« Elle était à demi-nue quand ils sont rentrés. »
(paru sur lefigaro.fr, le 10 février 2018)
Ce que j'en pense
« Obtiendrez-vous un sans-faute à ce test d'orthographe ? » Autant le dire d'emblée, le défi lancé par Le Figaro sur son site Internet n'est pas à la portée du premier venu... ni même du candidat chevronné. Car enfin, s'entendre rétorquer que le trait d'union est requis dans « à demi-nue » : avouez qu'il y a de quoi tomber des nues (et pas qu'à demi) !
Mais où l'auteur dudit questionnaire est-il allé pêcher pareille consigne ? Pas chez Girodet : « Elles sont à demi mortes de fatigue. » Pas chez Thomas : « Ces enfants sont à demi morts de froid. » Pas chez Hanse : « Des malheureuses à demi mortes de faim. » Pas chez Larousse : « Être à demi éveillé. » Pas chez Robert : « Elle est à demi sourde. Ils sont à demi morts. » Pas même dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie : « À demi, à moitié. Une bouteille à demi pleine. Des verres à demi vides. Par ext. Partiellement, approximativement. Une statue à demi voilée. Elle se promenait à demi nue. » (1)
Tout porte à croire que le malheureux s'est emmêlé les pinceaux (à poils demi-longs) entre demi et à demi. Car s'il est vrai que demi reste invariable et est suivi d'un trait d'union quand la langue classique ou littéraire l'emploie adverbialement au sens de « presque » devant un adjectif ou un participe passé, la langue ordinaire lui préfère la locution invariable à demi (et surtout à moitié) qui, elle, refuse le trait d'union. Comparez : Il est demi-mort, demi-fou et Il est à demi mort, à demi fou. Les écrivains ne s'y sont pas trompés : « Mais quand l'ardente Canicule / [...] demi-nus se troussoit les bras » (Ronsard), « Des pauvres gens demi-nus » (Dominique Bouhours), « Ses bras sortaient de ce châle, demi-nus, violets de froid » (Zola), « Ce sont d'immondes penailleux, demi-nus » (Pierre Loti), « Elle est demi-nue : une chemise mauve [...] s'applique doucement, au mouvement de sa marche, sur le galbe de son ventre » (Henri Barbusse), mais « Elle grelottait à demi nue dans des guenilles » (Hugo), « Celle-ci, à demi nue en Diane chasseresse » (Balzac), « Femmes et hommes étaient descendus dans la mine, à demi nus » (Albert Camus), « Evelyne, allongée à demi nue sur un caillebotis en bois » (Jean-Marie Rouart).
Pour ne rien simplifier, la préposition à peut à l'occasion introduire un syntagme nominal où demi est un adjectif, lequel se lie régulièrement par un trait d'union au nom qui suit (2) : à demi-mot, à demi-voix, à demi-tarif, etc. C'est pourquoi la règle énoncée par la plupart des spécialistes tend à regrouper les deux constructions − pourtant distinctes : (à demi) + adjectif et à (demi- + nom) − en un raccourci que d'aucuns pourront trouver abusif : « La locution invariable à demi s'emploie sans trait d'union devant un adjectif ou un participe, avec un trait d'union devant un nom » (Bescherelle).
La langue, quand elle s'amuse à nous tendre des pièges, ne fait décidément pas les choses... à moitié !
(1) L'honnêteté m'oblige toutefois à préciser que l'on trouve sous la plume pourtant avisée du grammairien René Georgin ces deux contre-exemples que je ne m'explique pas : « Des foules à demi-dégrossies », « Faire revivre ce temps à demi-mort ».
(2) Voir le billet Demi.
Ce qu'il conviendrait de dire
Elle était à demi nue.