« Il est donc conseillé de consulter son assurance multirisques. »
(Jean-Michel Normand, sur lemonde.fr, le 23 juin 2017)
Ce que j'en pense
Hanse est pourtant catégorique : « Dans les composés de multi, le 2e élément, soudé au premier, s'écrit sans s au singulier et varie au pluriel : une assurance multirisque, des assurances multirisques. » Las ! il n'est que de consulter Girodet pour mesurer à quel point l'unanimité n'est pas de mise en la matière : « Multirisques adj. Une assurance multirisques. Des assurances multirisques. » Pis : c'est avec une coupable assurance que certains ouvrages de référence versent dans l'inconséquence. Ne lit-on pas dans le Petit Robert (édition 1987) à l'entrée « multirisque » (sans s final, contrairement à la graphie retenue par Girodet) : « Adj. Se dit d'une assurance couvrant plusieurs risques pour un même contrat » et à l'entrée « assurance » : « Assurance multirisques » ? C'est à se demander ce que fait la police (d'assurance)...
Pourquoi une telle cacophonie ? Parce que grande est la tentation de donner, dès le singulier, auxdits mots composés la marque du pluriel, sous le prétexte que le préfixe multi- (emprunté du latin multus, « nombreux, abondant ») suppose une pluralité d'éléments : puisqu'il est question d'un contrat par lequel on s'assure contre plusieurs risques, la logique ne plaide-t-elle pas en faveur de la graphie assurance multirisques comme on écrit assurance tous risques ? À y regarder de plus près, l'argument paraît difficilement recevable... à commencer par les partisans de la graphie au pluriel eux-mêmes : ne s'accordent-ils pas, contre toute attente, à écrire une assurance multisupport, à propos d'un contrat d'assurance-vie offrant pourtant plusieurs supports de placement ? Deux poids, deux mesures... Plus encore, viendrait-il à l'idée de quelqu'un d'écrire un pays multiculturels parce qu'y coexistent différentes formes de cultures ? Vous l'aurez compris : l'hésitation sur la variabilité en nombre ne concerne que les composés de multi- dont le second élément est un nom. Dans le doute, mieux vaut ne pas prendre de risques inutiles et s'en tenir prudemment à la règle générale d'accord en nombre, selon laquelle les intéressés, qu'ils soient noms ou adjectifs, ne prennent la marque du pluriel... qu'au pluriel !
Mais là n'est pas le seul écueil que nous réservent les composés de multi- : la variabilité en genre se révèle un exercice tout aussi risqué. « Doit-on écrire une stratégie multicanal ou multicanale ? » me demande en substance un habitué de ce blog(ue), à propos d'une stratégie qui recourt à plusieurs canaux (réels ou virtuels) de distribution. Là encore, deux logiques s'opposent. Ceux qui continuent de traiter le syntagme comme s'il était composé de deux éléments autonomes écriront : un pays multiculturel, une œuvre multiculturelle (parce que culturel, adjectif autonome, varie régulièrement en genre, comme en nombre), mais un marketing multicanal, une stratégie multicanal (parce que canal, nom masculin autonome, ne saurait varier en genre) − le cas du féminin pluriel reste toutefois épineux : des stratégies multicanal ou multicanaux ? Ceux qui, à l'instar du Larousse en ligne, y voient un nouvel adjectif en -al à part entière, oseront parler de stratégie multicanale (comme on parle d'une stratégie bancale) − reste à comprendre pourquoi, à cette aune, les mêmes ne prônent pas la graphie assurance... multisupporte !
Toujours est-il que Grevisse a beau jeu d'observer qu'« il est difficile d'intégrer dans la syntaxe française ces formations hybrides ». L'arbitraire aurait-il contaminé la série des multi ? Oui, si l'on en croit le nombre de contrevenants... multirécidivistes !
Remarque 1 : Les mots formés avec multi- s'écrivent sans trait d'union... sauf si le second élément commence par un i : un (musicien) multi-instrumentiste. Seul Bescherelle préconise d'étendre l'usage du trait d'union à tous les composés de multi- dont le second élément commence par une voyelle, afin d'éviter toute ambiguïté de prononciation : un produit multi-usage (Bescherelle) ou multiusage (Larousse en ligne).
Remarque 2 : Les mêmes observations valent pour les autres préfixes latins (bi-, tri-, quadri-, multi-, omni-, pluri-) ou grec (poly-) qui expriment la quantité. Ainsi Girodet préconise-t-il la graphie omnisports « même au singulier », quand l'Académie tient l'adjectif omnisport pour variable en nombre mais pas en genre : « Un club omnisport. Des salles omnisports » (neuvième édition de son Dictionnaire).
Le TLFi note, par ailleurs, que multi- entre parfois en concurrence avec pluri- et avec poly-.
Ce qu'il conviendrait de dire
Une assurance multirisque (de préférence à multirisques).