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J'ai le mémoire qui flanche...

« Dans ses mémoires publiées en 2018, Jean-Marie Le Pen avait déjà établi son plan pour l’au-delà. »
(paru sur 20minutes.fr, le 8 janvier 2025.)

FlècheCe que j'en pense


Autant le dire d'emblée, l'Académie ne voit pas d'un bon œil cet accord au féminin :

« En français, il existe deux noms mémoire. Le premier et le plus courant est féminin. Il peut désigner la faculté de l’esprit de conserver et de rappeler des idées, des situations, des personnes, etc. (avoir une bonne mémoire). Il peut aussi désigner le souvenir conservé par cette faculté (honorer la mémoire de quelqu'un). Mais mémoire est aussi un nom masculin. Si on ne le confond guère avec le premier quand ce mot désigne un texte exposant quelque requête ou donnant des instructions, l’état des sommes dues à un artisan ou encore une dissertation sur un sujet scientifique ou littéraire (l’architecte a présenté son mémoire ; un mémoire de maîtrise), il arrive trop souvent que, au pluriel et généralement avec une majuscule, le nom mémoires, qui désigne les écrits d’une personne ayant été témoin ou acteur de la vie publique de son temps, soit considéré comme un nom féminin » (rubrique Dire, ne pas dire de son site Internet, 2017).

Ce que les sages du quai Conti oublient de préciser, c'est que cette distinction sémantique selon le genre (et le nombre) n'a pas toujours eu lieu. Et pour cause : le genre de mémoire a longtemps été indécis, quelle que soit l'acception envisagée (1). Il n'est que de consulter les textes anciens pour s'en aviser :

(avec les sens abstraits de « faculté de se souvenir », « souvenir » ou encore « bon sens, présence d'esprit ») « N'a pas son sens ne sa memoire » mais « Rameinent tot en son [variante sa] memoire » (Benoît de Sainte-Maure, vers 1160) ; « [Il] a si perdue la memoire que [...] » (Chrétien de Troyes, 1181) mais « Son san et son mimoire » (Id., 1177) ; « Qui tant font par trop boire Que il en perdent si le sens et la [variante le] memoire » (Li Romans de Berte aus grans piés, XIIIe siècle), mais « Toudis [= à tout moment] en son memoire » (Baudouin de Condé, XIIIe siècle) ; « Ceus qui sont sages et de bonne memoire » mais « Tant fust sage ne de bon memoire » (Henri de Ferrières, avant 1374) ; « Memoire Avariee est ennemye de victoire » (Pierre Gringore, 1505) mais « Ne ramenez à mon memoire Les faitz passez » (Id., 1512) ; « Je sens au mesme instant ma memoire fallie » (Jean de Boyssières, 1579) mais « Guidé Par un œil souvenant et un memoire idé » (Id., 1578) ; « Nous avons de vos vers la mémoire remplie » mais « De sa route avoir un sûr mémoire » (Edme Boursault, 1683).

(avec les sens métonymiques concrets de « liste, billet, facture, écrit sommaire, aide-mémoire, document administratif, juridique ou diplomatique contenant des instructions, des informations, des comptes », « chronique, relation de faits historiques ou remarquables pour que mémoire en soit gardée ») « Sera trouvé par escript en un memoire tout l'argent par lui presté » (Registre criminel du Châtelet de Paris, 1391), « Le premier article des memoires bailliés par le procureur » (Histoire du droit municipal, 1422), « Petiz memoires au regard de ces hauls faiz » (Jean Le Fèvre de Saint-Remy, avant 1468), « Pour continuer les Memoires (par moy encommencez) des faictz et gestes durant le regne du feu roy Loys unziesme » (Philippe de Commynes, avant 1500), « Ledit conte fist ung memoire signé de sa main » (Jean Le Clerc, vers 1502), « Qui me presente un compte, une lettre, un memoire » (Joachim du Bellay, 1558), « Ainsy que vous verrez par ledit memoyre » (Henri IV, 1602), « Faites un memoire de tout » (Molière, 1663), mais « Ceus qui orront ceste memoire » (Vie de sainte Catherine, fin du XIIIe siècle), « [L]es memoires escriptes de la dignité » (Christine de Pizan, 1405), « Affin que riens n'oubliassent de leur commission, leur bailla par belle memoire escripte la maniere que il vouloit que ilz tenissent » (Le Livre des faicts, avant 1409), « Ceste bresve memoire De tant de divers dis » (Georges Chastelain, vers 1470), « Ilz apportent icelles memoires au duc » (Olivier de La Marche, 1474), « [Il] luy bailla une memoire ou estoit contenu le nom de Psyches » (Jean Louveau, 1553), « Cicero, tres suffisant autheur de ceste memoire » (Jean Begat, 1564), « Certaines memoires dressées par l'autheur de la secte » (Gabriel de Saconay, 1569), « Avec les mémoires dressées et levées à la forme que dessus » (Mémoires historiques de la ville de Bourg, 1601), « Il avoit donné une memoire signée du nom de Sa Majesté » (anonyme, 1622), « Lesdites memoires ont esté renduës, et sont gardées par les Religieuses pour servir de témoignage » (Jacques Branche, 1652) ; « Ces presens Memoires » mais « Ces presentes memoires » (Olivier de La Marche, avant 1500) ; « Ces presens memoires » (Philippe de Commynes, avant 1500) mais « Plusieurs aultres choses ont esté faictes et passées depuis le temps qu'avons commencé ces presentes memoires » (Claude Haton, vers 1570), « Ces presentes Memoires » (Anne-François de Mérode, vers 1665). (2)

Dans les premiers dictionnaires de Robert Estienne, les emplois métonymiques de mémoire hésitent encore entre le masculin et le féminin : « Ung petit memoire que font tous les jours ceulx qui ont plusieurs affaires », « Le mémoire et instruction contenant le faict d’une partie » (Dictionarium Latinogallicum, 1538) et, au pluriel, « Memoires bien dressez » (Dictionaire Francoislatin, 1549), mais « La mémoire et instruction contenant le faict d’une partie, en matiere de procez », « memoire escripte, redigee par escript » (Dictionaire Francoislatin, 1539). Il faut attendre, semble-t-il, le siècle suivant pour voir les premières mentions de la distinction moderne : « Memoire est du genre masculin, pris pour memorial, ou petit brevet et sommaire de quelque chose » (Jean de Chabanel, Les Sources de l’élégance françoise, 1612), « Memoire pour liste ou billet [est masculin] » (Antoine Oudin, Grammaire françoise, 1632), « Omnia nomina quae terminatur in e femininum sunt feminini generis, exceptis his nominibus quae sunt masculini generis, un memoire c'est-à-dire un écrit » (Ruau, La vraye methode d'enseigner la langue françoise, 1687).

Si l'usage s'est depuis lors établi d'avoir une bonne mémoire mais de rédiger un bon mémoire (« exposé sur un sujet d'étude précis, travail d'érudition »), la situation reste pour le moins confuse quand mémoire est employé au pluriel avec le sens de « souvenirs écrits par une personne sur sa vie publique ou privée ». Je n'en veux pour preuve que ces exemples au féminin qui perdurent (« abusivement » selon Goosse) jusque sous de bonnes plumes :

« Son petit Memoire [...] ces presentes Memoires » (Mémoires de Monsieur du Noyer, 1713), « Ces Mémoires ont été publiées par [...] » (Pierre Des Maizeaux, 1737), « Les Mémoires publiées depuis 10 années par les Anglois » (Jean-Rodolphe Sinner de Ballaigues, 1771), « Ses mémoires intitulées Quinze années d'un proscrit » (Charles-Édouard Temblaire, 1844), « Ses mémoires publiées récemment » (Félix Clément et Pierre Larousse, Dictionnaire lyrique, 1880), « [S]es Mémoires, publiées en 1874, eurent tant de retentissement » (Paul Lacroix, 1884), « Ses Mémoires, publiées par le vicomte de Ségur » (Edmond Biré, 1900), « Les mémoires publiées par [...] » (Emmanuel Bénézit, 1939), « Je compose les Mémoires (fictives) d'un homme qui est né en 1870 » (Roger Martin du Gard, 1949), « Le tirage de ces princières mémoires est depuis longtemps épuisé » (André Castelot, 1963, cité par Goosse), « Les Mémoires qu'il avait reçues dédicacées » (Jean Sulivan, 1969), « Les Mémoires de Bülow, reliées d'un maroquin vert pâle » (Patrick Modiano, 1977), « Dans ses mémoires conservées à la Bibliothèque nationale » (François Bellec, 1978), « Mémoires manuscrites » (Jean Epois, 1981), « [Ces livres] ne constituent pas des mémoires exactes » (Jean Tordeur, 1987), « Les arguments avancés pour écrire ses mémoires ne sauraient être ceux dont elle s'était elle-même servie pour convaincre son ami Lamennais d'écrire les siennes » (Michèle Riot-Sarcey et Eleni Varikas, 1988), « [Il rédige] des mémoires édifiantes sur le Politburo » (Philippe Herzog, 1990), « Dans ses mémoires romancées » (Cahiers Jean Giraudoux, 1995), « [De Gaulle] se consacre à l'écriture de ses mémoires présidentielles » (Emmanuelle Robin, 1996), « Les Mémoires de Dangeau et celles de Saint-Simon » (Histoire des Choiseul, 1996), « Le roman se présente comme les Mémoires rédigées fin 1457 par [...] » (Lionel Acher, 1999), « [Le] duc de Saint-Simon, auteur des fameuses Mémoires » (Histoire du peuple français, édition de 1999), « Ces "mémoires" [...] furent publiées, traduites en parler moderne, bien annotées par des érudits » (Jacques Heers, 2006), « Vous ne trouverez pas ici des Mémoires rédigées selon ma fantaisie » (Lionel Jospin, 2009), « Ses Mémoires dans lesquelles elle raconte ses années avec André Malraux » (Madeleine Chapsal, 2011), « Ces Mémoires n'ont été éditées qu'en 1974 » (Philippe Bourdin, 2013), « François Mauriac a [eu recours à tel adjectif] dans ses Mémoires intérieures [sic] » (Jean Pruvost [3], 2013), « En 1828, [Vidocq] publie ses fameuses "Mémoires" » (Les Éditions de Londres, 2014), « Dans ses Mémoires parues en 1981 » (Lola Lafon, 2015), « Ses mémoires intitulées The Summing Up » (Pierre Assouline, 2016), « [L'abbé Prévost] est l'auteur de Mémoires et aventures d'un homme de qualité (mémoires fictives) » (Pascale Frey, 2019), « Mémoires fictives ou roman à la première personne » (Tout-en-un sur les œuvres au programme du bac, 2020), « Il convient d'y voir des Mémoires intérieures écrites au jour le jour » (Brigitte Lancien-Despert, Les Clés des épreuves orales du bac de français, 2021), « Ses Mémoires, rédigées durant les toutes dernières années de sa vie » (François Bazin, 2022), « Ses prolifiques Mémoires, passionnantes et autoglorificatrices » (Alain Minc, 2023), « Ses mémoires furent publiées [par...] » (Pascal-Raphaël Ambrogi [4], 2024).

La confusion gagne même aujourd'hui – horresco referens ! – le site Internet de l'Académie française : « Mémoires publiées par le duc d’Audiffret-Pasquier », lit-on sur la fiche biographique consacrée à Étienne-Denis Pasquier. C'est dire si le mal est profond. « Il faut croire que le genre masculin de Mémoires quand il signifie "autobiographie" est ou bien ignoré, ou bien dérangeant, supposent Pierre-Valentin Berthier et Jean-Pierre Colignon, car nous trouvons régulièrement dans la presse ce mot pluriel assorti du genre féminin [5] » (Ce français qu'on malmène, 1991) (6). Pourquoi le masculin est-il si difficile à appliquer dans cet emploi ?

D'abord, parce que les spécialistes eux-mêmes sont bien en peine de lui trouver une justification irréfutable. Jugez-en plutôt :

« Un mémoire, c'est-à-dire un écrit qui conserve, qui rappelle la mémoire de quelque chose ; ainsi un s'accorde par ellipse avec le mot écrit qui est dans l'esprit, quoiqu'il ne soit pas exprimé » (Noël et Carpentier, Philologie française, 1831, reprenant à leur compte un argument avancé dès 1808 par le grammairien François-Urbain Domergue).
« Dans le sens de "écrit destiné à recueillir des souvenirs, etc.", sens qu'avait déjà le mot latin [7], le substantif mémoire a pris le genre masculin, peut-être sous l'influence du dérivé mémorial » (Auguste Scheler, Dictionnaire d'étymologie française, 1862).
« La mémoire reproduit memoria ; le mémoire est tiré du mot féminin, et le genre modifié peut être dû au changement de sens ; on pourrait aussi le faire remonter à memorium » (Kristoffer Nyrop, Grammaire historique, 1908).
« Souvent, la différence de genre s'explique [par le fait qu']un nom qui a un genre fixe [prend] l'autre genre par ellipse. L'exemple le plus frappant est mémoire, qui est féminin, et qui a donné, au masculin, un mémoire, des mémoires, c'est-à-dire un écrit ou des écrits faits pour mémoire » (Philippe Martinon, Comment on parle en français, 1927).
« Le genre [de mémoire a été] probablement influencé par d'autres mots avec la terminaison homonyme masculine -oir » (Walther von Wartburg, Dictionnaire étymologique du français, avant 1967).
« Le phénomène [= l'erreur sur le genre de Mémoires] s'est accentué à partir des années 1980 [avec l'essor du concept de] mémoires collectives » (Jean-Louis Jeannelle, Le Sexe des Mémoires, 2011).

Bref, on n'est sûr de rien. De là la synthèse du Dictionnaire historique, appelée à rester dans les... annales : « Mémoire, nom masculin, procède de mémoire, nom féminin, par changement de genre. » Sans rire. (8)

Ensuite, et surtout, parce que mémoires « souvenirs écrits », plus que mémoire « rapport d'étude », se prête à l'idée de faire appel à sa mémoire, de la réveiller. La tentation du féminin n'en est que plus grande : « Il a publié ses Mémoires, intitulés... Moi, c'est le masculin qui me choque, avoue une dénommée Clotilde sur un forum de langue. Je vois une très nette différence de genre entre écrire ses mémoires et rédiger un mémoire. » Il n'en est pourtant rien : rappelons pour mémoire que, dans les deux cas, il s'agissait à l'origine d'écrire « par manière de mémoire(s) », comprenez dans le style simple et laconique du mémoire.

D'autres soupçonnent enfin une influence trompeuse de l'anglais : « L'anglais distingue memories et memoirs, comme nous distinguons souvenirs et mémoires. Sans doute est-ce l'existence du mot memories qui a faussé la distinction entre la mémoire et les mémoires dans l'esprit des Français. Un titre anglais de livre ou de film qui commence par Memories of... doit être traduit par Souvenirs de..., comme nous avons en français Souvenirs d'une petite fille de Gyp ou la série des Souvenirs d'enfance de Pagnol » (La Grammaire de Forator, 2019).

Le genre, au demeurant, n'est pas le seul écueil que nous réserve le pluriel mémoires. Encore faut-il s'entendre sur sa graphie : avec ou sans majuscule ? Jean-Joseph Julaud nous rafraîchit la mémoire : « Lorsqu'on parle du titre de l'ouvrage, on met une majuscule à mémoires ; lorsqu'il s'agit du genre [littéraire], on l'écrit avec une minuscule » (Ciel ma dictée, 2012). Si le premier point ne souffre aucune contestation (Les Mémoires de Saint-Simon), force est, hélas ! de constater qu'il n'en va pas de même du second. Comparez : « Écrire ses mémoires » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie), « Dicter, écrire ses mémoires » (TLFi), « Il achève d'écrire ses mémoires » (Jouette) et « Écrire ses Mémoires » (Thomas), « Cet homme politique veut rédiger ses Mémoires » (Girodet), « Les Mémoires que j'ai lus » (Hanse), « Publier ses Mémoires » (Larousse en ligne). C'est que plus d'un spécialiste exige la majuscule même quand il ne s'agit pas du titre d'une œuvre : « [Mémoires, dans le sens de "ouvrage dans lequel l'auteur relate les événements auxquels il a été mêlé", est] toujours écrit avec un M majuscule » (Girodet), « Mémoires, au pluriel, quand il a le sens de "souvenirs [écrits], autobiographie, etc.", prend obligatoirement une majuscule » (Colignon), « Dans ce sens, le pluriel et la majuscule sont obligatoires » (Irène Nouailhac).

Il faut croire que l'usager n'a pas fini de batailler avec le mot mémoire sur le front tourmenté de l'orthographe nationale.
 

(1) Parmi les affirmations suivantes : « Le genre [de mémoire] fluctue jusqu'au XVIe siècle » (Walther von Wartburg, avant 1967), « La distinction selon le genre [de mémoire] n’existe pas encore dans la vieille langue » (Danielle Buschinger, 1987) et « Autrefois on faisait toujours mémoire féminin » (Féraud, Dictionnaire critique, 1787), « Mémoires, dans cette acception ["relation écrite que l'on fait d'événements auxquels on a participé ou dont on a été le témoin"], est depuis près de sept siècles du masculin » (Bruno Dewaele, 2009), « Le mot mémoires (désignant un écrit) a toujours été du masculin » (La Grammaire de Forator, 2019), seules les deux premières résistent à l'examen des textes anciens.

(2) Le contexte ne permet pas toujours de déterminer avec certitude à quelle acception on a affaire. Ainsi de cette citation du poète Béroul, présentée par le TLFi comme la première attestation (au masculin) de mémoire « écrit, relation » : « N’en sevent mie bien l’estoire, Berox l’a mex en sen mémoire » (Le Roman de Tristan, vers 1170). Une autre interprétation est également possible : « [Les jongleurs] ne connaissent pas bien l’histoire, Béroul l’a mieux en sa mémoire » (référence à la capacité de se souvenir plutôt qu'au support écrit des souvenirs).

(3) Le lexicographe n'est pas le seul, tant s'en faut, à écorcher le titre dudit ouvrage : « Comme dit Mauriac dans Mémoires intérieures » (Yvan Lissorgues, 1983), « François Mauriac, Mémoires intérieures, Flammarion » (Claude Thiebaut, 1988), « Le face-à-face des Mémoires intérieures » (André Brincourt, 2010), « François Mauriac, dans ses Mémoires intérieures, publiées [...] » (Nicolas Charbonneau et Laurent Guimier, 2015), « [Mauriac] écrira dans ses Mémoires intérieures » (Mélanie Tardieu, 2016), etc.

(4) Le même écrivait pourtant quelques années plus tôt : « Ses Mémoires seront publiés après sa mort » (Particularités et finesse de la langue française, 2005). Aurait-il été victime d'un trou de mémoire ?

(5) Exemples relevés dans le journal Le Monde : « La publication des Mémoires d'outre-tombe, vite jugées ennuyeuses par Girardin » (1986), « Les Mémoires [d'Ava Gardner], qui seront publiées en automne » (1990), « Ses Mémoires [avaient été] oubliées » (2010), « Ses mémoires, publiées simultanément dans une vingtaine de pays » (2019), etc.

(6) La confusion n'a pas davantage échappé à André Rigaud : « [Tel présentateur] a eu tort de nous annoncer que, si M. Khroutchev avait lu les Mémoires du général de Gaulle, il n'avait pas pour autant l'intention d'écrire les siennes » (Vie et langage, 1966), à Dupré : « Dans ce dernier emploi [au sens de "souvenirs écrits"], les fautes sur le genre sont fréquentes » (Encyclopédie du bon français, 1972), à l'écrivain suisse Jean-Luc Benoziglio : « — Mon collègue [déménageur] prétend qu'avec la mode actuelle des Mémoires, il n'y a pas de raison pour qu'un jour on s'arrache pas les siennes. — Siens, dis-je. — Quoi ? — Rien, dis-je » (Cabinet portrait, 1981), aux auteurs de Ne perdez plus la mémoire (1996) : « Encore heureux si l'on ne commet pas l'erreur de croire que la mémoire est le singulier de l'expression "les Mémoires de..." », ni à Bernard Cerquiglini : « Je n'apprécie pas du tout de lire que les Mémoires de Saint-Simon ou de Chateaubriand sont bien écrites » (Petites Chroniques du français comme on l'aime, 2012).

(7) En latin, le féminin memoria est en effet attesté aux sens de « histoire, relation, récit (parfois autobiographique) », « annales, souvenirs rapportés dans les annales » :

« Omnem rerum memoriam [...] complexus est [il a embrassé (dans un livre) la mémoire de toute chose, l'histoire universelle] » (Cicéron, Ier siècle avant J.-C.), « De Magonis interitu duplex memoria prodita est [on rapporte deux versions, deux récits de la mort de Magon] » (Cornélius Népos, Ier siècle avant J.-C.), « Vitae memoriam prosa oratione composuit [il écrivit en prose l'histoire de sa vie, son autobiographie] » (Suétone, IIe siècle), « In veteribus memoriis scriptum legimus [nous lisons dans les anciennes annales] » (Aulu-Gelle, IIe siècle), « Ex libro quodam, qui inscribitur "Memoria apostolorum" [un certain livre intitulé "Mémoire des Apôtres"] » (Paul Orose, Ve siècle), « Librum praeclarissimi et maximi viri memoriam continentem [voici le livre contenant l'histoire d'un homme des plus illustres et des plus grands] » (Éginhard, IXe siècle, qui parle de lui-même en toute modestie...).

Cela dit, mémoires répond plus encore au masculin pluriel commentarii des Latins (Commentarii Caesaris).

(8) Plus qu'un changement de genre, il s'agit, me semble-t-il, d'une spécialisation au masculin.
 

Remarque : Mémoire est également utilisé dans le vocabulaire de l'informatique, comme mot féminin pour désigner le dispositif permettant à l'ordinateur d'enregistrer des données, de les conserver et de les restituer.

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Dans ses mémoires (ou ses Mémoires) publiés en 2018.

 

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C
Il me semble qu'au pluriel le féminin s'impose, sinon cela ne voudrait-il pas dire que l'intéressé a publié plusieurs recueils de souvenirs?
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M
Le déterminant et la majuscule aident à faire la distinction : Il a écrit ses mémoires (ou ses Mémoires), Il a écrit plusieurs mémoires.