Remarque liminaire : Dans cet article, participe passé sera abrégé en pp, complément d'objet direct en COD et complément d'objet indirect en COI.
Vous connaissez la règle :
1/ Le pp des verbes conjugués avec l'auxiliaire être (ou avec un verbe d'état) s'accorde comme un adjectif, avec le sujet. Elle est venue, elle semble contente. Cela nous est arrivé (et non Cela nous est arrivés). 2/ Le pp des verbes conjugués avec l'auxiliaire avoir s'accorde, en genre et en nombre, non pas avec le sujet mais avec le COD lorsque celui-ci existe et précède le participe. Les lettres qu'il a reçues (il a reçu quoi ? les lettres, COD placé avant le pp → accord) mais Il a reçu les lettres que je lui ai envoyées. Quels services il m'a rendus ! (il m'a rendu quoi ? des services, COD placé avant le pp) mais Il m'a rendu de grands services. Quels efforts avez-vous faits ? mais Vous avez fait des efforts. La mort nous a séparés (la mort a séparé qui ? nous, COD placé avant le pp) mais La mort a séparé les amoureux. Remarque : Pour l'accord du pp des verbes pronominaux, voir le rappel de la règle. |
Il résulte de cette règle :
1) que la justesse de l'accord du pp dépend de la bonne identification de son complément d'objet direct (ainsi nommé parce qu'il est construit directement, c'est-à-dire sans préposition). On se rappellera que le COD s'identifie en posant la question qui ? ou quoi ? au verbe analysé, alors que le COI répond à la question de qui / de quoi ? à qui / à quoi ? pour qui / pour quoi ? en qui / en quoi ? etc.
Les enfants que les jeunes filles ont accompagnés à l'école (auxiliaire avoir → recherche du COD → les jeunes filles ont accompagné qui ? les enfants, COD placé avant le pp → accord avec le COD les enfants).
NB : Attention, un verbe ne possède pas forcément de COD... ni parfois même de COI (on dit alors qu'il est intransitif, voir ci-dessous).
2) que les participes passés des verbes intransitifs et transitifs indirects ainsi que des verbes impersonnels ou employés de façon impersonnelle, lorsqu'ils sont construits avec l'auxiliaire avoir, sont invariables (puisque n'admettant pas de COD). Ils restent donc toujours au masculin singulier.
La pluie qu'il y a eu (= il y a eu de la pluie, forme impersonnelle).
Des résultats, à supposer qu'il y en ait eu (forme impersonnelle).
Ces livres nous ont plu (plaire est un verbe transitif indirect : ces livres ont plu à qui ? à nous, COI → pas d'accord).
Ces dames sont pressées. L'envie leur a pris de partir (prendre, au sens de « se manifester », est un verbe intransitif).
Rappel : Un verbe est intransitif s'il n'admet pas de complément d'objet (direct ou indirect), comme dîner, dormir... Un verbe est transitif indirect s'il n'admet qu'un complément d'objet indirect (= précédé d'une préposition) comme obéir à, user de...
Cela étant dit, il existe plusieurs cas particuliers qu'il est bon de connaître.
L'Académie précise que le pp s'accorde avec le nom qu'il complète, à condition qu'il qualifie bien celui-ci (voir l'article Fini).
Finies, les vacances ! (= les vacances sont finies → accord) mais Fini, les poux à l'école (ellipse de C'est fini, les poux → invariable).
En revanche, les participes approuvé, attendu, certifié, communiqué, entendu, fourni, lu, mis à part, ôté, ouï, passé, quitté, reçu, supposé, vu, ainsi que non compris, y compris, étant donné, excepté que, ci-joint, etc., placés immédiatement avant le nom (et a fortiori en tête de phrase) sont invariables (voir l'article Accord des locutions prépositives).
L'accord ne se fait avec le COD que si : 1/ le COD est placé avant le pp ; 2/ le COD fait l'action exprimée par l'infinitif.
La chorale que j'ai entendue chanter : j'ai entendu quoi ? la chorale (chanter), COD placé avant le pp, qui fait l'action de chanter : les 2 conditions sont remplies → accord.
La chanson que j'ai entendu chanter : j'ai entendu quoi ? chanter (la chanson), COD placé après le pp ; la chanson ne fait pas l'action de chanter → pas d'accord.
Les arbres que j'ai vu planter (j'ai vu quoi ? planter les arbres) mais Les arbres que j'ai vus fleurir (j'ai vu quoi ? les arbres fleurir).
Les cadeaux qu'il a pensé acheter (il a pensé quoi ? acheter les cadeaux), COD placé après le pp) mais Les cadeaux qu'il a achetés (il a acheté quoi ? les cadeaux, COD placé avant le pp).
Remarque 1 : Le participe passé fait suivi immédiatement d'un infinitif reste invariable, parce qu'il fait corps avec ledit infinitif et constitue avec lui une périphrase factitive (voir ce billet).
Les bouteilles qu'ils ont fait tomber. Votre maison, vous l'avez fait construire ? (Le pronom qui précède ne peut jamais être complément de fait ; il l'est de l'ensemble factitif avoir fait + infinitif.)
De même : Elle s'est fait maigrir. Elle s'est fait surprendre.
Remarque 2 : Selon l'Académie, l'application de la règle générale au verbe laisser « étant parfois malaisée, particulièrement dans les formes pronominales, et l'accord restant incertain dans l'usage, on pourra, comme pour le verbe faire, généraliser l'invariabilité du participe passé de laisser dans le cas où il est suivi d'un infinitif ». L'accord selon la règle générale (entre parenthèses dans les exemples ci-dessous) ne saurait pour autant être considéré comme fautif.
Je les ai laissé(s) faire. Je les ai laissé(s) partir.
Elle s'est laissé(e) mourir, mais Elle s'est laissé séduire.
Remarque 3 : Les participes des verbes d'énonciation et d'opinion (affirmé, cru, daigné, demandé, désiré, dit, dû, espéré, imaginé, fallu, osé, pensé, permis, prétendu, promis, prévu, pu, semblé, songé, su, voulu...) restent invariables dès lors qu'ils sont suivis d'un infinitif, exprimé ou sous-entendu.
Il a fait tous les efforts qu'il a pu (faire). Il m'a donné tous les renseignements que j'ai voulu (obtenir).
Il ne s'agit là, en fait, que d'une résultante de la règle générale, puisque le complément (par exemple, les efforts) est COD de l'infinitif sous-entendu (faire) et non pas du pp pu (ou, présenté différemment, il a pu quoi ? faire des efforts, COD placé après le pp → pas d'accord).
C'est le même principe qui impose d'écrire : La route que j'ai cru être la plus courte. En effet, il y a ici invariabilité parce que l'on est contraint de considérer que l'objet direct est la proposition infinitive : j'ai cru quoi ? que cette route était la plus courte.
Remarque 4 : Lorsqu'une préposition (à ou de) est intercalée entre le pp et l'infinitif, l'accord se fait selon la règle générale, rappelée en début d'article.
Les villes qu'ils ont eu à visiter (ils ont eu quoi ? à visiter les villes, les villes est COD de visiter, pas de ont eu → pas d'accord) mais Les chemises que j'ai données à repasser (j'ai donné quoi ? les chemises, COD placé avant le pp → accord).
La règle rappelée en début d'article s'applique : le pp s’accorde avec le COD lorsque celui-ci précède le pp − même si Grevisse note que, dans la pratique, l'invariabilité est également observée (notamment avec les participes cru, su, dit, trouvé, voulu et leurs synonymes exprimant une opinion). Encore convient-il de déterminer correctement ledit COD.
Des femmes qu'il avait crues intègres, qu'il avait trouvées charmantes (intègres et charmantes sont ici analysés comme attributs du COD femmes) mais l'absence d'accord est également admise : Des femmes qu'il avait cru intègres, qu'il avait trouvé charmantes (dans ce cas, l'analyse est la suivante : il avait cru quoi ? que les femmes étaient intègres, qu'elles étaient charmantes → c'est toute la proposition qui est COD, d'où l'invariabilité du participe passé).
Une maison qu'on aurait dit(e) ancienne (de même, deux analyses sont possibles, en raison du flottement de l'usage : on aurait dit quoi ? que la maison est ancienne → invariabilité ; on aurait dit la maison ancienne → accord avec le COD maison).
La route que j'ai cru(e) la plus courte, mais la route que j'ai cru être la plus courte (voir remarque 3 ci-dessus).
Une information qu'il n'a pas jugé(e) utile mais Une information qu'il n'a pas jugé utile de révéler (information est ici COD de révéler, pas de juger).
Cette femme, nous l'avons choisie comme présidente. Ils l'ont laissée pour morte (dans ces exemples, l'accord est de rigueur, puisque le COD ne peut être que le nom ou le pronom seul).
Remarque : Selon certains réformateurs, la différence entre formes accordées et formes invariées serait même porteuse de sens. Comparez : Une chienne que le vétérinaire m'a rendu malade (il l'a fait devenir malade) et Une chienne que le vétérinaire m'a rendue malade (il me l'a rendue et elle était malade). Force est de constater que cette subtilité n'est pas (encore ?) entrée dans l'usage et que l'invariabilité autrefois préconisée par Vaugelas (« Les habitans nous ont rendu maistres de la ville. Le commerce l'a rendu puissante ») a depuis longtemps cédé le pas à l'accord : « Il l'avait rendue fort malheureuse » (Flaubert), « Cet accident l'a rendue sourde. Le succès l'a rendue présomptueuse » (Dictionnaire de l'Académie).
Le pp dont l’objet direct est le pronom personnel élidé l’ ne varie pas quand l’ équivaut à cela, qui est masculin singulier.
Ces épreuves sont plus difficiles que je l'avais cru (= que j'avais cru cela) mais Cette épreuve, je l'ai trouvée difficile.
Là encore, il ne s'agit que d'une résultante de la règle générale, puisque le COD est le pronom sous-entendu cela, placé après le pp, et non ces épreuves (qu'ai-je cru ? cela, pas les épreuves).
En revanche, il est généralement admis que le pp dont l’objet direct est en ne varie pas (Thomas, Grevisse, Hanse, Académie) : d'ordinaire, en est considéré comme un partitif neutre équivalant à « une partie de cela, de lui, d'eux... » (ces fleurs, j'en ai cueilli = j'ai cueilli de ces fleurs), non plus comme un pronom personnel reprenant le genre et le nombre du nom représenté. De même, l'invariabilité est le plus souvent de mise quand en est complément d'un adverbe de quantité (même s'il n'y a pas unanimité des grammairiens sur ce point comme sur le précédent).
Ces gâteaux, j'en ai mangé beaucoup, je les ai même tous mangés. Ces gâteaux, combien en avez-vous mangé ? (ceux qui considèrent que l'adverbe de quantité combien, placé avant en, commande l'accord écriront : combien en avez-vous mangés ?).
J'en ai connu, des imbéciles ! mais Je n'apprécie guère la description qu'il en a faite (ici, en est COI ; l'accord se fait avec description, COD placé avant le pp).
Certains verbes toujours intransitifs (dormir, durer, marcher, régner, etc.) peuvent avoir un complément circonstanciel (de durée, de mesure, de poids ou de prix, identifié en posant les questions où, quand, comment, combien, etc. ?) que l'on ne confondra pas avec un complément d'objet direct.
Les deux heures qu'a duré sa sieste (deux heures est ici complément circonstanciel de durée et non COD : sa sieste a duré pendant deux heures → pas d'accord).
Sur le même principe, le pp des verbes tels que courir, coûter, mesurer, peser, souffrir, valoir, vivre est invariable quand il est employé au sens propre (verbes intransitifs) et variable quand il est employé au sens figuré (verbes alors transitifs).
Les kilomètres que nous avons couru (kilomètres est complément circonstanciel, car il s'agit d'une distance : nous avons couru sur combien de kilomètres ? et non nous avons couru quoi ?) mais Les dangers que nous avons courus (nous avons couru quoi ? que mis pour des dangers, COD placé avant le pp). En d'autres termes, on peut courir des dangers mais on ne court pas des kilomètres (ni des heures).
Peux-tu me rembourser les dix euros que m'a coûté ce livre ? (dix euros est complément circonstanciel de prix) mais Imagines-tu les efforts que ce travail m'a coûtés ? (efforts, COD placé avant le pp).
Il pense aux années qu'il a vécu (= pendant lesquelles il a vécu) mais Il pense à la romance qu'il a vécue.
Quant au verbe payer, il peut avoir un complément d'objet et un complément circonstanciel de prix.
Les cent euros que j'ai payé ces chaussures (j'ai payé combien ?) mais Ces chaussures, je les ai payées cent euros (j'ai payé quoi ?) et La dette que j'ai payée (j'ai payé quoi ?).
On notera toutefois que les verbes avoir, dépenser, gagner, parier, perdre, rapporter ainsi que passer restent transitifs.
Les cent euros qu'il a dépensés, qu'il a perdus, qu'il a eus à sa disposition. Les années qu'il a passées au Canada.
Vous dites que votre fille a eu dix ans. Quand les a-t-elle eus ?
Dans les expressions figées, le pp reste désormais invariable. Il en est ainsi de la formule Elle l'a échappé belle (= échapper de justesse à un danger), où le COD l' fait pourtant référence à la balle du jeu de paume qui, bien que belle (c'est-à-dire facile à renvoyer), en vient à être manquée (« échappée »).
Subtilités
La course que j'ai terminée en premier (j'ai terminé en premier quoi ? que, mis pour la course, COD placé avant le pp) mais L'équipe qui a gagné la course est celle qui a terminé en premier (dans la première proposition relative, le COD est placé après le pp ; dans la seconde, il n'y a pas de COD : qui (l'équipe) a terminé en premier).
Les choses que j'ai entendues mais Les choses que j'ai entendu dire.
L'idée qu'il (ou qui) lui a pris (tour impersonnel où idée est sujet réel de prendre : « l'idée qui s'est manifestée soudainement chez lui ») mais L'idée qu'il lui a prise (tour personnel où idée est COD de prendre : « l'idée qu'il lui a volée »).
Des pressions qu'il a prétendues insupportables mais Des pressions qu'il a prétendu subir.
Que de difficultés avons-nous rencontrées avant de parvenir au résultat !
La voiture que j'ai fini par acheter (voiture est COD d'acheter, pas du participe passé fini, qui reste donc invariable).
Remarque 1 : La règle d'accord du participe passé avec l'auxiliaire avoir est souvent attribuée à Clément Marot (1496-1544), poète à la cour de François Ier, qui l'aurait proposée en imitation de la grammaire italienne par ces vers restés fameux : « Enfants, oyez une leçon / Notre langue a cette façon / Que le terme qui va devant / Volontiers régit le suivant... » La règle de Marot n'aurait connu à son époque qu'un succès relatif, comme en témoigne ce non moins célèbre poème d'un Ronsard qui écrivait encore en 1552 : « Mignonne, allons voir si la rose / Qui ce matin avait déclose / Sa robe de pourpre au soleil… » C'est que, selon un ancien usage remontant au Moyen Âge, le participe passé s'accordait toujours avec le COD, quelle que soit sa place dans la phrase. Ce n'est que trois siècles de flottement plus tard que l'école républicaine finira par imposer la nouvelle règle à des élèves bien embarrassés.
Remarque 2 : Voir également l'accord du participe passé avec gens, avec un des et avec cela.
Remarque 3 : On s'étonne de ne pas voir mentionnée dans le Petit Larousse illustré (édition 2005, en ce qui me concerne) l'acception intransitive du verbe mesurer (« avoir pour mesure »). Cet oubli laisse accroire que, dans une phrase comme « Les cinq kilomètres de long qu'a autrefois mesuré ce glacier ont fondu comme neige au soleil », l'accord du participe passé est de rigueur, alors qu'il n'en est rien !
Passé ou non, l'essentiel est de participer (pour paraphraser Pierre de Coubertin)
(photo wikipedia)