est donc quand la proposition conjonctive correspond à un complément (de verbe, mais aussi d'adjectif, de nom, etc.) introduit par une préposition que se pose la question de l'effacement ou du maintien de ladite préposition et, partant, de la concurrence entre que et à ce que, de ce que ; mais la pronominalisation par en montre que la structure sous-jacente reste dans tous les cas la construction indirecte ;
  • ce que est une forme ambiguë, où que peut être conjonctif ou relatif ; il y a donc lieu de bien distinguer : Je m'attends à ce que tu viennes (proposition conjonctive) et Je m'attendais à ce que tu viens de dire (proposition relative).

Reprenons à présent les arguments avancés par les partisans et les détracteurs de à ce que, de ce que.

L'usage, tout d'abord. Pourquoi celui du XVIIe siècle devrait-il s'imposer aux siècles suivants ? Sans doute y a-t-il quelque ridicule à vouloir ainsi relancer une querelle des Anciens et des Modernes. « Certains puristes ne veulent pas admettre l'évolution de la langue et les changements de l'usage − du bon usage comme de l'usage tout court. Le bon usage de Littré n'était plus celui de Vaugelas. Celui de 1954 n'est plus, sur bien des points, celui de Littré. » L'auteur de cette remarque frappée au coin du bon sens n'est autre qu'Albert Dauzat qui, contre toute... attente, vient faire amende honorable, six ans après sa condamnation de s'attendre que : « [Cette construction] choque le Français moyen, qui n'est pas nourri de Bossuet et de Racine : c'est incontestable. Pour ma part, je ne l'emploie pas. Mais elle n'est pas incorrecte » (Le Monde, 1954). Et le linguiste de conclure : « [C'est] un archaïsme remis en honneur. » C'est toujours mieux qu'un solécisme...
L'ennui, avec le sacro-saint usage, c'est qu'on n'est jamais à l'abri de voir ceux qui s'en réclament défendre des positions contraires. Jugez-en plutôt :

« La tendance générale est à l'adoption de constructions symétriques, que l'expansion soit un nom ou une proposition : s'opposer au départ de quelqu'un / s'opposer à ce qu'il parte [1] » (Dupré, 1972), « La langue contemporaine a tendance à développer l'usage de à ce que, de ce que chaque fois qu'il y a concurrence avec que, c'est-à-dire quand le verbe support admet les deux constructions, alors que la langue classique avait des préférences inverses » (Hervé-D. Béchade, Syntaxe du français moderne et contemporain, 1986), mais « Les choix varient selon les usagers [...]. La tendance semble être de choisir que » (Claire Blanche-Benveniste, Préposition à éclipses, 2001), « Les verbes construits avec de introduisent une complétive avec de ce que, mais la langue moderne tend à remplacer systématiquement de ce que par que, comme s'étonner de, venir de, provenir de, etc. » (Rahma Barbara, Les Complétives conjonctives, 2019).

(Veiller) « Veiller à ce que... Il sera toujours plus simple et plus élégant de dire [veiller que...] » (Antoine Albalat, Comment il ne faut pas écrire, 1921), « Barrès use de la forme abrégée : "Il faut veiller que toutes nos nourritures fortifient un dessein déjà formé" ; c'est aussi un bon modèle » (G.-O. d'Harvé, Parlons mieux !, 1922), « On ne dit que veiller à ce que » (Georgin, Le Code du bon langage, 1959), « Le tour veiller que a certains répondants, [mais] cette construction est rare. Sandfeld la tient pour fautive [...]. Le tour normal, [qui a pour lui] l'autorité irréfragable de l'Usage, c'est : veiller à ce que, [où] la locution conjonctive à ce que signifie "à cela (à savoir) que" » (Grevisse, Problèmes de langage, II, 1962), « Après [le verbe veiller], l'emploi de que, seul, n'est pas, comme le pense Adolphe Thomas, "un tour familier ou populaire", mais un faux archaïsme et une affectation d'élégance » (Robert Le Bidois, Le Monde, 1964), « Veiller que, beaucoup plus rare que veiller à ce que, est considéré par certains comme populaire, par d'autres comme affecté » (Goosse, Le Bon Usage, 2011).

(Informer) « Informer de ce que est incorrect ; le procès est jugé d'après l'usage général et les meilleurs auteurs » (Jean Boisson, Les Inexactitudes et les singularités de la langue française, 1930), « De bons grammairiens considèrent informer de ce que comme incorrect. Personnellement, je ne dirais pas que cette expression est fautive, mais je conseille de l'éviter, ne fût-ce qu'à cause de sa lourdeur » (Hanse, 1949), « Lourd, [le tour informer de ce que] l'est, on n'en disconvient pas ; mais la grosse raison pour laquelle il faut le rejeter, c'est que l'Usage ne l'a pas reçu » (Grevisse, Problèmes de langage, II, 1962), « Informer se construit avec que (et non de ce que) » (Thomas), « On évitera la construction informer quelqu'un de ce que, tour critiqué » (Girodet), « On dit informer que, plutôt que informer de ce que » (Jean-Paul Colin), « Parallèlement à [informer quelqu'un de quelque chose], on a [l'] informer de ce que » (Martin Riegel et alii, Grammaire méthodique du français, 1994), « Dans le cas des complétives indirectes, il existe une variation avec certains verbes, et on peut aussi les trouver construites directement : informer que / de ce que » (Christiane Marchello-Nizia et alii, Grande Grammaire historique du français, 2020).

Quand on vous dit que nos experts sont incapables d'accorder leurs violons...

L'esthétique, ensuite. Chacun y va de son appréciation :

« De ce que est affreux » (André Thérive, Querelles de langage, 1929), « Nous assistons en ce moment à une véritable invasion de à ce que et aussi de de ce que. À quoi bon remplacer un que presque invisible par un lourd à ce que ? Dans un vêtement, on dissimule les coutures. Pourquoi choisir, au lieu du fil ordinaire, un fil de taille exagérée et de couleur voyante ? » (Charles Bruneau, Grammaire et linguistique, 1940), « Il ne faut pas abuser de à ce que, de ce que, qui sont lourds » (Hanse, 1949), « Le tour à ce que, qui est d'une affreuse lourdeur, est à éviter chaque fois que c'est possible » (Georgin, Pour un meilleur français, 1951), « Ces tours ne sont pas toujours esthétiques » (Étienne Le Gal, Le Parler vivant au XXe siècle, 1961), « Si cette locution [à ce que] est lourde et souvent inutile, elle a du moins l'avantage d'être analytique » (Le Bidois, 1964), « Ces à ce que sont des superfluités » (Jean-Pierre Colignon et alii, Pièges du langage, 1978), « Là où le simple que est possible, il est souvent considéré comme plus élégant » (Goosse, Nouvelle Grammaire française, 1995), « Quand les deux tours sont en concurrence [...], le tour en ‘Préposition + ce que P’ est plus recherché » (Pierre Le Goffic, QUE complétif en français, 2008), « Tantôt l'usage avec le simple que est jugé plus élégant, tantôt c'est l'usage avec à ce que ou de ce que qui est jugé plus recherché » (Cédrick Fairon et alii, Le Petit Bon Usage, 2019).

(S'attendre) « S'attendre à ce que a contre lui l'inélégance » (Gide, Lettre à Paul Souday, 1923), « [S'attendre que] est évidemment moins lourd, plus concis » (Dauzat, 1954), « [Las !] la victoire de la tournure lourdaude [s'attendre à ce que] ne semble pas douteuse » (Julien Teppe, Les Caprices du langage, 1970), « C'est affaire de goût que le choix entre : s'attendre que et s'attendre à ce que » (Jacques Cellard, Le Monde, 1972).

(Chercher, demander) « Chercher à ce que est peu élégant » (Dupré), « Chercher que ou à ce que [sont] deux constructions également bonnes, quoique chercher que soit plus élégant » (Thomas) ; « [Demander à ce que], expression incorrecte et peu harmonieuse » (Louis Barthou, Le Politique, 1923), « Sans doute demander à ce que est une construction d'une extrême lourdeur » (Georgin, Jeux de mots, 1957), « On évitera demander à ce que, inutile et lourd » (Hanse, 1987), « Demander à ce que est très répandu, mais barbare. On doit lui préférer le tour plus bref demander que » (Colin).

(S'opposer) « Ce tour un peu lourd [s'opposer à ce que] est utile lorsque l'action ou l'état exprimé par le verbe [de la subordonnée] n'a pas de substantif correspondant » (Grand Robert).

La comparaison avec le verbe veiller, en particulier, montre assez que ledit argument est à géométrie variable : la densité d'ordinaire reprochée à s'attendre à ce que, informer de ce que, etc. ne semble étonnamment pas... peser lourd quand il est question de veiller à ce que. Deux poids, deux mesures.

La logique, enfin. Force est, hélas ! de constater, contre Clédat, qu'elle n'a pas sa place dans notre affaire. « Il serait bien utile de savoir une bonne fois quels verbes on a le droit ou on n'a pas le droit d'employer suivis de la conjonction que, déclare Abel Hermant dans le journal Le Temps (1933). Malheureusement, on a fort peu de chances pour le savoir jamais, vu qu'il n'est pas de règle certaine à laquelle on puisse se référer. Sur ce point, on est franchement dans l'incohérence. » Goosse enfonce le clou, en rappelant avec juste raison que la construction de l'objet nominal (qui détermine si un verbe est transitif direct ou indirect) peut différer de celle de la proposition infinitive ou complétive : « En effet, l'infinitif est souvent construit avec préposition même si le complément nominal correspondant est construit de façon directe : Il craint la mort. Il craint de mourir [....]. D'autre part, lorsque le complément est une proposition, il a ses propres mots de liaison, les conjonctions. Comparez : Je crains qu'il ne parte. Je crains son départ. — Je doute qu'il parte. Je doute de son départ » (Le Bon Usage, 2011). Clédat lui-même admet la coexistence des deux constructions : « On ne devrait pas dire consentir que. On le dit cependant, et aussi s'attendre que, mais ces formules, reposant sur des analogies, ont commencé par être des fautes : on a dit s'attendre que en pensant à croire ou attendre que, et consentir que en pensant à accepter ou admettre que ». Voilà donc l'argument massue des partisans du maintien de la préposition devant tous les compléments d'un verbe transitif indirect : l'emploi de que seul au lieu de la forme complexe (préposition + ce que) serait le fruit d'analogies fautives. Encore convient-il de s'assurer qu'il ne s'agit pas là d'une de ces fake news (infox, en bon français d'aujourd'hui) qui pullulent de part et d'autre du Channel...

Les ouvrages de référence nous apprennent que le pronominal s'attendre à, d'abord employé avec diverses acceptions aujourd'hui disparues (« s'appliquer à quelque chose », « prêter attention à quelque chose », « s'en remettre à quelqu'un », etc.), est attesté avec son sens moderne (« tenir quelque chose pour probable ou assuré ») en 1604 selon le TLFi : « Le camp des ennemis s'attend à la bataille » (Antoine de Montchrestien, Hector), et même deux siècles plus tôt selon le Dictionnaire du moyen français : « Celuy qui ne s'attent a l'aide et secours de la hault » (Alain Chartier, Le Livre d'Espérance, 1429). Une citation plus ancienne encore attire mon attention : « S'une fois en chiet bien, fols est cil qui s'atent Que il l'en doie adés cheoir si faitement » (Jean Bodel, Chanson des Saisnes, avant 1200). Je ne saurais dire avec certitude à quelle acception le verbe se rapporte ici, mais le fait est que c'est la construction sans préposition qui s'est imposée à l'auteur. Même constat pour les siècles suivants, comme Hermant et Georgin le signalaient déjà :

« Et si ne vous attendez pas Que je li face compagnie » (Miracle de Clovis, vers 1381), « Combien que la Court s'atendist que ledit cardinal eust escript affectueusement au Pape » (Nicolas de Baye, 1412), « Il s'atendoit que ledit Cotin deust accepter ladicte prebende » (Clément de Fauquemberg, 1421), « Il se actendoit que Anthoine Grignon [...] le déclairas » (Jean Dauvet, vers 1455), « Ne vous attendez point que l'en vous donne » (Jean de Bueil, vers 1465), « Ceulx qui avoyent leurs terres en lieu où ilz se actendoyent que le roy ne allast point » (Philippe de Commynes, 1490), « Il s'actend que [...] vostre plaisir sera luy donner son congé » (Antoine Duprat et Jean de Selve, 1521), « Comme chacun s'actend qu'il viendra dedans peu de jours » (Jean du Bellay, 1529), « Je me attends bien qu'il y fera son devoir » (Marguerite de Navarre, 1530), « Ne vous attendez point qu'il sorte hors » (Robert Estienne, 1546), « Mes il s'atand qu'Amour le [= le portrait] vous peindra » (Jacques Peletier du Mans, 1555), « Il faut s'attendre que les malades, en leurs fievres, getteront hors grandes sueurs » (Jean Brèche, 1557), « Je m'attens qu'elle [= une suffisance livresque] serve d'ornement » (Montaigne, 1580), « Je matens que vous lacompaygneres » (Henri IV, 1590), « Il ne devoit point s'attendre que personne de ceux qu'il avoit offensés durant la guerre luy pardonnast en ce changement de sa fortune » (Nicolas Coeffeteau, 1621), « Je m'attens que le mesme Schiopius fera un autre livre » (Jean-Louis Guez de Balzac, 1637), « Vous devez vous attendre Que je le [= votre cœur] vais frapper par l'endroit le plus tendre » (Racine, 1670), « Le roi de Pologne s'attendit bien que son ennemi [...] viendroit bientôt fondre sur lui » (Voltaire, 1731), « L'erreur la plus pernicieuse où nous puissions tomber est de nous attendre que Dieu nous attendra » (Louis Bourdaloue, avant 1700), « S'attendre régit la conjonction que » (Féraud, Dictionnaire critique, 1787).

Est-ce à dire que la construction s'attendre à ce que + complétive (2) est inconnue de l'ancienne langue ? Non, mais elle semble nettement plus rare que sa concurrente. Le Dictionnaire du moyen français n'en donne qu'une maigre occurrence (où ce et que sont disjoints) : « A ce je m'actens [...] Que de mes soussiz dispensee Seray » (Charles d'Orléans, Poésies [3], avant 1460), à laquelle on peut ajouter ces deux autres : « Sans s'attendre à ce que l'on en fist ampliation » (Jean Papon, 1568), « M'attendant à ce que ma demande dependoit de ta response » (Jacques de Lavardin, traduisant l'espagnol de Fernando de Rojas, 1578). Il faut... attendre le milieu du XVIIe siècle, semble-t-il, pour voir les exemples se multiplier :

« S'attendant à ce que leurs auditeurs leur aportassent tout cela pour leur usage » (Charles Daubuz, 1648), « [Les ministres] s'attendoient à ce qu'on la [= la conclusion d'une affaire] communiquast aux villes » (A. Le Vasseur, traduisant l'anglais de William Temple, 1674), « [La reine] s'attendoit à ce que le roy de Pologne la remerciast [de ses] bons services » (Abraham de Wicquefort, 1676), « Si vous vous attendez à ce que Dieu vous juge luy-même » (Claude Masson, 1696) et, plus près de nous, « On pouvait s'attendre à ce que Mme des Arcis eût quelque embarras » (Musset, 1844), « Ne vous attendez pas à ce que je vous réponde » (Anatole France, 1912), « Je m'étais attendu à ce que Tatiana fût hostile au projet » (Marcel Aymé, 1960), « [Il] devait s'attendre à ce que ses mesures soulevassent une tempête de protestations » (Jean Dutourd, 1986).

De là la conclusion de Normand d'un Grevisse : « En résumé, ceux qui sont pour [s'attendre que] ont raison, mais ceux qui sont pour [s'attendre à ce que] n'ont pas tort » (Problèmes de langage, I, 1961) − Jacques Martin, si tu nous lis... La plupart des spécialistes qui admettent les deux constructions établissent toutefois des distinctions d'usage :

« Si le tour s'attendre que flaire un tantinet l'archaïsme, il est d'une correction parfaite et convient fort bien au style soigné » (Robert Le Bidois, Le Monde, 1964).

« La plupart des dictionnaires généraux discutent du degré d'inélégance de s'attendre que et s'attendre à ce que. L'un et l'autre sont corrects. Le premier est prôné par les puristes, le second s'emploie plus couramment » (TLFi).

« La construction avec que, parfaitement correcte, mais un peu compassée, est remplacée usuellement par s'attendre à ce que [...]. Ce dernier tour est moins conseillé, surtout dans la langue surveillée » (Girodet).

« [La construction s'attendre que] est classique et élégante [...]. Mais elle devient quelque peu pédante, et on rencontre de plus en plus, même à un niveau de langue élevé, le tour à ce que » (Colin).

« S'attendre à ce que est le tour vivant [...]. S'attendre que, encore exigé par certains puristes, n'a pas disparu de la langue écrite soignée (le Dictionnaire de l'Académie ne le mentionnait plus en 1986, mais l'a réintroduit depuis 1992 comme littéraire) » (Goosse, Le Bon Usage, 2011). (4)

Mais revenons à la thèse de Clédat. Autant il paraît imprudent de laisser entendre que s'attendre à ce que a précédé s'attendre que (plus généralement, l'antériorité, en français médiéval, des complétives indirectes avec ce que sur celles avec que seul est sujette à débat [5]), autant il serait stupide de nier le rôle de l'analogie dans les variations syntaxiques étudiées − analogie avec la construction des autres compléments (substantif ou infinitif) d'un même verbe, nous l'avons vu, mais aussi avec la construction d'autres verbes de la même famille sémantique (6). Comparez :

(Aimer, chercher, demander et autres verbes transitifs directs susceptibles de construire l'infinitif objet avec à ou de) « Demander n'est pas suivi de à quand son complément est un nom ou un pronom. Mais on dit avec un infinitif : demander à rester [et de là, demander à ce qu'il reste]. Ici encore, la loi de l'analogie a joué, comme pour le verbe chercher. Chercher à comprendre est responsable de chercher à ce que, également très lourd [7] » (Georgin, Jeux de mots, 1957), « Dans la langue de tous les jours il y a tendance à employer à ce que [...] derrière des verbes qui se combinent avec à + infinitif, comme demander et aimer [...]. Cet usage est fort blâmé par les grammairiens, et il faut convenir que les constructions normales demander que et aimer que sont parfaitement claires et n'ont pas besoin d'être remplacées par d'autres » (Sandfeld, 1965), « La manière dont s'est formée la locution demander à ce que s'explique par l'analogie avec la construction demander à et l'infinitif » (Dupré, 1972), « En français moderne, l'emploi de à ce que s'étend, par analogie, à des verbes dont le complément nominal est direct, mais qui se construisent ou peuvent se construire avec à ou de lorsqu'ils sont suivis d'un verbe à l'infinitif. Cette extension, dans son ensemble, est quelquefois mal jugée dans les ouvrages de langue » (Office québécois de la langue française). (8)

(Venir) « Venir et provenir peuvent avoir pour complément une proposition introduite par de ce que, mais non un infinitif : Cela vient de sa mauvaise santé, de ce que sa santé est mauvaise » (Jacqueline Pinchon, Ce qui, ce que, ce dont, ce à quoi, ce que (de ce que, à ce que), 1970).

« Que est la construction normale pour douter (jadis transitif), se douter (qui suit douter), se souvenir, s'apercevoir, s'aviser, se persuader (qui suivent apercevoir, aviser, persuader) », « Réfléchir que, sous l'influence de se dire, penser, est préféré nettement à réfléchir à ce que », « Témoigner de quelque chose est plus fréquent aujourd'hui que témoigner quelque chose ; on comprend que témoigner que soit concurrencé par témoigner de ce que » (Goosse, 2011).

(Informer) « Peut-on dire : Je vous informe que… ? Il n'y en a point d'exemple dans le Dictionnaire de l'Académie. Cependant puisqu'on dit : Je vous avertis que…, il semble qu'on peut dire : Je vous informe que… » (Littré, 1863).

([Se] rendre compte) « Rendre compte ayant pris le sens de "rapporter, exposer", peut se construire comme ces deux verbes » (Georgin, Pour un meilleur français, 1951), « Il serait aisé de plaider les circonstances atténuantes en faveur de rendre compte que, car ici rendre et compte forment bloc et deviennent synonymes de signaler ou avertir, de sorte qu'il ne paraît pas tellement illicite d'employer directement la conjonction que » (Teppe, 1970), « Il est absurde de condamner se rendre compte que alors que l'on accepte être d'avis que, avoir l'espoir que, faire signe que [et beaucoup d'autres locutions formées d'un verbe et d'un substantif objet direct] » (Dupré, 1972).

Alors quoi ? N'y aurait-il que des considérations d'ordre stylistique (concision, registre) et analogique pour rendre compte de l'alternance entre que et (à, de) ce que en français moderne ? La linguiste Hava Bat-Zeev Shyldkrot émet l'hypothèse que « chaque construction ait une identité sémantique » et évoque, entre autres cas, celui du verbe tenir, pour lequel la différence de sens est « intuitivement perceptible » :

« Soit les exemples suivants : Luc tient que tout a été noté et enregistré et Luc tient à ce que le changement soit mentionné. [Le second énoncé] implique de la part du sujet une volonté plus insistante, donc traduit une activité mentale plus intensive et plus prolongée que [le premier]. Tenir à ce que exprime une détermination très forte vers un but bien précis du locuteur. Tenir que désigne certes une opinion clairement arrêtée, un acte de pensée signifiant "soutenir que", mais il n'évoque point cette détermination : il introduit l'avis du locuteur sans pour autant en sous-entendre les conséquences » (Complétives introduites par Prep que P vs Complétives introduites par Prep ce que P, 2008).

Las ! l'affaire, à y regarder de près, est plus complexe que ce qu'on voudrait nous faire croire. D'abord, parce que le sens de tenir à ce que varie selon la nature du sujet : « vouloir fermement, désirer que » avec un sujet animé, mais « être la conséquence, l'effet, le résultat de » avec un sujet inanimé. Comparez : « C'est pourquoi il tenait tant à ce que je termine [mes études] » (Boris Vian) et « La difficulté [...] tient principalement à ce qu'en voulant saisir, il ne nous reste en main que l'objet nu » (George Bataille). Ensuite, et surtout, parce que tenir que, envisagé ici dans le seul sens classique de « soutenir l'idée que, professer l'opinion que », est également attesté avec celui de − je vous le donne en mille − tenir à ce que « vouloir fermement, désirer que ». Comparez :

« Je tiens que cela a besoin d'explication » (Dictionnaire de l'Académie, depuis 1694), « Il tenait que cette façon de faire était l'expression même du remords » (Mérimée, 1855), « Je tiens que le romancier est l'historien du présent » (Georges Duhamel, 1935), « Nous tenons que ses continuelles hésitations [...] constituent la meilleure preuve » (André Billy, 1952), « [Anatole] France tient que les poèmes de François Coppée ont illuminé son âge » (Eugène Ionesco, 1971). (9)

« Je tiens absolument que la gravure soit de Yégawa » (Edmond de Goncourt, 1896), « Il tient beaucoup que j'aie les yeux ouverts à toutes choses et à toutes gens » (Henri de Régnier, 1904), « Mon père [...] a tenu que notre maison fût ouverte à tous » (Paul Bourget, 1917), « Comme elle ne tenait pas que je lui parlasse de Laure » (René Boylesve, Je vous ai désirée un soir, 1925 ; c'est le tour par à ce que qui figure dans la première version, parue en 1922), « Le curé a tenu que je fasse toutes les offices seul » (Joseph Raîche, 1927), « Si l'on ne tient pas qu'elle [= la maladie] finisse par se nourrir aux dépens du malheureux qu'elle a choisi pour victime » (René Maran, 1934), « Je ne tenais pas qu'on me questionnât » (Robert Gaillard, 1942), « Mais j'ai tenu que la réalité vienne, au plus vite, alimenter la comédie » (Jacques Audiberti, 1947), « Je tiens que tout y soit remis en ordre » (Henri Bosco, 1947), « Chose que tante Lizzie tenait beaucoup que je fasse » (Alain Bosquet, 1952), « [Sainte-Beuve] a tenu que l'on sût qu'il avait été l'amant de madame Hugo » (Émile Henriot, 1953), « Le maître tenait beaucoup que ce qu'il présentait au public soit apprécié » (Henri Bussi-Taillefer, 1963), « Je ne tiens pas que ça devienne clair » (Dominique Proy, 1968).

Les spécialistes ont eu beau multiplier les avertissements : « On ne dit pas : Il tient beaucoup que nous l'accompagnions. À ce que s'impose » (Hanse), « Ne pas dire : Je tiens que tout soit fait » (Girodet), « Si l'on emploie tenir à au sens de "vouloir fermement, être attaché à", la locution à ce que est indispensable » (Dupré), « [La suppression de la préposition à] n'est pas possible avec tenir (elle ferait équivoque avec un emploi transitif direct de ce verbe) » (Le Goffic), « Tenir que [pour tenir à ce que] est rare » (Thomas, Grand Larousse, Grand Robert), « Tenir que dans le sens "désirer que" est peu usité » (Goosse), les faits sont toujours aussi têtus : 

« Je ne tiens pas qu'elle [= une affaire] se solde par un drame » (René Reouven, 1985), « Je tiens que vous sachiez que [...] » (Norbert Hugedé, 1985), « Ce que je tiens que vous sachiez, c'est que [...] » (Julien Green, 1987), « Je ne tiens pas qu'on pense mal de moi » (André Tissier, 1999), « Je ne tiens pas qu'ils me voient dans cet état » (Akli Tadjer, 2008), « [Des demandes] auxquelles elle a tenu qu'il soit répondu par écrit » (Denis Crouzet, 2009), « Ton père a tenu que j'accompagne Victor » (Claude Michel, 2011), « Je ne tiens pas que tout Alfredville le sache » (Françoise Adelstain, 2013), « Son père [...] a tenu qu'il soit à ses côtés durant ces moments terribles » (Frantz-Antoine Leconte, 2016), « Je ne tenais pas qu'il m'impose quelqu'un » (Bernard Grosjean, 2017), « Martine a tenu que tout soit parfaitement encadré » (Sud Ouest, 2017), « Je ne tiens pas qu'il écoute ce que nous allons nous dire » (Laurent Guichard, 2019), « Je ne tiens pas que quelqu'un me la débauche » (Patrice Keller, 2023), « Nous tenons que tout soit parfait afin que vous passiez d'excellentes vacances » (site Internet d'un gîte touristique, 2023), « Il a tenu que tout ça soit loin de nous » (Alexis Charles, 2024).

Cela n'empêche pas plus d'un observateur de soutenir que l'emploi de (à, de) ce que exprime une nuance sémantique par rapport à que seul :

(S'attendre) « J'accepte dans Anatole France : "Je m'attendais, non sans raison, à ce que mes fautes fussent découvertes". Il y a là une nuance, usuelle au XVIIe siècle (au XVIIe siècle, ce conservait sa valeur propre) ; à ce que insiste, là où que glisse sur l'idée. Je traduirais : "Je m'attendais à cette catastrophe, la découverte de mes fautes" » (Charles Bruneau, 1940).

(Se plaindre) « Se plaindre de ce que suppose un sujet de plainte. Se plaindre que n'en suppose point. Ainsi, vous direz à une personne que vous n'avez pas trompée : Vous avez tort de vous plaindre que je vous ai trompé. Si vous disiez : Vous avez tort de vous plaindre de ce que je vous ai trompé, ce seroit avouer que vous l'avez trompée » (Pierre-Claude-Victor Boiste, Dictionnaire universel, 1803), « On ne dit pas indifféremment se plaindre de ce que et se plaindre que. Dans Je me plains de ce que vous m'avez insulté, se plaindre signifie proprement "faire des plaintes, des reproches relativement à une chose dont on a reçu quelque tort, quelque dommage" [et] la préposition de indique un rapport direct entre la chose dont on se plaint et la personne qui s'en plaint. Mais se plaindre signifie aussi "blâmer, trouver mauvais", sans rapport direct et positif de la chose avec le sujet ; et alors il me semble qu'il faut employer que. Je dirai Je me plains qu'on met trop de précipitation dans les affaires, si je parle en général des affaires, sans rapport à moi ; et Je me plains de ce qu'on a mis trop de précipitation dans mon affaire, parce qu'il s'agit d'une affaire qui m'est personnelle » (Jean-Charles Laveaux, Dictionnaire raisonné des difficultés, 1822), « Il se plaint de ce qu'il est mal nourri : la cause du sentiment est énoncée comme un fait positif et le simple que paraîtrait ici trop faible. On se plaint de ce fait (qu'on affirme) parce que... » (Le Gal, 1961).

(Conclure) « La proposition qui suit conclure que correspond à une phrase énonciative, alors que, avec à ce que, la proposition correspond à une phrase injonctive » (Goosse, 2011).

« Dans beaucoup de cas, ces tours [à ce que, de ce que] s'expliquent par la tendance analytique du français, par un besoin d'insistance et de précision », « Dans certains cas, ils présentent le fait comme plus réel » (Le Gal, 1961).

« Le caractère analytique du français moderne a amené des liaisons à l'aide des groupes conjonctionnels à ce que et de ce que, qui renforcent la conjonction "à tout faire" que » (Louis Kukenheim, Grammaire historique, 1968).

« Le pronom ce marque une pause (de précaution, de ménagement devant l'interlocuteur), un temps de réflexion nécessaire à la formulation de la visée [quand ce est introduit par à] ou de la cause [quand ce est introduit par de] » (Hava Bat-Zeev Shyldkrot, 2008).

Le choix du mode dans la subordonnée est également considéré comme un facteur ou un indicateur de changement de sens :

(S'attendre) « S'attendre que régit l'indicatif quand le sens est affirmatif, et le subjonctif quand le sens est négatif » (Féraud, Dictionnaire critique, 1787), « À côté du tour classique Je m'attends qu'il viendra, avec l'indicatif, il y a le tour moderne Je m'attends qu'il vienne, avec le subjonctif (sans doute l'analogie de J'attends qu'il vienne a-t-elle exercé ici son influence) » (Grevisse, Problèmes de langage, I, 1961), « S'attendre que + ind. [L'objet de l'attente est assuré, le sujet est certain que l'attente se réalisera]. S'attendre que + subj. [L'objet de l'attente n’est pas assuré, le sujet doute que l'attente se réalise]. S'attendre à ce que + subj. » (TLFi). (10)

(Se plaindre) « Lorsque le verbe de la phrase subordonnée est au subjonctif, il faut nécessairement mettre se plaindre que. Le subjonctif marque doute, incertitude, et repousse par conséquent de ce que, qui indique toujours quelques chose de déterminé, de positif » (Laveaux), « Se plaindre que, avec l'indicatif (le sens est que l'acte exprimé par le verbe à l'indicatif n'a rien d'hypothétique) ou le subjonctif (le sens est que l'acte exprimé par le verbe au subjonctif est hypothétique). Se plaindre de ce que [suivi d'un exemple à l'indicatif imparfait] » (Littré), « Un écrivain scrupuleux peut faire une différence entre vous vous plaignez qu'il ait menti [que + subjonctif] ou de ce qu'il a menti [de ce que + indicatif], suivant que la personne qui parle a ou n'a pas d'opinion sur le fait » (Philippe Martinon, Comment on parle en français, 1927), « Il se plaint de ce que vous ne l'écoutez pas. De ce que, c'est-à-dire de cela que, parce que. On insiste sur le pourquoi de la plainte et il s'agit d'un fait positif. Il faut donc l'indicatif, mode de la réalité. Il se plaint que vous ne l'écoutiez pas. Peut-être ne l'écoutiez-vous pas. Il y a doute, il faut le subjonctif » (Le Gal, 1961), « Se plaindre que (+ subjonctif). Cette construction est la plus courante. Se plaindre que (+ indicatif). Cette construction, moins courante et plus littéraire, insiste davantage sur la réalité du fait. Se plaindre de ce que (+ indicatif ou subjonctif). La construction avec l'indicatif est généralement tenue pour plus correcte » (Larousse en ligne), « Se réjouir, se plaindre, s'indigner de ce que [sont] suivis de préférence de l'indicatif, alors que la construction directe de ces mêmes verbes réclame de préférence le subjonctif » (Grammaire méthodique, 1994).

(Tenir) « On a, commun aux deux [exemples cités plus haut], Luc tient, qui exprime dans les deux cas une prise de position du sujet, mais avec que seul, l'événement "tout-noté-et-enregistré" est posé par le sujet (Luc reconnaît que "tout-noté-et-enregistré" est le cas), tandis que, avec à ce que, la réalité de l'événement n'est ni posée ni présupposée : c'est une possibilité envisagée dans l'ordre du désir du sujet. La différence de statut de l'événement se reflète dans l'emploi du mode (respectivement indicatif et subjonctif) » (Hava Bat-Zeev Shyldkrot, 2008).

(Être surpris) « [On établira une distinction entre] Je suis surpris de ce que vous êtes venu si tôt [= je suis surpris de ce fait, à savoir que + indicatif] et Je suis surpris que vous soyez venu si tôt [analogique de Il est surprenant que + subjonctif, où la subordonnée est le sujet sémantique du verbe être] » (Charles-Honoré de Guimarest, Éclaircissements sur les principes de la langue françoise, 1712).

« L'emploi des modes oppose les deux locutions conjonctives de ce que et à ce que. De ce que se construit avec l'indicatif ou le subjonctif [...] ; à ce que n'est suivi que du subjonctif. La construction directe et la construction indirecte peuvent se doubler : Il s'attend que vous veniez / à ce que vous veniez. Au contraire, elles correspondent à deux valeurs d'emploi du verbe, si le mode qui suit la conjonction est différent. Ainsi on opposera : Faites attention (prenez garde) que ce chemin est impraticable et Faites attention (prenez garde) à ce qu'on ne vous voie pas » (Jacqueline Pinchon, 1970).

On le voit, au terme de ce long exposé : le point de grammaire du jour fait la part belle à la subjectivité. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de la position adoptée par l'Office québécois de la langue française sur ce sujet :

« Des ouvrages de langue indiquent parfois quel est le "meilleur" usage pour introduire la subordonnée complétive indirecte qui suit tel ou tel verbe lorsqu'une variation est possible. La Banque de dépannage linguistique, elle, ne favorise ni que, ni à ce que ou de ce que, et ce, pour trois raisons :
- Les diverses remarques présentes dans les ouvrages à propos de l'alternance entre que et à ce que ou de ce que ne contribuent pas vraiment à établir une norme en la matière. Par exemple, s'attendre que peut être prescrit ou, au contraire, considéré comme désuet ; veiller que peut être jugé peu soigné ou, au contraire, affecté.
- Chacune des constructions traduit une nuance de sens dont on ne peut faire fi. Il arrive même que cela puisse avoir une influence sur le mode du verbe de la subordonnée. Parfois, la différence de sens est relativement marquée ; d’autres fois, elle consiste minimalement en une forme d'insistance lorsque l'on emploie à ce que ou de ce que plutôt que que.
- Dans tous les cas, la syntaxe du français est respectée. »

Gageons que pareille souplesse nous préservera de toute émeute linguistique...

(1) Toujours selon Dupré, « s'opposer à ce que est la seule construction qui existe dans la langue contemporaine ». La forme s'opposer que, attestée dès le moyen français, n'a pourtant jamais totalement disparu : « [Le procureur] s'oppose que aucun ne soit receu en son office de bailli de Vitry », « [Le procureur] s'oppose à ce que aucun ne soit receu en bailli d'Amiens » (Nicolas de Baye, 1413) ; « [Il] s'est opposé que lesdites lettres [...] feussent rendues audit huissier » (Arrêts du Grand Conseil, 1484) ; « Et s'est opposé que l'article passe par coutume » (Coutumier du Grand Perche, 1558) ; « Jusques à s'opposer qu'on ne vid les lettres qu'escrivoient ceux du party contraire » (Response faicte à la lettre du cardinal de Sega, 1594) ; « [Des] brigues pour s'opposer que l'on rapprochast les fonds » (Charles d'Albert d'Ailly, 1671) ; « [J'] ai été la seule qui [...] s'est opposée que l'on le voulût dépouiller » (Marie de Nemours, 1673) ; « Le fils du deposant ayant voulu s'opposer que ledit muletier n'entra point avec sa charge » (Intendant de Provence, 1712) ; « [La ville] n'avoit pas plus de droit de s'opposer à ce que l'Université nous accordât les privilèges, que l'Université n'en avoit de s'opposer que la ville fit abattre le Mail » (Joseph Grandet, avant 1724) ; « Je me suis opposé qu'on mît M. Law à la Bastille » (Saint-Simon, avant 1755) ; « Ce qu'Elisabeth avoit dit en s'opposant qu'on lui donnât le nom de son père » (Dictionnaire généalogique, 1804) ; « Je m'oppose que cette réunion ait lieu dans votre établissement » (Gazette de France, 1831) ; « [Ils] sont fondés à s'opposer qu'il s'en fasse une autre [procession] le même jour » (Encyclopédie théologique, 1845) ; « Il l'appela au-dehors en s'opposant que la femme de Disset assistât à leur entretien » (Le Petit Républicain du Midi, 1900) ; « Je m'oppose que l'on fasse des recherches à ce sujet » (journal Messidor, 1908) ; « Rien ne s'opposait que l'un des abonnés rencontrât chez le voisin l'accueil auquel il avait droit » (Francis Carco, 1933) ; « [Il] s'est opposé que l'on jouât [tel hymne] à son intention » (Journal des débats, 1935) ; « La Seigneurie de cette terre lui a fait quelque difficulté, s'opposant que les trois comtés [...] n'en étaient qu'un seul » (Paul Beau, 1938) ; « Rien ne s'oppose que [...] lesdits établissements obtiennent [...] » (Jacques Barrot, 1980) ; « Le droit pour l'interprète à s'opposer que son nom figure sur l'enregistrement dont il n'a pas autorisé la diffusion » (Roland Dumas, 1987) ; « C'était de s'opposer qu'il aimait » (Jean Largeault, 1993) ; « Nous nous opposons que les déchets viennent de toute l’Île de France » (Rapport d'enquête, 2015) ; « Nous nous opposons que les éoliennes soient situées à 500 mètres des habitations » (Ouest-France, 2019).

(2) Il convient, répétons-le, d'éviter toute confusion avec les constructions où que est le pronom relatif : « De telles parolles que vous dictes vous peussies bien [...] vous attendre a ce que nostre seigneur en fera » (Cleriadus et Meliadice, édition de 1514), « [Celuy qui] ne s'attend point à ce que la Fortune luy voudra donner » (Malherbe, avant 1628).

(3) Daniéla Capin observe que ce que, conjoint ou disjoint, apparaît d'abord surtout dans des textes en vers : « [Il] semble correspondre aux exigences du mètre » (Complexité des structures en français médiéval : la variation que/ce que dans les complétives, 2019).

(4) Le Larousse en ligne, quant à lui, est pris en flagrant délit de contradiction : « S'attendre que ou à ce que. Les deux constructions sont correctes. On emploie plus souvent à ce que dans la langue courante et que dans un registre soutenu » (à l'article « attendre »), mais « Les verbes aimer, s'attendre, consentir, demander se construisent avec que » (à l'article « à »).

(5) « Comparées aux attestations de complétives avec que seul, les attestations de complétives avec ce que [conjoint ou disjoint] sont moins fréquentes, quel que soit le sous-type de complétive étudié » (Daniéla Capin, 2019), « La construction complétive de la forme V préposition ce que P est fréquemment employée en ancien français avec toutes les prépositions. Ce est considéré comme obligatoire quand la phrase nominalisée est régie par une préposition. À partir du moyen français, l'usage de ce dans ces constructions se limite et on le retrouve essentiellement avec les prépositions les plus employées : à ou de » (Hava Bat-Zeev Shyldkrot, Complétives introduites par Prep que P vs Complétives introduites par Prep ce que P, 2008), « En ancien français, on retrouve un emploi fréquent et varié de ce que à la place de que, aussi bien en complétive sujet, objet ou complément indirect qu'en circonstancielle » (Michel Pierrard, L'Évolution de ce que introducteur de subordonnées, 1995).
Une étude du verbe informer, menée par la Grande Grammaire historique du français, « montre une évolution de la construction indirecte vers la construction directe, l'exemple le plus ancien étant construit avec de ce que, qui peut cependant être interprété comme un ce que relatif : "Et me tiens pour tres bien informee de ce que je querroie" (Christine de Pizan, 1405) ». C'est oublier, d'une part, que la femme de lettres (récemment mise à l'honneur lors de la cérémonie d'ouverture des JO de Paris) écrivait à la même époque : « Si que elle soit bien informee que [...] » (1405), « Il fu enfourméz que cil estoit un jouer de dez » (1412) et, d'autre part, que le Dictionnaire du moyen français atteste le tour direct dès 1393 chez Jean d'Arras. Autrement dit, tout porte à croire que les deux constructions étaient déjà en concurrence en moyen français, comme le confirment Robert Martin et Marc Wilmet : « L'hésitation la plus fréquente, d'ailleurs encore possible aujourd'hui, est celle de que et de ce que, [avec des verbes comme] s'affliger, se désoler, s'ébahir, s'indigner... » (Études de syntaxe du moyen français, 1978).

(6) « On voit qu'il est impossible de donner une règle. D'une part, le français tend à uniformiser la construction de tous les compléments d'un verbe quelle que soit leur nature (se réjouir de, s'attendre à, etc.) ; d'autre part, la construction d'un verbe peut être calquée sur celle d'un verbe de sens voisin (se rendre compte que, comme s'apercevoir que) » (Jacqueline Pinchon, Ce qui, ce que, ce dont, ce à quoi, ce que (de ce que, à ce que), 1970).

(7) Même la construction directe chercher que n'est pas exempte de reproche : « Tour rare et peu recommandé » (Girodet), « Construction admise mais rare, même dans la langue littéraire » (Larousse en ligne). Cela ne l'empêche pas de se maintenir, surtout quand le jeu des sujets (de la principale et de la subordonnée) ne permet pas la construction usuelle avec l'infinitif : « Et ne sont pas gens qui voisent cherchant que vous soiez mal de monseigneur vostre fils » (Georges Chastelain, 1468), « Cercher que la louange soit rendue à celuy auquel elle appartient » (Jean Calvin, avant 1564), « Car il cerchoit que les Philistins lui baillassent quelque occasion » (La Bible, 1597), « Sans chercher que quelqu'un vous dise [que...] » (Jean-Joseph Surin, 1661), « Sans chercher que les autres s'en aperçoivent » (Documents du Club des Jacobins de Paris, 1794), « La considération consiste, non à chercher qu'on parle de soi, mais à mériter qu'on en parle » (Charles-Jean Baptiste Bonnin, 1833), « Toujours il [= le poète] cherche qu'on le loue » (Ulric Guttinguer, 1846), « Nous devons surtout chercher que le citoyen comprenne ce qu'il lit » (Ferdinand Brunot, 1911), « Comme on se plaint sans chercher qu'on vous plaigne » (Charles Le Quintrec, 1977), « Chercher qu'on soit content ou à ce qu'on soit content » (Hanse, 1987), « J'en suis arrivé à me contenter d'instants intenses, sans chercher qu'ils aient de lointains prolongements » (Éric Ollivier, 2002), « Sans chercher qu'ils soient absolument identiques » (Michel Sauquet et Philippe Pierre, 2022).

(8) Selon le site Internet de l'Académie, « le tour demander à ce que est assez récent » (rubrique Dire, ne pas dire, 2017). On en trouve pourtant des attestations au XVIIe siècle : « [Elle] demanda à ce que le seigneur de la Tour-Goyon fust condamné » (Claude Henrys, Recueil d'arrests, 1660), « Pour demander à ce que les articles [...] soyent punctuellement executés » (Registre de la province d'Utrecht, 1672).

(9) Selon le Larousse en ligne, « tenir que ("affirmer, soutenir que"), courant dans la langue classique, ne se dit plus ». Jugement excessif, comme le prouvent ces exemples récents : « Je tiens qu'un livre de Jean d'Ormesson donne dix-huit mois de vie supplémentaire à ses lectrices » (Marc Lambron, 2003), « Je ne tiens pas que l'expérience de l'accident de cheval soit une réconciliation avec la mort » (Michel Onfray, 2006), « [Ils] tiennent que tout dans son livre conspire à montrer comment la Providence divine gouverne les affaires humaines » (Pierre Assouline, 2011), « Je tiens plutôt que c'était pour lui une sorte de revanche » (Ernest-Antoine Seillière, 2012), « Les pessimistes tiennent que tout cela n'est qu'un dangereux moyen de se défiler » (Challenges, 2015).

(10) Toujours d'après le Larousse en ligne, « s'attendre que (+ indicatif) est une construction de la langue classique qui ne s'emploie plus ». Pourtant, là encore, les contre-exemples récents ne sont pas si rares, sur la Toile : « Même si je m'attendais qu'il allait mourir » (2007), « Personne ne s'attendait que le quatre australien prendrait un départ si fulgurant » (2008), « On s'attendait que le double allait être crucial » (2010), « On s'attendait que la motorisation allait une fois de plus être essentielle » (2019), « Je m'attendais qu'elle serait la première à se lancer à l'eau » (2021), « Comme ils ne s'attendaient pas que le Seigneur Jésus-Christ passerait par là » (2024) − précision faite que les conditionnels sont ici employés avec une valeur d'indicatif futur du passé. Quant au tour s'attendre que (+ subjonctif), il n'est pas réservé à la seule langue surveillée : « Je m'attendais que tu en choisisses 4 », « Je m'attendais que tu rugisses », « Je m'attendais que tu aies des arguments », « Je m'attendais que tu sois en orange », « Je m'attendais que tu dise [sic] que [...] », « Je ne m'attendais pas que tu sortes de là », « Je ne m'attendais pas que tu comprennes », « Je m'attendais pas que ça soit si bon » (commentaires de blog, de forum, dialogues de roman, etc.).

Remarque 1 : Le Dictionnaire du moyen français mentionne une locution à ce que (+ subjonctif) avec le sens de « pour que, afin que » : « Le saint pére m'envoie cy A ce que je puisse a mercy Estre pris de Dieu et de vous » (Miracle de saint Guillaume du désert, vers 1347), encore attestée au XVIIe siècle : « [Il] écrivit à tous les archevêques [...] à ce qu'ils eussent à s'y conformer » (Racine). S'agit-il de la même tournure que celle qui nous occupe ? Les Le Bidois le croient : « [La locution à ce que] ne s'emploie plus, de nos jours, dans ce sens, qu'après les verbes marquant l'aspiration vers un but (l'effort : s'appliquer, travailler, se décider, s'opposer ; le consentement : condescendre, consentir ; l'intérêt : tenir, veiller, voir ; ou simplement l'éventualité : s'attendre). Encore convient-il d'user de cette ligature avec circonspection, car le plus souvent que, tout seul, suffit à exprimer la même valeur » (Syntaxe du français moderne).

Remarque 2 : Voir également cet article.

 

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