• Une bonne résolution

    « Les marchés actions profitent ainsi de l'absence de nouvelle escalade verbale entre Washigton et Pékin, sans oublier pour autant que ce silence ne résoud en rien le problème, qui menace de freiner le commerce mondial. »
    (Marc Angrand, sur capital.fr, le 20 juin 2018)  

     

    FlècheCe que j'en pense

    Sans doute avez-vous appris à l'école la règle selon laquelle, au singulier du présent de l'indicatif, les verbes en -dre prennent les désinences -ds, -ds, -d, sauf ceux en -aindre, -eindre, -oindre et -soudre, qui prennent -s, -s, -t. Force est, hélas ! de constater qu'elle ne reste guère dans les mémoires − mais qui s'en étonnera, vu le nombre d'exceptions et l'absence de justification ? « Pour le présent de l'indicatif de résoudre, en particulier, aux trois personnes du singulier, on hésite sur la terminaison, observait ainsi Grevisse dans Problèmes de langage (1967). Attention ! écrivons bien : je résous, tu résous, il résout. Pas de d ! Chassons le d ! Quand on n'y veille pas, il vient se mettre incongrûment au bout de ces formes verbales. » L'importun a même poussé le vice jusqu'à tromper la vigilance de bons auteurs (ou de leurs éditeurs). Qu'on en juge : « Des questions que le Panthéisme contemporain ne résoud pas » (Jules Barbey d'Aurevilly, 1860), « M. Poincaré résoud des problèmes dont l'énoncé ne peut être compris que par une trentaine de mathématiciens en Europe » (Christian Beck, 1903), « Le cas de Mozart [...] ne résoud pas la question » (Claude Debussy, 1916), « [Il] se résoud à recourir à la suggestion » (Pierre Janet, 1919), « Odile ne se résoud pas à s'enfuir » (Daniel-Rops, 1941), « C'est l’instant de la mort qui résoud tout » (René Benjamin, 1942), « Ce livre [...] résoud toutes les objections » (André Billy, 1949), « C'est en elle [la vie] que tout se résoud » (Paul Ricœur, 1949), « Le petit ouvrage que je me résouds à publier » (Maurice Garçon, 1954), « On ne résoud rien par l'amour » (Jacques Chardonne, 1957), « Abolir ou maintenir la peine de mort ne résoud rien » (Jean Dutourd, 1958), « Il résoud par sa fluidité toute angoisse » (Alain Guillermou, 1963), « Je ne me résouds pas au scandale » (Claude Roy, 1969), « Je ne me résouds pas à partir » (Raymond Ruffin, 1979), « Qu'il y ait en France une station qui se nomme précisément France-Culture, ne résoud guère le problème » (Alain Bosquet, 1981), « C'est l'homme Camus − et non le patron de Combat − qui s'y résoud » (Pierre Assouline, 1996). Pis : le bougre s'est invité jusque dans les colonnes des ouvrages de référence. Ainsi l'aperçoit-on aux articles « porter » et « répondre » de la quatrième édition (1762) du Dictionnaire de l'Académie : « On se résoud à faire une chose », « Il propose la question et la résoud » ; à l'article « Œdipe » du Dictionnaire national (1847) de Louis-Nicolas Bescherelle : « Celui qui déroule le fil inexplicable de questions jusqu'alors insolubles et les résoud » ; aux articles « décisif » et « dénoûment » du Littré (1877) : « Qui résoud, qui donne la solution », « Le point où aboutit et se résoud l'intrigue » ; à l'article « télémètre » du Grand Larousse encyclopédique (1960) : « Le principe de la télémétrie consiste à prendre la distance inconnue comme côté d'un triangle qu'on résoud en déterminant un nombre suffisant d'éléments connus » ; à l'article « discussif » du Dictionnaire historique de la langue française (2011) : « On rencontre quelquefois [cet adjectif] en médecine au sens de "qui dissipe, résoud un engorgement" » ; et jusque sur le propre site Internet de l'Académie, dans la retranscription d'un discours de Jean d'Ormesson : « L'œuvre de Marguerite Yourcenar, si elle naît d'abord de l'histoire, se résoud et culmine en une aspiration à l'universel ». Bigre ! Comment en est-on arrivé à pareille cacophonie ?

    Il se trouve que les verbes en -soudre (à savoir absoudre, dissoudre et résoudre) sont des composés de l'ancien français soudre (« dissoudre, résoudre, payer »), lui-même issu du latin solvere par altérations successives : solvere > solvre > solre > soldre > souldre > soudre, selon le linguiste Pierre-Alexandre Lemare. Le d, que le français a intercalé (par épenthèse) entre le l et le r après la chute du v du radical latin (1), n'est donc pas d'origine étymologique. Partant, rien ne justifiait aux yeux de Vaugelas son maintien à l'indicatif présent, contrairement à l'indicatif futur et au conditionnel présent, régulièrement formés à partir de l'infinitif : « Combien y en a-t-il qui disent [...] resoudons pour resolvons ; car le d du verbe resoudre ne se garde point dans la conjugaison que là où il y a une r après, comme resoudray, resoudrois, etc. » (Remarques sur la langue française, 1647). Même constat avec les verbes en -aindre, -eindre, -oindre. Autrement dit, tout porte à croire que l'usage a prévalu d'écrire il prend parce que le d de prendre est hérité du latin pre(he)ndere, mais il craint, il peint, il joint et il résout parce que le d des verbes craindre, peindre, joindre, résoudre (issus respectivement de tremere, pingere, jungere, resolvere) n'a aucun fondement étymologique. Rien que de très logique, me direz-vous, pour qui connaît son latin. Seulement voilà : la belle mécanique a eu un coup de mou. Prenez les verbes coudre et moudre, justement : ne font-ils pas à l'indicatif présent il coud, il moud, alors qu'ils sont empruntés respectivement du latin populaire cosere (réfection du latin classique consuere) et du latin molere, lesquels sont dépourvus de d comme chacun peut le constater ? (On pourrait aussi évoquer le cas de pondre et de répondre, qui recourent tous deux au d dans leur conjugaison alors que celui-ci n'existe que dans le latin respondere, pas dans ponere.) Deux poids deux mesures... et un sacré défi lancé à la mémoire des scripteurs pour retenir que « les verbes en -soudre, à la différence de ceux en -oudre, ne comportent aucun d à l'indicatif présent ni à l'impératif présent : je résous, résous ce problème ! » (Bescherelle La Conjugaison pour tous).

    Les spécialistes de la langue n'ont pas manqué de dénoncer − en vain − ce qu'ils tiennent pour une anomalie : « Il n'y a évidemment aucune raison, si l'on écrit coudmoud, au lieu de cout et mout, de continuer à écrire résout et craint plutôt que résoud et craind par un d » (Jacques Damourette et Édouard Pichon, 1930), « Notons, au passage, la bizarrerie et l'incohérence de l'orthographe officielle qui exige il coud, il moud avec un d, et il absout, il résout, avec un t [...]. L'Académie, qui se doit de veiller à la logique et à la pureté de la langue française, ne pourrait-elle y mettre bon ordre ? » (Étienne Le Gal, 1934), « Si demain l'Académie française décide de généraliser la graphie il résoud, j'applaudirai des deux mains » (Alain Guillermou, avant 1974), « Les erreurs commises par les usagers, quand elles se répètent, peuvent elles aussi trahir certains dysfonctionnements de la norme orthographique. Dira-t-on, par exemple, qu'il est absurde d'écrire il résou(< résoudre) plutôt que il résout alors que des formes normées semblent aller dans le même sens – il pren(< prendre) ? » (Jean-Pierre Jaffré, 2010). Une anomalie, une incohérence, un dysfonctionnement, vraiment ? Et si le thermomètre n'était tout simplement pas le bon ? si l'infinitif n'était pas la forme discriminante ? C'est ce que laisse entendre Pierre Le Goffic dans Les Formes conjuguées du verbe français (1997), quand il propose la règle suivante : « Pour savoir si un verbe en -dre s'écrit avec un -d- au singulier de l'indicatif présent, il faut considérer, non pas l'infinitif, mais le présent 4 [i.e. la forme de la première personne du pluriel], qui représente le mieux le radical. » Autrement dit, on écrit je réponds, car le pluriel est nous répondons ; de même pour je tends, je répands, je tords, je perds. Mais on écrit je peins, car le pluriel est nous peignons : ce n'est donc pas un radical en d (le d de l'infinitif est épenthétique, ce n'est qu'un son de transition entre le radical et le r de l'infinitif) ; il en est de même pour j'éteins, je crains, je joins et pour j'absous, je dissous, je résous. Quant au t caractéristique de la troisième personne, il tombe derrière : je réponds, il répond. Tiendrions-nous là enfin la règle simple qui ne souffrirait d'aucune exception ? Las ! trois verbes y dérogent de l'aveu même de Le Goffic : je prends, d'une part, je couds et je mouds, d'autre part... (2)

    Quand elle ne serait pas pleinement satisfaisante, la thèse avancée par Le Goffic présente du moins l'intérêt de réduire significativement le nombre d'exceptions et, ce faisant, de suggérer que c'est la graphie du présent singulier de coudre et de moudre qu'il conviendrait d'aligner sur celle des verbes de la famille -soudre, et non l'inverse. Mais persévérons dans cette voie. Une formulation rendant compte de toutes les graphies particulières pourrait être la suivante : au singulier du présent de l'indicatif, les verbes en -dre se conforment à la conjugaison en -s, -s, -t quand la forme de la première personne du pluriel comporte -lv- ou -gn- ; sinon, ils s'en distinguent en recourant à un d analogique avec l'infinitif (désinences -ds, -ds, -d) − que l'on peut éventuellement résumer en : au singulier du présent de l'indicatif, les verbes en -dre conservent leur d (désinences -ds, -ds, -d), sauf quand la forme de la première personne du pluriel comporte -lv- ou -gn-(désinences -s, -s, -t). Reste à savoir si elle est objectivement plus simple à retenir que la règle énoncée en introduction...

    Vous l'aurez compris : devant pareille confusion, on ne peut que se résoudre à absoudre ceux qui sont tentés d'écrire il résoud !
     

    (1) Au XIVe siècle, ledit v sera réintroduit au pluriel par réfection savante (nous résolvons). Les formes populaires avec d se sont toutefois maintenues bien au-delà. On trouve encore dans les poésies de Mathurin Régnier : « Je me résoudois » (vers 1610) et dans une lettre du mathématicien René-François de Sluse à Pascal : « Les problèmes locaux, nous les resoudons presque de mesme façon » (1658).

    (2) Ces verbes se sont pourtant conformés autrefois à la conjugaison en -s, -s, -t (je prens, tu prens, il prent ; je cous, tu cous, il cout ; je mous, tu mous, il mout), avant de voir le d de leur infinitif s'introduire dans les désinences du singulier de l'indicatif présent, au grand dam de nombreux spécialistes : « Ce qu'il y a de plus regrettable, c'est qu'on se soit trompé sur le radical de coudre et de moudre, qui est cous- et moul-, comme on le voit nettement partout où la consonne finale est devant une voyelle (cousant, moulait, etc.), et non coud- et moud-. Le d de coudre et de moudre [jadis cous-d-re, moul-d-re] n'appartient ni au radical ni à la flexion, c'est un d euphonique, qui n'a de raison d'être qu'à l'infinitif et aux temps qui se sont formés sur l’infinitif (futur et conditionnel), où il s'est introduit entre la vraie consonne finale du radical, s ou l, à l'époque où on la prononçait encore devant consonne, et l'r de re. Il coud et il moud sont, au plus haut point, des barbarismes, dont les écoliers s'inspirent pour écrire aussi il absoud, il résoud » (Léon Clédat, 1926).

    Remarque : Concernant le cas tout aussi épineux du participe passé des verbes en -soudre, voir ce billet.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ce silence ne résout en rien le problème.

     

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