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Coup de théâtre

« Les scénettes personnalisées proposées par le théâtre en entreprise demeurent un vrai travail d'équipe. »
(Anaïs Binghinotto et Melchior Gormand, sur rcf.fr, le 14 février 2025)  

 

FlècheCe que j'en pense


Plantons d'emblée le décor : côté cour, le mot saynète ; côté jardin, son (quasi) homophone scénette ; à l'affiche, une querelle d'opérette qui oppose les protagonistes depuis près de deux siècles...
Dans la salle fusent les cris des spécialistes de premier et second rang :

« Le mot scénette – cela étonnera peut-être, mais c'est ainsi – n'existe pas dans notre langue, vous ne le rencontrerez dans aucun dictionnaire ; et cependant il semble comme un diminutif rationnel du mot scène. Il n'existe que des saynètes (menus ouvrages théâtraux, anodins, à peu de personnages) » (journal La Voix du combattant, 1938).
« Scénette, mot français inexistant » (Henri Jacquier, "Fautes" de français en roumain, 1961).
« C'est un barbarisme graphique que d'écrire scénette au lieu de saynète. Le mot scénette, pour dire "petite scène", n'existe pas » (Jean-Pierre Colignon et Pierre-Valentin Berthier, Pièges du langage, 1978).
« Ne pas écrire *scénette [le signe * indique ici que le mot est un barbarisme] » (Girodet, 1981).
« Une courte pièce est une saynète (et non une scènette [sic], mot qui n'existe pas [et pour cause !]) » (Jean-Joseph Julaud, Le Français correct pour les nuls, 2004).
« La saynète n'est pas une petite scène. D'ailleurs, le mot "scénette" n'est attesté dans aucun dictionnaire » (Philippe Dessouliers, 30 Dictées, 2015).
« Quoi qu’on en pense et quoi qu’on en lise, le mot "scénette" n’existe pas [...]. Il est absent des dictionnaires Larousse et Robert » (site du Projet Voltaire, 2015).
« Le mot *scénette n'existe pas » (Julien Soulié, Le Petit Livre de l'orthographe, 2017).
« Saynète : On n'aura pas confondu ce synonyme de sketch avec une "scénette" qui n'existe pas » (Bruno Dewaele, sur son blog, 2019).
« Une petite scène se dit une saynète et non une scénette » (Nicolas Lacaze, Mission orthographe, 2021).
« Le mot scénette, avec lequel on confond logiquement saynète, n'existe pas dans l'usage » (Karine Germoni, 300 Dictées d'écrivains, 2021). (1)

A-t-on idée, aussi, de nous tendre un pareil piège, où l'oreille se joue de la logique pour mieux nous savonner... les planches ! Pour autant, j'y regarderai à deux fois avant de mêler ma voix à celle de la cabale. Car enfin, c'est une chose que de nous mettre en garde contre l'orthographe si particulière de saynète : « Ce nom d'origine espagnole désignant une petite comédie bouffonne ne s'écrit pas "scénette" » (Jacques Capelovici, Guide du français correct, 1992), « Saynète, dont l'origine est peu connue, est souvent rapproché à tort de scène et écrit scénette » (rubrique Dire, ne pas dire du site Internet de l'Académie, 2016) (2) ; c'en est une autre que de tenir le mot scénette pour un barbarisme.

Ignoré des lexicographes, le malheureux ? Qu'importe ! Régulièrement formé (sur le modèle de pièce, piécette – notez le changement de l'accentuation) (3), il est attesté de longue date avec le sens diminutif de « petite scène » et a pour lui la caution de plus d'un bon auteur (dont plusieurs académiciens) :

(en parlant d'une composition écrite, musicale, picturale...) « [J'ai lu] la véridique scénette intercalée dans Le Charivari » (journal Le Charivari, 1835), « Scénette parlementaire » (journal La Mode, 1849), « La scénette se continua durant quelque temps ainsi » (Charles Deslys, 1861), « Sinète ne serait-il pas [l'équivalent wallon du] français scénette, petite scène ? » (Auguste Scheler, 1880), « Le lieu de l'action change à chaque scène, ou, pour mieux dire, à chaque scénette, car il y a des scènes de six lignes de dialogue » (Barbey d'Aurevilly, 1880), « Quoi ! des scénettes touchantes que je fabrique pour m'attendrir ! Vais-je m'empêtrer [dans ces menus souvenirs] ! » (Maurice Barrès, 1889, d'ailleurs cité par le TLFi), « La balerie est une sorte de scénette mimée et chantée » (Joseph Bédier, 1896), « [Il] ouvrit la galerie des neuf ou dix tableautins, portraits et scénettes » (Gustave Rudler, 1902), « Une scénette intitulée Les Parents éloignés » (Jules Cambon, 1910, cité par Geneviève Tabouis), « Scènes de la vie conjugale. Ou plutôt non, "scènes" est trop gros, seulement scénettes. On ne va jamais plus loin qu'une petit bouderie » (journal Les Potins de Paris, 1925), « D'autres textes nous montrent des danseurs jouant le rôle du guetteur. C'est l'une de ces scénettes [que...] » (Alfred Jeanroy, 1934), « Un art du trait, de la scénette aiguë et du mot révélateur » (Marcel Arland, 1951), « L'humour tout ludique de ces vingt scénettes mignonnes » (Vladimir Jankélévitch évoquant des œuvres musicales de Satie, 1957), « Dernièrement, chez des amis, on avait justement improvisé comme cela une petite scénette » (René de Obaldia, 1960), « Au cours d'une scénette galante, Circé jouait la marquise » (Allan Dupraz, 1980), « Rédacteur de livres de classe ou auteur de scénettes destinées aux élèves » (Jean-Yves Mollier évoquant Pierre Larousse, 2002), « Une accumulation de scénettes juxtaposées qui s'enchaînent les unes aux autres en suggérant la dimension spatiale » (Jean-Roch Bouiller évoquant un tableau d'André Lhote, 2018) ;
(en parlant d'un lieu, d'un espace) « Directeur d'une scènette [sic], Il fit plus d'une opérette » (Edmond Martin, 1863), « Elle emmena les deux femmes au concert des Trois-Maries : une scénette, une estrade plutôt, avec un semblant de coulisses improvisées au fond d'un café » (Louis de Caters, 1891), « Sur la scènette [sic] joyeuse du Palais-Royal » (journal La Fronde, 1898), « À croire que toutes deux s'étaient échappées d'un opéra-comique ou d'une scénette de casino » (Jeanne Louvrier de Lajolais, 1901), « [Tel artiste] va reparaître ces jours-ci sur une scénette proche des boulevards » (journal La Lanterne, 1905), « Sur la scènette [sic], la revue élégante reposait toujours sur des couplets bien troussés » (Maurice de Waleffe, 1917), « Sur la scénette, la lampe électrique éclaire un corps mince » (René Bizet, 1923), « Sur la scénette, [....] un trio féminin vocalise » (Maurice Ciantar, 1952), « Elle remonta sur la scénette » (Evane Hanska, 1983), « La remise située derrière la petite scénette » (Arnaud Le Guilcher, 2016).

En 1955, le linguiste Albert Dauzat signalait d'ailleurs le mot scénette parmi « les créations (ou reprises) d'écrivains, [qui] ne choquent pas le lecteur et pourraient passer dans l'usage » (Les Diminutifs en français moderne). Force est de constater que le temps lui a donné raison contre les Larousse et Robert (que l'on a connus autrement conciliants à l'égard de néologismes pourtant moins bien formés).

Mais il y a plus intéressant. Je pense à cette remarque de Jules Claretie (encore un académicien) sur Waldeck-Rousseau : « Il aimait le théâtre et le connaissait jusqu'en ses saynètes et scénettes » (Les Annales politiques et littéraires, 1910). Gageons qu'il doit exister quelque utile nuance de sens entre les deux termes pour qu'un dramaturge et critique de théâtre (donc un homme de l'art, placé aux premières loges) en vienne à les employer dans la même phrase !

Saynète, tous les spécialistes s'accordent aujourd'hui sur ce point, est emprunté du masculin espagnol sainete (dérivé diminutif de sain « graisse », lui-même issu du latin médiéval saginum « saindoux, suif »), d'abord entré en scène comme terme de vénerie (XIVe siècle) au sens de « petit morceau de graisse donné en récompense à un faucon », d'où, dans le vocabulaire de la cuisine, « bouchée agréable au goût », « condiment, ingrédient qui aiguise l'appétit », puis, par allusion, « excitation, appas, grâce qui donne du plaisir, de la joie, du contentement » et enfin, dans le domaine théâtral (à partir du XVIIe siècle), « farce de peu d'étendue et d'inspiration populaire, pleine de fantaisie, de jeux de mots, voire de plaisanteries grossières, qui se joue pendant l'un des entractes (ordinairement avant le deuxième acte) d'une pièce plus importante et plus sérieuse » (4). C'est avec ce sens propre au théâtre espagnol, mais avec un genre grammatical hésitant entre le masculin étymologique et le féminin supposé de la terminaison, que le mot franchit les Pyrénées dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, sous diverses graphies plus ou moins francisées : saïnette (1764), sainete (1780), saynette (1791), saynete (1791), saynète (1797), saineté (1801)... (5) Dans la production nationale, la saynète désigne plus largement (si j'ose dire) un « ouvrage dramatique, comprenant une seule scène ou un petit nombre de scènes, où un sujet plus ou moins anodin est développé en dialogue entre un petit nombre de personnages » (selon le Nouveau Larousse illustré, 1898), une « pièce courte, le plus souvent légère et comptant peu de personnages, jouée par des artistes comiques, des comédiens amateurs, etc. » (selon la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie, 2020) : « Le Carrosse du Saint-Sacrement, saynète » (Mérimée, 1829, féru de théâtre espagnol), « Dans toutes les saynètes des marionnettes » (Sand, 1855), « [Charles Monselet] auteur de saynètes, de figurines, de statuettes, de petits tableautins » (Sainte-Beuve, 1865), « On sait que les mimes étaient de brèves saynètes, des embryons de comédie où les Grecs joignaient, sur un étroit espace, quelques aspects de la vie réelle » (Léon Daudet, 1896), « Chaque saynète ou sketch [...] dans les petites soirées théâtrales de notre villa » (Maurice Larrouy, 1927).

Et c'est là que se noue le drame : cette acception française de saynète est-elle le résultat d'une extension naturelle de sens, comme le laissent entendre le TLFi et le Dictionnaire de l'Académie, ou d'une « confusion avec scène (pour *scénette) », comme l'affirme le Dictionnaire historique ? Bernard Fripiat, le truculent scénariste du site orthogaffe.com, penche pour le second scénario : « À cause du mot scène, on dévie le sens du mot saynète, qui sans ça aurait certainement disparu. Par contre, on garde l'orthographe d'origine espagnole » (vidéo Origine de l'orthographe du mot saynète, 2021). Allez vous étonner, après cela, que l'affaire tourne à la mauvaise farce ! La confusion est telle que l'on voit bientôt fleurir des emplois de saynète sans lien avec la représentation scénique : « [Il faut voir le tableau] La Cage, une jolie saynète [du peintre Nicolas Lancret] » (Arsène Alexandre, 1895), « [Paul Dukas] n'a pas voulu écrire un scherzo ordinaire. Le sien représente une saynète de sorcier » (Le Monde artiste, 1899), « Il travailla pour la manufacture des toiles de Jouy [...] en fournissant diverses saynètes destinées à être imprimées sur des toiles de coton » (article « Jean-Baptiste Huet » de Wikipédia) et, inversement (quoique plus rarement), des emplois de scénette à propos de la forme propre au théâtre espagnol : « Dans les scénettes [de Ramon de la Cruz] » (Acacia Condès traduisant Julian Gallego, 1962), « Les pasos sont, comme les entremeses, de courtes scénettes, comiques ou satiriques » (Bernard Sesé, 1998), « La scénette et la tonadilla » (site Cubarte traduisant Alejo Carpentier, 2019). Parfois les deux graphies alternent sans distinction de sens apparente : « Excusez les fautes de l'auteur, comme on dit dans les saynètes espagnoles » (Alexandre Dumas, Une chasse aux éléphants, 1857), « Excusez les fautes de l'auteur, comme on dit dans les scénettes espagnoles » (Id., La Terreur prussienne, 1867) ; « Hervé proposa d'y jouer de petites pièces, tenant le milieu entre l'opéra-comique et le vaudeville. On les appela d'abord saynettes ou scènettes [sic], puis opérettes » (Henry Lyonnet, Dictionnaire des comédiens français, 1902) ; « La méthode employée consiste à faire raconter par les enfants les petites scénettes que des jouets mécaniques font dérouler sous leurs yeux », « [Il est demandé] aux enfants de raconter les saynètes que les jouets viennent d'exécuter devant eux » (Alexandre Flamm, Langage d'enfant et théories linguistiques, 1977).

Il se trouve pourtant dès le milieu du XIXe siècle des esprits éclairés (à l'instar d'un Jules Claretie) qui, mesurant l'absurdité de la situation, considèrent que scénette a un rôle à jouer à côté de saynète :

« La Bourse ou la vie, scénette (assez heureuse interprétation du mot espagnol saynète), joli petit opéra de salon, en un acte et en vers » (Henri-Louis Blanchard, Revue et gazette musicale de Paris, 1856), « Les Deux Sous-Préfets de X***, par M. Jules Guillemot, scènette (mot improprement écrit saynète, d'après la corruption espagnole du diminutif de scène) [oui, oui, vous avez bien lu !] » (Alfred de Martonne, Bibliographie catholique, 1879), « Scénette est une petite pièce quelconque. Saynète est une petite comédie mêlée de chansons » (journal Le Messin, 1894), « Saynètes comiques. Scénettes dramatiques » (Elizabeth Filkins Gessler, 1945), « Page 52 [de La Grammaire nouvelle à l'école de Georges Court] : le mot saynette (qui doit s'écrire saynète) est manifestement employé pour scénette, "petite scène" » (Henri Sépulchre, L'Athénée, 1968), « [Le mot scénette] n'existe pas (mais n'a-t-on pas le droit le créer grâce au suffixe diminutif ?) » (Colignon et Berthier, Pièges du langage, 1978), « Les Bas-fonds de la société [d'Henry Monnier]. Ce sont huit scénettes (plutôt que "saynètes") » (Jacques Cellard, Anthologie de la littérature argotique, 1985), « Nous aimons assez que l'auteur [du Dictionnaire du parfait cynique, Roland Jaccard,] ait osé créer [!] le mot scénette, qui manquait, et dont le mot saynète, seul disponible jusqu'à présent, ne peut donner le sens » (L'Athénée, bulletin de la Fédération de l'enseignement moyen officiel du degré supérieur de Belgique, 1991), « On dit "scénette" (petite scène) et pas "saynète" (courte pièce théâtrale comique). C'est de la TV, pas le Splendide... » (commentaire publié sur un site consacré aux « identités (télé)visuelles », 2014), « Saynète : courte pièce comique sans prétention, avec peu de personnages. Scénette : petite scène » (Cédric Corgnet, Littérature française : Histoire des genres littéraires, 2018).

Allez savoir pourquoi les lexicographes restent désespérément sourds à ces arguments pourtant frappés au coin du bon sens. Seuls quelques sites de langue commencent (enfin !) à reconnaître la légitimité de scénette à côté de saynète, les deux termes renvoyant à des réalités différentes (quoique proches dans certains contextes) :

« Bien qu’elle se joue sur une scène, la saynète n’a aucun rapport étymologique avec son homophone scénette, lequel peut désigner une scène de théâtre de petites dimensions ou une scène très brève – pas nécessairement comique – d’une pièce traditionnelle. On l’emploie également pour désigner une représentation en miniature d’une scène de la vie quotidienne. Ce diminutif, s’il est parfaitement régulier, n’est cependant pas officiellement lexicalisé et reste donné comme une altération erronée de saynète. Rien pourtant ne devrait le condamner s’il est bien employé » (site Correctissimo, 2016).
« Bien qu'ils soient homophones, saynète a un sens différent de scénette, qui désigne simplement une petite scène, au sens d'événements émotionnels, sans lien avec la représentation théâtrale. Une saynète peut ainsi comporter plusieurs scènes, et une scénette peut ne pas être comique » (article « saynète » de Wikipédia).

Si l'on m'avait dit qu'un jour je me rangerais du côté de Wikipédia contre Girodet et consorts, je ne l'aurais pas cru ! Mais depuis que des défenseurs de la langue prennent fait et cause, à l'évocation d'une petite scène, pour un mot d'orthographe contestable et de genre douteux au détriment d'un diminutif régulièrement formé et de sens transparent, il faut s'attendre à tout – à commencer par un coup de théâtre.

Encore un mot sur sketch, dont saynète est souvent donné comme un synonyme vieilli (6). Il s'agit d'un vocable anglais (vous vous en doutiez ?) – lui-même emprunté, par l’intermédiaire du néerlandais ou de l’allemand, de l’italien schizzo « esquisse » – qui signifie proprement « esquisse, dessin rapide », d'où « récit sommaire, plan, canevas » et « esquisse dramatique, généralement légère ou comique, destinée à la scène ou au cinéma, sous forme de monologue, de dialogue très court ou encore de mime ». Comme terme de spectacle (cirque, music-hall, théâtre, puis cinéma, télévision...), sketch s'est introduit dans notre lexique au tournant du XXe siècle (7), non sans rencontrer quelques résistances : « Ce mot s’emploie depuis peu dans les journaux au sens de "saynète, petite pochade" [...]. Nous avons là un néologisme dont la nécessité paraîtra à beaucoup très problématique » (Kristoffer Nyrop, Études de grammaire, 1919). Mais le meilleur est à venir. Je veux parler de cet article anonyme paru en 1910, dans le journal Gil Blas, sous le titre choc L'Invasion des barbares :

« Un mot nouveau – encore un ! – prend place dans notre vocabulaire. Il est anglais naturellement... C'est le mot sketch qu'on voit, depuis peu, figurer sur les programmes de nos music-halls. En Angleterre, le sketch est la petite scène qui accompagne tout numéro de café-concert [...]. Et, de Londres, la chose a gagné Paris. La chose, soit ! Mais le mot, pourquoi le mot ? Est-ce que scénette n'est point aussi joli, et plus clair ? Mais voilà, scénette est français... »

Là est, assurément, le piquant de l'affaire.
 

(1) La mise en garde de Thomas est plus ambiguë : « Saynète, "petite pièce légère en un acte", n'est pas tiré de scène (l'orthographe scénette est donc fautive), mais de l'espagnol sainete. » Doit-on comprendre que la graphie scénette est fautive dans l'absolu ou seulement quand elle désigne une saynète ?

(2) Déjà au XIXe siècle : « Rectifions, en passant, le sens de ce mot saïnète, qui ne veut pas dire une petite scène ou scénette, comme on le croit généralement » (Alphonse Royer, 1870), « Ce nom de saynète (qu'on devrait écrire sainette) n'a rien en soi que de joli et on est tenté d'y voir une variante de scenette [sic] une petite scène » (Édouard Le Héricher, 1884), « Bien des personnes s'imaginent que saynète est l'équivalent de scènette [sic]. Or, cela n'est pas » (Alfred Morel-Fatio, 1887).

(3) Signalons ici que l'acception (à tendance dépréciative) de « petit ouvrage dramatique » est ignorée du Dictionnaire de l'Académie, qui ne connaît à piécette que le sens de « petite pièce de monnaie » et, par analogie, celui de « ornement architectural ». Les exemples ne manquent pourtant pas, notamment dans le domaine de la critique dramatique : « [Comment] peut-il avoir commis une piécette aussi classiquement mythologique que ce Faune ? » (Goncourt, 1895), « La piécette de M. Miguel Zamacoïs » (Alfred Jarry, 1903), « L'essence de la Camargue dans ces deux piécettes de Thessalie » (Montherlant, 1926), « Mme Moisy dénicha une piécette à trois personnages » (Antoine Compagnon, 2023), etc.
Le diminutif œuvrette est à peine mieux loti : attesté dès le XIIIe siècle, il n'a droit de cité dans les colonnes dudit ouvrage que depuis... 2005 !

(4) On comprend l'idée : la saynète, c'est « le sel de chaque représentation » (selon Marcolino Prat, 1840), « la bonne bouche destinée à [mettre] le spectateur en belle humeur, à relever [son] attention fatiguée par les longues journées de la grande [pièce] » (selon Charles Revillout, 1867), « une bouchée [savoureuse et relevée], entre deux plats plus substantiels » (selon H. Gausseron, 1880), « un assaisonnement [de] la grande pièce » (selon le Dictionnaire historique, édition de 1995), « la pièce de théâtre délectable » (selon Jean-Pierre Colignon, 2011).

(5) « M. Charles Davillier, l'érudit touriste, a vu quelquefois le mot écrit saynete, sainette, saynette et même saignette. Il ajoute que nous avons tort de l'employer au féminin, attendu que les Espagnols, qui prononcent saïnété, ne l'emploient qu'au masculin. M. Davillier conclut qu'il faut écrire et prononcer : le sainete, un sainete. Littré écrit saynète et féminise le mot en prenant pour exemple l'orthographe adoptée par M. Charles Reybaud, dans Jérôme Paturot » (Hippolyte Hostein, Le Constitutionnel, 1876). Sans doute aurait-il été judicieux de lui conserver son genre étymologique, ne serait-ce que pour limiter le risque de confusion avec scénette...
Théophile Gautier s'en tient au masculin : « Un saynète assez comique suivait la pièce sérieuse » (Tra los montes, 1843), quand Mérimée opte pour le féminin (attesté dès 1791 chez Pierre-Louis Ginguené : « la saynette ») : « C'est la Clarita, qui nous a fait tant rire dans la saynete de la gitana » (Théâtre de Clara Gazul, 1825), « La saynete de la vieille coquette » (Le Carrosse du Saint-Sacrement, 1829).

(6) « Dans le langage courant, [saynète] correspond à un sketch » (Hanse, 1983), « La langue actuelle emploie plus couramment sketch » (Jean-Paul Colin, 1994), « [Sketch] est d'emploi plus large que saynète qui a vieilli » (Dictionnaire historique, 1995), « On peut considérer [le mot saynète] comme un synonyme vieilli du nom sketch » (Dominique Dumas, Le Grand Livre de l'orthographe, édition de 2022).

(7) « Une autre forme littéraire, celle-là très originale et très anglaise, [va] s'affirmant chaque jour davantage. Je veux parler de l'essay et du sketch » (Eugène Forgues, 1886), « Le nouveau numéro qui a été le gros succès du Palace [et] que les Anglais appellent un Sketch » (journal L'Illustré parisien, 1901), « Auteur de fantaisies qui tiennent de la nouvelle et du sketch » (Olivier de Gourcuff, 1904), « Sketch burlesque » (journal Le Gaulois, 1908).


Remarque : Il ne vous aura pas échappé que plus d'un auteur verse dans le pléonasme en écrivant « petite scénette ». La faute, selon Albert Dauzat, au « besoin d'épithète [qui] est tel que celle-ci vient parfois renforcer le diminutif jugé insuffisant (petits petons, petites menottes...) » (L'Appauvrissement de la dérivation en français, 1937). Mieux vaut s'en tenir à « petite scène », « courte scène », etc., histoire de ne pas risquer d'en essuyer une plus longue...

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


À vous de voir... si c'est net ou pas.

 

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