« Baigneurs du nouvel an à Wissant [...]. Franck, 69 printemps, savoure d'avoir tenu sa promesse. »
(paru sur lavoixdunord.fr, le 1er janvier 2025)
Ce que j'en pense
Savourer de faire quelque chose : voilà qui est... savoureux ! Car enfin, il me semblait que ledit verbe − fût-il employé au sens propre de « goûter avec lenteur et attention pour apprécier pleinement » ou au sens figuré de « jouir de quelque chose, trouver du plaisir dans quelque chose » − se construisait soit absolument : prendre le temps de savourer, soit avec un nom complément d'objet direct : savourer un aliment, un grand cru, un plat, un paysage, un spectacle, un parfum, une plaisanterie, un moment de repos, etc.
D'aucuns me rétorqueront, avec quelque apparence de raison, que savourer s'est employé autrefois avec un complément indirect : « Par quoy de ses douçours saveure » (Guillaume de Machaut), « Celuy a qi cest vyn ne purroit savourer [= être agréable au goût] est en malveise poynt » (Henri de Grosmont). Mais ça, c'était au XIVe siècle ! De nos jours, c'est selon toute vraisemblance sous l'influence du verbe apprécier que l'intéressé se voit affubler d'un infinitif introduit par de (à moins que l'on ait affaire à une ellipse de l'objet direct : savourer (le plaisir) de faire quelque chose ?) :
« Une salle de concert [est] un endroit où l'on savoure d'écouter avec les autres » (Les Échos, 2018), « Elle "savoure" de garder sa première place » (Le Point, 2018), « M. Roth savourait de flouter la ligne entre le fait et la fiction » (Le Monde, 2018), « Je savoure de venir à chaque entraînement » (Le Parisien, 2019), « [Il] savoure de pouvoir lâcher les chevaux sous ses nouvelles couleurs » (Le Figaro, 2019), « [Elle] savoure de faire rougir son invité » (Gala, 2021).
Plus surprenants, ces exemples, parfois assez anciens, que l'on relève jusque sous de bonnes plumes :
« [Il] savoure d'avoir été l'égal des Dieux » (Jacques Madeleine, 1899), « Je me sens devenir Arabe, en savourant de le devenir » (Jean Pommerol, 1902), « Je savoure de ne plus m'opposer aux choses » (Man'ha Garreau-Dombasle, 1938), « Il savourait sa chance et savourait de la garder secrète » (Roger Lannes, 1947), « Il savourait de s'arrêter longuement » (Henri Mondor, 1949), « Il savourait de le répéter » (Silvain Reiner, 1986), « [Elle] savourait de se sentir sur la même longueur d'onde que lui » (Pierre Daix, 1994), « Il savourait de voir Élise » (Jean-Pierre Charland, 1998), « Elle savourait de sentir cette peau tiède, rassurante, contre la sienne » (Madeleine Chapsal, 2000), « Haruo savourait de le [= un breuvage] boire » (Patrick Grainville, 2010), « Les enfants riaient et les parents savouraient de les voir heureux » (Pierre Szalowski, 2012), « Je savoure de pouvoir vous quitter quand il me chante » (Marion Desjardins, 2014), « Les enfants savouraient de pouvoir dormir sur place » (Christian Carayon, 2016), « Les gens savouraient de pouvoir communier ensemble » (Hélène Legrais, 2019), « [Ces femmes] savouraient de partager leur guerre intime » (Aurélie Jeannin, 2020), « Il a savouré de pouvoir flâner dans les rues de la ville » (Patrick Girard, 2020), « Il savourait d'avoir bien dormi » (Noëlle Châtelet, 2021), « [Ses pas] savouraient de s'enfouir sous le sable » (Christophe Auduraud, 2024).
Ladite construction n'étant enregistrée, à ma connaissance, dans aucun dictionnaire, mieux vaut passer prudemment son chemin, histoire d'éviter toute faute... de goût.
Remarque : Voir également le billet Apprécier.
Ce qu'il conviendrait de dire
Franck se félicite d'avoir tenu sa promesse.