• Un lièvre écorché


    « Le Parti de Gauche a-t-il soulevé un lièvre ? »
    (paru sur tf1.fr, le 21 septembre 2014)

     

     

    FlècheCe que j'en pense

    Quand la chose serait envisageable au sens propre − en attrapant l'intéressé par les oreilles −, elle serait condamnable au sens figuré. C'est que la formule consacrée pour « être le premier à signaler une difficulté, une question embarrassante » est lever un lièvre (ou lever le lièvre), où lièvre incarne l'idée de « but, ce que l'on recherche ».

    L'expression, vous l'aurez deviné, est empruntée au monde de la chasse, où l'on a pour habitude de lever le gibier − entendez : le débusquer de son abri, le faire sortir de son gîte pour le tirer − avant, le cas échéant, de soulever sa dépouille pour en connaître le poids. Mais à cause de l'analogie avec soulever une question, une difficulté, une objection (au sens de « susciter, provoquer, faire naître »), grande est évidemment la tentation de substituer soulever à lever dans l'emploi figuré... au risque de voir détaler la métaphore : « Sartre a soulevé là un gros lièvre » (Jean Cocteau) ; « À peine avait-il soulevé ce lièvre que (...) » (Alexandre Adler) ; « À ma connaissance, seul Arthur Janov a soulevé ce lièvre » (Françoise Hardy) ; « mais je n'avais pas voulu soulever le lièvre » (Macha Méril) ; « je parie qu'aucun gouvernement n'osera soulever ce lièvre » (Alain Juppé) ; «  elle ne tarderait sans doute pas à soulever le lièvre » (Blandine Le Callet) ; « Je ne me rappelle plus combien de temps cela m'a demandé pour soulever le lièvre, percer à jour l'imposture » (Philippe Besson).

    La confusion est telle que nos dictionnaires usuels, toujours prompts à flairer l'air du temps, ont voulu se convaincre que l'usage avait fini par imposer cette impropriété. Résultat : ils s'épuisent à courir deux lièvres à la fois. Ne lit-on pas « Lever, soulever un lièvre, soulever à l'improviste une question embarrassante » dans le Robert illustré, quand le Dictionnaire historique de la langue française, qui appartient pourtant à la même écurie, ne connaît que « lever un lièvre » ? La concurrence mériterait tout autant de se faire tirer les oreilles pour avoir écrit, à l'entrée « lièvre » du Larousse en ligne, « Lever, soulever un lièvre, être le premier à dévoiler une question embarrassante, mais importante » et, à l'entrée « lever », « On dit, au sens propre comme au sens figuré, lever un lièvre (et non soulever un lièvre) ». Une hase n'y retrouverait pas ses petits (lesquels, soit dit en passant, s'appellent les levrauts).

    Est-il besoin de préciser que les spécialistes de la langue que sont Thomas, Girodet, Hanse, Bescherelle et Colignon ne manqueront pas de tomber sur le râble des imprudents qui persistent à vouloir s'aventurer hors des sentiers battus ? De là à en conclure que soulever un lièvre est bien plus risqué que de poser un lapin...

    Remarque : Si l'on en croit Littré et l'Académie, lever le lièvre, au figuré, se disait jusqu'à la fin du XIXe siècle pour « être le premier à faire quelque ouverture, à proposer quelque chose dont les autres ne s'étaient point avisés ». L'idée de difficulté (que Littré réservait à l'expression lancer un lièvre) ne semble s'être imposée qu'à partir du XXe siècle.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    A-t-il levé un lièvre ?

     

    « Écart de lang(u)ageBien mal acquis ne profite jamais »

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