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Ça ne le fait pas...

« J'avais une tomate, mais je me la suis faite voler. »

(entendu dans une publicité télévisée pour Intermarché)

 

FlècheCe que j'en pense


Jouer la carte de l'humour, c'est bien. Le faire en bon français, c'est mieux.

« Je me la suis "faite" voler ! Ça ne vous a pas arraché les oreilles ? », « Il est choquant de voir des publicitaires faire des fautes de français. On dit je me la suis fait voler », s'étrangle-t-on ces jours-ci sur les forums de langue. Autant dire que les tomates ne sont pas perdues pour tout le monde et que quelques-unes n'ont pas manqué de voler contre la nouvelle campagne de publicité des Mousquetaires...

Las ! les grammairiens ont beau répéter à l'envi que fait, suivi immédiatement d'un infinitif, doit rester invariable, rien n'y fait. L'accord se répand dans les médias comme la sauce bolognaise sur sa platée de spaghettis : « Nos ancêtres qui ont fait la Révolution et [...] se la sont faite voler » (AgoraVox, 2014), « Ils me demandent ma carte d’identité, mais je me la suis faite voler récemment » (Rue89, 2016), « Ce propriétaire [d'une Lamborghini] se l'est faite voler » (Auto Plus, 2018), « Sa caravane [...], Freddo se l'est faite voler » (France 3, 2021), « Mon mari m'a racheté notre bague de mariage, je me l'étais faite voler dans le cambriolage » (Purepeople, 2023), « Si vous l'[= votre carte bancaire] avez perdue, que vous vous l'êtes faite voler » (site de la banque CIC, 2024), etc. Cerise sur la tomate, l'oreille ne serait pas le moyen le plus fiable de se prémunir contre ce genre d'écueil, à en croire le linguiste belge Marc Wilmet : « Le populaire Elle s'est faite rattraper [...] profite aussi de la liaison orale devant les infinitifs à initiale vocalique : Elle s'est fait avoir, etc. »

À la décharge des contrevenants, reconnaissons que le cas présent est particulièrement piégeux. Car enfin, me rétorquera-t-on avec quelque apparence de raison, le pronom féminin la précède bien fait dans l'exemple qui nous occupe ; pourquoi la règle générale d'accord du participe passé avec son objet direct antéposé ne s'appliquerait-elle pas ? Hanse voit rouge : parce que « le pronom qui précède ne peut jamais être complément de fait, il l'est de l'ensemble factitif avoir fait + infinitif », répond-il vertement. Autrement dit, dans la phrase Je me la suis fait voler (que la grammaire traditionnelle analyse en « je l'ai fait voler à moi-même »), me et la sont respectivement objet indirect et objet direct de la locution verbale avoir fait voler et non pas du participe fait (sur l'accord duquel ils n'ont donc aucune influence). L'invariabilité est de rigueur. (*)

On retiendra qu'avec la tomate les pépins ne sont jamais bien loin...


(*) A fortiori quand l'objet direct est postposé : Elle s'est fait voler la tomate (et non Elle s'est faite voler la tomate, après accord fautif cette fois avec le sujet).


Remarque : Voir également les billets Accord du participe passé des verbes pronominaux, Venons-en au fait(e) et Pris sur le fait(e).

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


J'avais une tomate, mais je me la suis fait voler.

 

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D
Bonjour,<br /> je crois que c’est pareil pour le verbe « laisser » mais avec plus de ‘tolérance’ ?!
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K
Vraisemblablement, on apprend mieux en écoutant qu'en parlant : c'est la valeur de l'exemple. Et pour vendre, les formes correctes ne sont pas porteuses. L'utilisation d'un argot au travail est assez significative.
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