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À vos tablettes !

« Jean-Luc Mélenchon profite de la guerre en Ukraine pour promouvoir son agenda anti-nucléaire. »
(paru sur X, le 12 mars 2025)

 

FlècheCe que j'en pense


Est-il besoin de rappeler que les spécialistes de la langue voient d'un très mauvais œil l'emploi du mot agenda en dehors de son sens traditionnel de « carnet comportant un calendrier et dans lequel on inscrit pour chaque jour ce que l'on se propose de faire » (selon la définition du Dictionnaire de l'Académie) ? Rapide tour d'horizon, histoire de se rafraîchir la mémoire :

« Voici quelques-uns de ces anglicismes : agenda (pour programme)... » (René Georgin, Comment s'exprimer en français ?, 1969).
« Agenda. Anglicisme, lorsqu'on l'emploie pour désigner la liste des rubriques discutées à une réunion » (Robert Dubuc, linguiste québécois, Deux cents fautes à corriger, 1971).
« C'est sous l'influence de l'anglais qu'on utilise le mot [agenda] pour désigner le calendrier des activités, l'ordre du jour d'une réunion, le programme d'un événement ou le fait qu'un sujet est d'actualité » (Paul Roux, Lexique des difficultés du français dans les médias, 1997).
« On lit et on entend de plus en plus fréquemment, par exemple, que le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies s'est fixé un nouvel agenda, ou que telle réforme ne figure pas actuellement à l'agenda du gouvernement. Le mot agenda employé dans ce sens est un pur anglicisme. En effet, il signifie en anglais "ordre du jour", par suite "programme, projet", et de façon générale, tout ce que l'on a l'intention ou l'obligation de faire » (Bernard Cerquiglini, Petites Chroniques du français comme on l'aime, 2012).
« Le petit carnet que l'on promène sur soi pour y noter ses rendez-vous [est] l'unique sens du mot agenda en français » (Mission linguistique francophone, 2016).
« On évitera d'ajouter [au sens traditionnel du nom agenda] celui de programme, c'est-à-dire la suite d'actions qu'on s'impose d'accomplir dans un but donné, le plan que l'on a établi à l'avance. En effet, employer agenda en ce sens est un anglicisme » (rubrique Dire, ne pas dire du site Internet de l'Académie, 2018).
« Le nom agenda désigne un carnet prédaté ou, par extension, les affaires à traiter durant une période déterminée. L’emploi de ce mot est cependant déconseillé au sens de "programme, ordre du jour" d’une réunion, puisqu’il s’agit d’un emprunt à l’anglais » (Office québécois de la langue française, 2018).

Oserai-je rompre cette belle unanimité en déclarant que c'est là un bien mauvais procès que l'on fait à ce malheureux agenda ?

À l'origine est le latin agendus, adjectif verbal de agere (« faire, agir »), employé comme substantif neutre pluriel au sens général de « choses à faire, actions à mener » : « Agenda et omittenda demonstrat [(la philosophie) montre ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter] » (Sénèque, Ier siècle), puis, en latin médiéval (où le mot est parfois pris pour un féminin singulier [1]), au sens ecclésiastique de « service divin, office religieux » : « Agenda [...] celebrare » (Concile de Carthage, 390), « Agenda matutina vel vespertina [les laudes et les vêpres] » (saint Benoît, vers 540), et au sens administratif de « ordre du jour » : « Concilii agenda » (Otton de Freising, 1157). « De là à désigner sous le nom d'agenda un livre indiquant l'ordre à suivre dans les offices [religieux], la transition était facile », lit-on dans l'Encyclopédie des sciences religieuses (Eugène Bersier, 1877). Et voilà comment le latin agenda s'est enrichi d'un sens concret, attesté dès le milieu du XIIe siècle : « Quatuor missales libri et [...] una agenda cum epistolario et baptisterio » (Die Handschriften der Bibliothek zu Wolfenbüttel, manuscrit daté de 1144). Furetière confirme de mémoire : « [En latin,] on a appellé aussi agenda les livres de baptêmes, et ceux qui se lisoient dans le chapitre. On l'a dit ensuitte des affaires du royaume [agenda regni] et enfin de celles des particuliers » (Dictionnaire, 1690).
C'est, nous dit-on (2), ce sens concret qui serait passé en français, alors que l'idée abstraite de « (liste de) choses à faire » se serait maintenue en anglais pour aboutir au sens étendu de « programme idéologique ou politique ». Voilà qui mérite que l'on y regarde de plus près.

Quand le latin agenda s'invite dans notre lexique, à la fin du XIIIe siècle, c'est d'abord sous la forme francisée féminine agende (ou agente) – attestée notamment chez les Chartreux au sens de « livre de messe employé pour l'office des morts » –, puis avec sa livrée romaine, mais au masculin singulier, pour désigner un registre de comptes municipal : « [La] caution sera inserée dans l'agenda de la Chambre pour la conservation d'un chacun » (Les Coustumes de la Salle et Chastellenie d'Ipre, 1535) et, par extension, un carnet sur lequel on note ce que l'on a fait ou ce que l'on a à faire : « [Il] tenoit les yeux fichez sur un petit papier de la grandeur des agenda du pere Cotton » (César de Plaix, 1606), « Librillo de memoria, agenda, tablettes à escrire » (Antoine Oudin, Le Tresor des deux langues espagnolle et françoise, édition de 1645), « J’ay mis sur un agenda quelques mots que j’avois peur d’oublier » (Nicolas Fouquet, 1664), « Le serviteur étoit à foüiller dans sa poche : Attendez, que je voye un peu nôtre agenda » (Michel Mourgues [3], 1694) (4). Est-ce à dire que le sens abstrait n'existait pas dans l'ancienne langue ? Ce serait avoir la mémoire courte...

Que l'on songe, tout d'abord, à la définition donnée par l'Académie dans la première édition de son Dictionnaire (1694) : « Memoire des choses que l'on a à faire. Avoir un agenda, mettez cela sur vostre agenda. [Le mot] se dit aussi des tablettes où l'on escrit ce memoire. Il porte tousjours un agenda dans sa poche. » La distinction (encore présente dans l'édition de 1798) entre les deux acceptions n'est pas anodine. Car enfin, quel est donc ce mémoire des choses à faire, je vous le demande, si ce n'est l'ancêtre de la to-do list d'outre-Manche ? « [Sire, je] faisois des estats et mémoires pour vos affaires, avec un agenda de tout ce qu'il faut que je fasse aujourd'huy » (Sully, 1607). Parfois, il est simplement question d'évènements dont on veut conserver la mémoire : « Je desire de faire un agenda de ce qui s'est passé entre luy et ce pauvre Picard [...] afin que toutes les villes en ayent la cognoissance » (La Trompette françoise, 1616), « Faire un agenda sur le champ de tout ce qui se passe au dedans de nous-mêmes » (Jean Barrin, 1683). On le voit : en français comme en latin (médiéval), agenda a aussi bien désigné, par le jeu de la métonymie, le contenant (le carnet) que le contenu (les informations qui y sont consignées).

Vous faut-il une preuve supplémentaire de ce que j'avance ? En voici trois :

« Faittes en [= de mon affaire], s'il vous plaist, un article de vostre agenda » (Jean Chapelain écrivant à Voiture pour solliciter son appui dans un procès, 1640). Réponse de l'intéressé : « Quelque affaire que je puisse avoir, je mets la vostre au premier rang dans mon agenda. »
« Il tira de sa poche Un papier, et me commanda Que je leusse son agenda ; Je m’y vy le premier en teste » (François Le Métel de Boisrobert, 1659).
« Je m'en [= de votre affaire] souviens bien, vous êtes le premier sur mon agenda » (Tallemant des Réaux, avant 1692).

De être au premier rang ou en tête dans, sur un agenda à to be at the top of the agenda (être en tête de l'ordre du jour), avouez qu'il n'y a pas loin...
Et que dire encore des emplois suivants : « Si d’ici vous voulez suivre mon agenda » (Charles de Brosses, 1740), « Il obéit exactement, et suivit un agenda que sa mère lui remit, pour les affaires de la maison » (Restif de La Bretonne, 1779) ; « Il nous sembloit que Buonaparte s'étoit fait de ce recueil [de divers écrits de Machiavel] un agenda politique » (Henri Nicolle, 1816) ; « L'ordre du jour est l'agenda de tout le monde » (André Dupin, Compte rendu des séances de l'Assemblée nationale, 1851) ? Ceux qui s'offusquent aujourd'hui que l'on puisse suivre un agenda (5) ou avoir un agenda politique en seront pour leurs frais.

Entendons-nous bien. Loin de moi l'intention de minimiser l'influence de l'anglais – perceptible dès la fin du XVIIIe siècle (6) – dans cette affaire. Je me contente ici d'observer que l'extension du sens de agenda était en préparation de longue date dans notre langue... et qu'elle a désormais la caution de plus d'un bon auteur :

« Une lettre de Ronald Reagan qui propose un agenda pour Williamsburg » (Jacques Attali, 1983), « Un agenda de rencontres quadripartites » (Alain Minc, 1990), « [Le mot agenda] désigne un calendrier-programme » (Alain Rey, 2001), « La question de Berlin est inscrite à l'agenda du sommet parmi d'autres problèmes brûlants » (Hélène Carrère d'Encausse, 2017), « Utiliser le [corona]virus pour pousser un agenda, pour accélérer la venue du monde d'après, [...] je trouve que c'était indécent » (Bernard-Henri Lévy, à l'oral, 2020), « La liste des dix-sept objectifs de développement durable, dans le cadre de l’agenda 2030 des Nations unies » (Maurizio Serra, 2022).

Cela dit, on est fondé à se demander avec Myriam de Beaulieu, interprète à l'ONU, s'il n'y a pas désormais « une polysémie excessive du mot agenda » – pour mémoire, « carnet prédaté », « ordre du jour, liste des points à aborder », « programme, ligne d'action »... mais aussi, à en croire le Larousse et le Robert en ligne, « emploi du temps » : « Marceline invoqu[e] un agenda chargé » (Henri Duvernois, 1919), « [La place du sport] s’inscrit dans son agenda avec une régularité qui étonne » (Yves Pouliquen, 2003), « Devenu plus maître de mon agenda » (Éric-Emmanuel Schmitt, 2018), « Barbara n'est pas là, son agenda la retient en Allemagne » (Étienne de Montety, 2023), « Votre agenda avant l'immortalité ? » (Marc Lambron, 2024).

Là n'est pas, hélas ! le seul écueil que nous réserve le substantif agenda. Il faut encore s'entendre sur :

  • sa prononciation : l'Académie sème le trouble en préconisant la prononciation à la latine dans son Dictionnaire (« En se prononce in », comme dans examen) mais la prononciation à la française sur son site Internet (« Les mots latins qui sont entrés depuis longtemps dans la langue française se prononcent à la française ; c’est le cas d’agenda, qui est apparu au XVIe siècle et n’est plus senti comme un mot latin ») (7) ; Marie-Josèphe Berchoud (Écrire et parler le bon français, 2004) admet, quant à elle, la prononciation ajun (mais pas ajan) à côté de ajin ;
  • sa forme au pluriel : « Le mot agenda, tiré de toutes pièces de la langue latine, a commencé par s'écrire sans s au pluriel ; mais aujourd'hui qu'un assez long usage [l'a assimilé aux autres mots de la langue, il doit suivre la règle commune et prendre la marque du pluriel : un agenda, des agendas] » (Grand Larousse du XIXe siècle, 1866), mais « Agenda est invariable (c'est déjà un pluriel en latin) » (Berchoud, 2004) ;
  • sa construction comme complément : « L'agenda constituant un volume, on dit dans l'expression soignée noter dans son agenda (noter sur son agenda, fréquent dans l'expression orale relâchée, est à éviter, en particulier à l'écrit) » (Larousse en ligne), mais « Écrivez cela sur votre agenda » (Littré, 1863), « J'ai tout noté sur mon agenda » (Dictionnaire de l'Académie, 1992), « Avec le nom des livres qui ont la forme de répertoires (registre, annuaire, agenda, carnet, etc.), la préposition sur est fréquente [...] mais dans se trouve aussi et se justifie fort bien » (Goosse, 2011), « Agenda [et les noms de] répertoire en général se construisent avec les prépositions à, dans ou sur : à marque simplement l'endroit (un point dans l'espace), dans l'emplacement à l'intérieur d'un volume et sur, une surface » (Irène Kalinowska, La Préposition, 2013).

Il en va décidément de l'agenda comme de la mémoire : tous deux n'ont pas fini de nous jouer des tours...
 

(1) « Agenda est un terme fort ancien du latin d’Église. Signifiant littéralement "les choses qui doivent être faites", il s’est employé dans la langue liturgique comme désignation de l’ensemble des actes (formules, prières, chants, rites, etc.) se succédant dans un ordre consacré pour constituer une cérémonie religieuse. Quand il est joint à un déterminatif qui précise la nature de ce service religieux, il devient à peu près l'équivalent de "office, cérémonie" : agenda mortuorum, l’office des morts ; agenda missarum, la messe, etc. Par abréviation, le mot se trouve aussi employé seul [souvent comme équivalent de "office des morts"]. On remarquera que l’ancien pluriel neutre s’est changé de bonne heure en féminin singulier. C’est là un processus bien connu dans les langues romanes, par lequel, grâce à l'identité de terminaison, l'idée primitive de pluralité fait place à celle d'un ensemble collectif ["l'ensemble de la cérémonie, la manière de la célébrer"] exprimé par un féminin singulier en -a » (Jules Jeanjaquet, Le Livre liturgique des ayndes dans le diocèse de Lausanne, 1943).

(2) « Le français aurait pu emprunter le mot latin [agenda] avec le sens que lui a donné l’anglais ; il se trouve qu’il ne l’a pas fait » (Jean Darbelnet, Le Français en contact avec l'anglais en Amérique du Nord, 1976), « Comme on le voit, le sens anglais est proche de la signification latine ; il lui est même très fidèle. L'utilisation du terme français agenda au sens de "actions que l'on doit conduire" correspond donc à un ressourcement latin de ce mot ; on pourrait par conséquent accepter l'évolution d'emploi actuelle du mot agenda... Mais c'est aussi un anglicisme » (Bernard Cerquiglini, Petites Chroniques du français comme on l'aime, 2012).

(3) C'est, semble-t-il, par erreur que le Dictionnaire de Trévoux (édition de 1752) attribue cette citation à La Fontaine.

(4) Ces exemples montrent assez, contrairement à ce que laisse entendre l'Académie dans la dernière édition de son Dictionnaire, que l'agenda du XVIIe siècle n'a pas grand-chose à voir avec celui que nous connaissons aujourd'hui (et je ne parle pas du support électronique...) : « [Si les agendas de Vauban] sont des feuillets d'écriture (cousus ou non) le plus souvent datés, ce ne sont jamais des carnets comportant des calendriers », observe Michèle Virol (Louis XIV et Vauban, 2017). Ce n'est qu'au cours des siècles suivants que le livret destiné à noter les choses dont on veut se souvenir « a reçu des développements importants, par l'adjonction, aux pages blanches réservées pour l'inscription des notes, [d'un calendrier et] d'un certain nombre de renseignements d'une utilité journalière, suivant la catégorie de personnes auxquelles ils sont destinés » (Grand Larousse du XIXe siècle, 1890).

(5) « Depuis peu, le terme d'agenda, au sens anglo-saxon, est venu polluer le français. Ceci est surtout le fait des journalistes et des hommes politiques [...]. L'ONU suit son agenda de manière très précise. Comment peut-on suivre un agenda ? » (site barbarisme.com).

(6) « [Il adressa] un agenda-politique aux diverses puissances de l'Europe » (Gazette de Londres, 1791), « Le comité prépare une feuille d'agenda [...]. On prend en considération l'ordre du jour, en suivant l'indication de l'agenda » (traduction du texte anglais du Règlement de l'Hôpital de la Magdeleine, 1803), « On commença à deux heures l'examen des propositions inscrites à l'ordre du jour (agenda) » (Robert Pinot rendant compte du 29e Congrès des syndicats ouvriers britanniques, 1896), « L'agenda de la deuxième assemblée de la Société des Nations mentionne en effet cette matière » (Revue de droit international et de législation comparée, 1921).

(7) Les deux prononciations sont signalées sans réserve dans le Wiktionnaire et le dictionnaire Usito.

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


La même chose ? ou, pour ne pas prêter le flanc à la critique, sa ligne, son programme anti-nucléaire.

 

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C
Synthèse intéressante comme toujours ! <br /> Pour compléter la revue, on peut ajouter que nos voisins suisses emploient couramment le verbe 'agender' pour des réunions ou des évènements dont on fixe clairement la date. Cette ligne de démarcation simple et intuitive peut être considérée comme satisfaisante et pérenne malgré les évolutions de sens : l'abus commence dès que l'on perd la notion de calendrier et d'actes à accomplir. Un vague programme ou des intentions ne constituent donc pas en soi un agenda, c'est leur expression matérielle qui en est un.
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