• « Il reste que le décor pharamineux, c'était une boulangerie-pâtisserie, une boucherie chevaline. »
    (Philippe Delerm, dans son livre Traces, paru chez Fayard)  
     
     

     

    FlècheCe que j'en pense


    En pleine « guerre du nénufar » (1), le cas de l'adjectif faramineux passerait presque inaperçu − un comble ! Et pourtant, on est en droit de s'interroger sur la coexistence des deux graphies dans certains dictionnaires actuels : « Faramineux, euse. Variante Pharamineux, euse » (Robert illustré, TLFi). C'est que, nous apprend le Dictionnaire historique de la langue française, ledit adjectif est dérivé de faramine (« bête nuisible »), surtout employé dans la locution bête faramine (2), dans l'Ouest et en Bourgogne, pour désigner un animal fantastique et redoutable, analogue à la Tarasque provençale : « La bête faramine, monstre certainement très horrifique, mais dont la forme et l'activité sont laissées au caprice de l'imagination » (Marcel Aymé). Aussi conviendra-t-on que la graphie avec f initial rend mieux compte de l'étymologie du bougre, emprunté du latin pluriel feramina (pris pour un féminin singulier), de feramen, lui-même dérivé de fera, « bête sauvage ». Adolphe Thomas, grand chasseur de créatures barbares sous toutes les latitudes linguistiques, ne s'y est, du reste, pas trompé : « Faramineux, "étonnant, extraordinaire", est une orthographe meilleure que pharamineux, souvent rencontré. » Mais il faut croire que, lorsque l'épithète se répandit au XIXe siècle, d'aucuns jugèrent opportun de l'affubler d'un ph (sous l'influence de pharaonique ?) qui, bien que nullement justifié au regard de l'étymologie, lui conférait un supplément d'emphase : « J'ai vu cette pharamineuse polka arriver du fond de la Hongrie comme une bombe » (Les Modes parisiennes, 1815), « Quelque chose de pharamineux ! » (Zola, 1880), « Superbe ! Joli ! Pharamineux ! Nouveau ! » (Edmond Rostand, 1897), à côté de « les plus faramineux états de service » (Souvenirs de la dernière invasion, 1872), « la Grand'bête, la Levrette, les Loups-Brous et autres bêtes faramineuses » (Croyances et légendes du centre de la France, 1875), « [Ils] poussaient des cris faramineux » (Paul Sébillot, 1880), « les sommes faramineuses que ces 10 gaillards gagnent chaque jour » (Félix Appy, 1895). De nos jours, la graphie avec ph serait « presque entièrement sortie de l'usage », à en croire le Larousse électronique. Un rapide coup d’œil sur la Toile incite toutefois à la prudence : environ mille occurrences sur le portail d'actualités de Google ; c'est certes quinze fois moins que la variante concurrente, mais c'est loin d'être insignifiant.

    L'orthographe, au demeurant, n'est pas le seul écueil que nous réserve notre adjectif : sa signification aussi est sujette à débat. Les rôles semblaient pourtant clairement répartis en ancien français : à faramine le sens de « vermine qui se multiplie » (Dictionnaire historique de l'ancien langage françois de La Curne de Sainte-Palaye) − le mot vermine désigne ici toute espèce de bêtes malfaisantes, et pas seulement des insectes − et à faramineux celui de « plein de vermine » (Dictionnaire de l’ancienne langue française de Godefroy) − comprenez « plein d'animaux nuisibles ». C'est au XIXe siècle que la confusion se fait jour, quand l'épithète reparaît comme par enchantement dans le lexique familier. Pour preuve, l'article que lui a consacré Littré dans son Supplément, à commencer par le choix de cette citation de De Courchamps : « Aussitôt qu'ils [les convulsionnaires de Saint-Médard] le voyaient arriver [le chevalier de Folard] dans leur cimetière ou dans leur galetas, les cris pharamineux, les bonds, les sauts de carpe et les contorsions y centuplaient d'ardeur et d'activité frénétique. » Et Littré d'en déduire : « Pharamineux [notez le ph]. Étonnant, merveilleux (mot qui paraît avoir été en usage à la cour de Louis XV, et qui n'est usité aujourd'hui qu'en certaines contrées). » Ce n'est pas manquer de respect au lexicographe (3) que d'observer que des cris faramineux, avant d'être élevés au niveau des choses les plus extraordinaires, sont proprement ceux d'une bête sauvage ou d'une créature monstrueuse. Toujours est-il que c'est à cette époque que notre adjectif, progressivement vidé de sa valeur péjorative de « nuisible, malveillant », prit le sens moderne de « qui dépasse l'imagination, qui étonne par son étrangeté (d'où extraordinaire, fantastique, prodigieux) ou, par extension, son ampleur, son importance (d'où gigantesque, voire excessif) » : « Des prix faramineux, très élevés » (Robert, Larousse, Hanse), « Un butin faramineux. Une somme faramineuse. Une quantité faramineuse » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). Dupré fait observer au passage qu'« il ne faut pas réserver cette épithète au mot prix ». Aussi ne s'étonnera-t-on pas de voir fleurir, par analogie, des constructions, des bêtises, des réussites faramineuses... au risque, cette fois, de ravaler ledit adjectif au rang de concept vague d'intensité, de gradation.

    (1) Ceux qui, par extraordinaire, ne sauraient pas de quoi il retourne pourront consulter cet article.

    (2) Le comte Jaubert enregistre dans son Glossaire du centre de la France (1855) les syntagmes « Bête faramine, bête sauvage et malfaisante » (à l'entrée « bête ») et  « Bête faramineuse, bête nuisible » (à l'entrée « faramineux »).

    (3) Littré est d'autant plus facilement excusable qu'il ignorait l'étymologie de l'adjectif : « Origine inconnue », lit-on à l'entrée « pharamineux » de son Dictionnaire. Les hypothèses − plus fantaisistes les unes que les autres − ne manquaient pourtant pas, à l'époque : « Béte faramine, bête sauvage. Confusion de farouche et de varmine [= vermine] » (Dictionnaire du patois saintongeais de Jônain, 1869), « Pharamineux, étonnant. Mot à mot : éblouissant comme un phare » (Dictionnaire historique d'argot de Larchey, 1880) et quelques autres phariboles, pardon, fariboles du même genre.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le décor faramineux (plus couramment que pharamineux).

     


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  • « La porte s'ouvrit et il vit une grenouille grosse et grasse entourée d'une quantité de petites reinettes. »
    (Édouard Brasey et Jean-Pascal Debayeul, dans Vivre la magie des contes, aux éditions Albin Michel)  
     
     

     

    FlècheCe que j'en pense


    On va encore dire que je n'ai rien de mieux à faire que de baver sur autrui, mais voilà deux auteurs qui semblent avoir eu bien du mal à se retrouver dans le florissant verger des homonymes de la langue française. Une « reinette verte et minuscule / gambette sauteuse » ? Non mais allô, coâ !... C'est qu'il y a rainette et reinette.

    Avec a, il s'agit du diminutif de l'ancien français raine (emprunté du latin rana), qui désigne une petite grenouille verte, dont les doigts sont munis de ventouses. Avec e, on a affaire au nom générique de diverses variétés de pommes, dont « les principales [sont] la reinette franche, de Canada, de Caux, blanche, grise, etc. » (dixit Littré). Le pépin, c'est que les deux graphies ont été autrefois en concurrence pour désigner ledit fruit, faute d'unanimité sur son étymologie : « Quelques-uns le dérivent de reginetta, diminutif de regina ; comme qui dirait, la Reine des pommes. D'autres, et avec plus de vraisemblance, le dérivent de ranetta, diminutif de rana, à cause que les pommes de reinette sont marquetées de petites taches, comme sont les grenouilles » lit-on dans le Dictionnaire étymologique (1694) de Gilles Ménage. Ce n'est pas jeter un pavé dans la mare aux grenouilles que d'affirmer ici que les avis sur le sujet sont, de nos jours, nettement plus tranchés : ainsi est-il « évident », selon le Dictionnaire historique de la langue française, « que reinette ne peut pas se rattacher au latin rana comme on l'a cru ; l'orthographe rainette vient d'une confusion plutôt que d'une comparaison entre la peau de la grenouille et celle du fruit ». Rien de bien magique là-dedans ! Toujours est-il que l'hésitation, quand hésitation il y eut, porta surtout sur la graphie de la pomme − bonne poire −, peu sur celle de la grenouille, aussi fermement agrippée à son a étymologique... qu'à son nénuphar (ou nénufar).

    Remarque 1 : On s'étonne de trouver des crèches imprudemment baptisées « Pomme de Rainette », avec une jolie grenouille en guise de logo... De quoi entretenir la confusion dès le berceau !

    Remarque 2 : Nombreux sont les spécialistes (Littré, Girodet, Thomas, Hanse) à faire observer que l'on écrit reinette ou pomme de reinette, et non pomme reinette, forme pourtant relevée chez de bons écrivains : « dix mesures de pommes reinettes » (Rousseau), « les arbres de pommes reinettes » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert), « La pomme reinette possède trois variétés » (Alexandre Dumas père), « ces paupières, qui avaient le goût aigrelet des pommes reinettes » (Montherlant), « manger un pépin de pomme reinette (ou pomme rainette, selon les éditions) » (Marcel Aymé), « des parfums de pêche blanche, de pomme reinette » (Philippe Sollers).

    Remarque 3 : Pour ne rien simplifier, il existe aussi la rénette ou rainette, outil à fine lame servant à travailler le bois, le cuir ou à tailler les sabots des chevaux.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Il vit une grenouille entourée d'une quantité de rainettes.

     


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  • « L'alphabet s'est fixé dans ma tête en sept jours, ces sept jours qu'il a fallus à Dieu pour créer le monde. »
    (Carole Martinez, dans son livre La terre qui penche, publié aux éditions Gallimard)  
     
     

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Sans doute est-il besoin de rappeler ici que le participe passé des verbes impersonnels (ou pris impersonnellement) est toujours invariable : Les sommes qu'il nous a fallu (Hanse, Thomas), Les sommes qu'il a fallu ont paru énormes (Grevisse), Toutes les peines qu'il a fallu pour mener à bien cette entreprise (Girodet), La patience qu'il nous a fallu (Larousse en ligne), Les deux heures qu'il m'a fallu (Bescherelle), Personne n’oubliera les négociations qu’il a fallu pour en arriver à cette entente (Office québécois de la langue française).

    La raison de cette invariabilité nous est expliquée par Littré : « Que de travaux il a fallu pour l'achever, et non fallus ! Il a fallu des travaux équivaut à : des travaux ont fallu, c'est-à-dire ont fait besoin. Mais comme falloir, en vertu de l'usage, n'est susceptible que de la construction impersonnelle, l'explication est : il (c'est-à-dire les travaux) a fallu, c'est-à-dire a fait besoin. Voilà pourquoi dans la phrase citée, fallu reste invariable. » Disons plus simplement que, le verbe falloir n'étant pas transitif direct (on ne peut falloir quelque chose, pas plus que l'on ne dit que quelque chose est fallu), les travaux est d'ordinaire présenté, non pas comme COD (n'en déplaise à tous ceux qui seraient tentés de se poser la question canonique « Il a fallu quoi ? »), mais comme sujet logique (ou réel), par opposition au pronom neutre il, appelé sujet grammatical (ou apparent).

    L'honnêteté m'oblige toutefois à préciser que cette analyse, bien que couramment admise, ne fait pas l'unanimité − tant s'en faut − chez les spécialistes de la langue. Que l'on songe à Ferdinand Brunot, qui n'hésite pas à « considérer comme un véritable complément d’objet les séquences des impersonnels » ; à Léon Clédat, pour qui « il n'y a pas lieu de condamner l'accord suivant : Tous les soins qu'il a fallus... » ; ou encore à Gérard-Raymond Roy, qui fait observer avec quelque apparence de raison que, « quand un verbe impersonnel accepte la pronominalisation par le, la, les, cette soustraction arbitraire à l'accord ne devrait pas exister ». Grevisse coupe court à la polémique : « On peut discuter de la fonction des éléments qui accompagnent  les verbes impersonnels, mais, pour l'accord du moins, on ne traite pas ces éléments comme des objets directs ». Voilà qui a le mérite d'écarter, dans notre affaire, tout risque de dérapage grivois...

    Voir également le billet Falloir

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ces sept jours qu'il a fallu à Dieu pour créer le monde.

     


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  • « Quand on a qu'un choix, on n'a pas le choix... »
    (publicité pour le site conseillerpatrimoine.fr)  
     
     

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Malaise ce matin en découvrant, en pleine page dans mon magazine, cette publicité pour un site spécialisé dans la gestion de patrimoine. Certes, je n'ignore pas la propension actuelle à faire un sort à l'adverbe ne, mais la présence au sein d'une même phrase d'une forme grammaticalement incorrecte (on a que) et d'une autre irréprochable (on n'a pas) a quelque de chose de saisissant. Cela montre surtout, s'il en était besoin, à quel point la première n'est plus perçue comme une négation.

    Rien que de très prévisible selon Grevisse, pour qui la locution ne... que n'a pas vraiment un sens négatif, puisqu'elle est connue pour être synonyme de « seulement » : « C'est en quelque sorte une négation infirmée. » Partant, se demanderont les contrevenants, pourquoi diable faudrait-il recourir à ne dans On n'a qu'un choix quand on en fait l'économie dans le tour équivalent On a seulement un choix ? Parce que l'on a affaire à l'origine à une ellipse, leur répondent en chœur les Le Bidois, experts en patrimoine... syntaxique. « Combiné avec que, ne forme une locution de valeur restrictive, équivalant d'ordinaire à "seulement". Cette locution, très ancienne, s'explique par l'ellipse d'un terme tel que "rien d'autre" »  : « Duze demies hures / Ço ne sunt que sis hures » (Philippe de Thaon, vers 1119), comprenez douze demi-heures ne sont autre chose que six heures, font six heures exactement. Littré ne dit... rien d'autre, justement : « Il n'y a que lui, il n'y a [autre] que lui ; il n'est que blessé, il n'est [autre chose] que blessé. »

    Selon Robert Le Bidois, « la suppression de ne dans ne... que appartient exclusivement à la langue populaire. Ce tour s'explique par la tendance à faire passer sur le second élément de la locution (que) la valeur négative qui appartient de droit à ne. » Las ! la faute − favorisée à l'oral par la présence d'une liaison opportune (on a, dans notre exemple) −  se répand également à l'écrit. Jugez-en plutôt : « Quand on a que l'amour » (Le JDD), « quand on a que l'honneur » (Libération), « Et même si on a que peu de temps » (Le Parisien), « On a que nos yeux pour pleurer » (L'Express), « Difficile, quand on a que 19 ans » (La Voix du Nord), « on a d'yeux que pour le marivaudage du couple » (Télérama), etc. Il est cependant quelques cas (notamment quand la restriction est employée dans un groupe sans verbe) où l'emploi de ne est impossible, observe Bénédicte Gaillard : « Que doit être alors précédé de rien. » Que le présentateur Arthur, ardent promoteur du tic de langage « Que du bonheur ! », ne s'en est-il déjà avisé !

    Remarque 1 : Entre Je n'ai bu qu'un verre et J'ai seulement bu un verre, mieux vaut choisir ! Nombreux sont toutefois les auteurs à n'avoir pas rechigné, par le passé, à joindre les renforcements seul, seulement, uniquement à la locution ne... que, en dépit du caractère pléonastique dudit attelage. Qu'on en juge : « Je ne veux seulement que... » (Ronsard), « Lisander ne gaigna seulement que deux batailles navales » (Montaigne), « Il se forme une peur de ce qui n'étoit que scrupule seulement » (Malherbe), « Vous n'avez seulement qu'à dire une parole » (Corneille), « Il n'a chanté seulement que pour son divertissement » (Scarron), « C'est merveille / Qu'il n'ait eu seulement que la peur pour tout mal » (La Fontaine), « Vous n'avez seulement qu'à vous laisser conduire » (Molière), « N'ayant de son vol que moy seul pour complice » (Racine), « Je ne veux seulement que le sens commun » (Bossuet), « Je n'ai seulement qu'à dire ce que vous êtes » (Marivaux), « Je n'ai seulement qu'à le remercier » (Voltaire), « Il n'y a pas que l'amour seul qui donne de la jalousie » (Musset), « Le lâche n'aura seulement que de la prudence » (Flaubert), « Ce génie dont l'interprétation de la Berma n'était seulement que la révélation » (Proust), « Elle n'avait seulement besoin que d'une intendance » (Giraudoux), « ces hommes illustres qu'il ne nous invitait à admirer qu'en buste seulement » (Émile Henriot). Dans le tour ne faire que, seulement serait même utile pour la clarté de l'expression, si l'on en croit Grevisse, car il permettrait d'exclure le sens « ne cesser de » : « Simon ne faisait seulement que renouer son lacet » (Druon).

    Remarque 2 : N'en déplaise à Littré, le tour ne... pas (ou point) que, autrefois synonyme de « seulement », est désormais passé dans l'usage moderne avec le sens opposé de « ne... pas seulement ». Comparez : « Tu ne mourras point que de la main d'un père » (Corneille) et « Cet emploi n'a pas que des avantages » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Quand on n'a qu'un choix, on n'a pas le choix...

     


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  • « Bernard Pivot a décidé d'exporter sa célèbre dictée jusqu'aux confins de l'Empire du Milieu. »
    (Mathias Pisana, sur lefigaro.fr, le 1er mars 2016)  
     
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Georges Seguin)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Oserai-je l'avouer ? L'expression jusqu'aux confins de m'a toujours paru fort ambiguë. Ainsi, quand Georges Duhamel évoque « un grand immeuble moderne aux confins du quartier des Halles », on peine à savoir si la construction se situe encore dans ledit quartier ou juste en dehors. L'étymologie plaide en faveur de la première hypothèse : emprunté du latin confinia, pluriel de confinium (de cum et finis, « fin, frontière », d'où « limite commune à des terres »), le pluriel confins ne désigne-t-il pas proprement les parties d'un territoire situées à son extrême limite et à la frontière d'un territoire voisin ? « Les confins de l'Espagne sont la mer et les Pyrénées » lit-on chez Furetière ; Rocroi (commune française limitrophe de la Belgique) « est une ville aux confins de la Champagne », chez Richelet. Partant, la locution jusqu'aux confins de nous mènerait aux extrémités du territoire précisé en complément, sans toutefois les franchir.

    Mais voilà qu'un exemple déniché au fin fond de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie vient semer le trouble : « Le poitevin, dialecte de langue d'oïl parlé en Poitou et jusqu'aux confins du territoire de la langue d'oc. » Convenez que, dans ce cas, le point de vue est inversé : les limites du territoire (en l'occurrence, les pays d'Oc) ne sont plus envisagées depuis l'intérieur, mais depuis l'extérieur. Transposée à notre affaire, cette perspective donnerait à penser que la dictée de Pivot n'est pas près de franchir les portes de la Chine...

    On pourrait croire que l'espace serait mieux délimité quand le complément désigne deux territoires, puisqu'il ne peut alors être question que de la frontière, de la partie immédiatement intermédiaire entre ces derniers. Las ! rien n'est moins sûr. Comparez : « Relatif à la Nubie, région située aux confins de l'Égypte et du Soudan » (à l'entrée « nubien » du TLFi) et « L'Alsace est aux confins de l'Allemagne et de la Suisse » (à l'entrée « confins » de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). Si la Nubie s'étend, de fait, entre Assouan, en Égypte, et Khartoum, au Soudan, je ne sache pas que l'Alsace, quand elle aurait une frontière commune avec l'Allemagne et une autre avec la Suisse, se situe à la jonction de ces deux pays !

    Vous l'aurez compris : il est des cas limites où la locution jusqu'aux confins de prête à confusion, à force d'hésiter entre les sens « jusqu'aux frontières de », « jusqu'aux environs de », « jusqu'au fin fond de », etc. Ce n'est évidemment pas une raison pour laisser la fameuse dictée de Bernard Pivot confinée dans un tiroir.

    Voir également le billet Confins

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose (?) ou jusqu'au fin fond de l'empire du Milieu.

     


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