• Un cas à... par

    « La grève peut également être un événement de nature à exonérer [la SNCF] de sa responsabilité lorsqu’elle constitue un cas de force majeure [...]. Les tribunaux évaluent la situation au cas par cas. »
    (paru sur leparisien.fr, le 17 mai 2018)

     

      FlècheCe que j'en pense


    Avez-vous remarqué comme les ouvrages de référence font peu de cas des tours formés de la préposition par encadrée par deux substantifs identiques, à l'instar de étape par étape, image par image, ligne par ligne, mètre par mètre, mot par mot, page par page, pierre par pierre, secteur par secteur, sous par sous, etc. ? Cas par cas n'échappe pas à la règle : absent du Littré, du TLFi, de mes dictionnaires usuels, il apparaît au détour d'un exemple à l'entrée « cas » de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, sans toutefois disposer d'une définition qui lui soit propre : « Nous examinerons les demandes cas par cas. » Rien que de très normal, me direz-vous, dans la mesure où le sens de ces syntagmes à valeur distributive se laisse aisément déduire de la combinaison du sens de chacun de ses éléments.

    Certains ont pourtant droit à un régime de faveur, dès lors que l'usage leur a conféré le statut de locution : que l'on songe à heure par heure, employé au sens de « à intervalles réguliers ». Il est un autre cas « privilégié » qui mérite qu'on s'y arrête un instant, tant il est proche de celui qui nous occupe : je veux parler de point par point − littéralement « un élément (d'un ensemble de propositions) après l'autre » − qui, à en croire les spécialistes (Académie en tête), aurait produit dans notre lexique une expression figée (avec le sens de « méthodiquement, dans le détail ; sans rien omettre »), alors que cas par cas − littéralement « un ensemble de circonstances (définissant une situation particulière) après l'autre » − se voit refuser l'acception de « en prenant en compte les particularités de chaque situation ; sans généraliser ». Comprenne qui pourra.

    Mais poursuivons. « Dans certains cas, observe Andrée Borillo dans Quelques schémas de syntagmes à redoublement (1995), il arrive qu'une expression [du type nom-préposition-nom identique], suffisamment autonome, change de catégorie, par exemple se transforme en véritable nom : faire du porte à porte, pratiquer le mot à mot, brancher un goutte à goutte, etc. » Grande est ainsi la tentation, de nos jours, de faire du cas par cas : « Les magistrats font du cas par cas » (La Voix du Nord), « Bien souvent, les médecins font du cas par cas » (L'Express), « L'ancien maire du Havre fait du cas par cas » (Le Monde), « Emmanuel Macron aurait préféré laisser les préfets faire du cas par cas » (Le Parisien), voire − programme présidentiel oblige − de se prononcer sur le cas par cas : « Le cas par cas garde toute sa pertinence » (L'Express), « Macron prône "le cas par cas" » (Le Figaro), « Le cas par cas, c'est l'arbitraire le plus total » (La Croix). Ce phénomène est assez récent ; il a commencé à se développer dans les années 1960-1970, période à laquelle le tour cas par cas, apparu au milieu du XIXe siècle, s'est vu concurrencer par la variante au cas par cas, probablement sous l'influence de au coup par coup. Comparez : « statuer cas par cas » (1901) et « statuer au cas par cas » (1970), « examiner les possibilités cas par cas » (1904) et « examiner les possibilités au cas par cas » (1993), « rechercher des solutions cas par cas » (1947) et « rechercher des solutions au cas par cas » (1986), « réagir cas par cas » (1956) et « réagir au cas par cas » (1961), etc.

    Là encore, les différences de traitement observées au sein de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie ne laissent pas de surprendre : d'un côté (à l'article « coup »), les sages du quai Conti entendent régler une affaire au coup par coup (au sens de « la régler en traitant l'une après l'autre les difficultés qu'elle présente ») ; de l'autre (à l'article « cas »), ils se contentent d'examiner les demandes cas par cas. Deux poids, deux mesures... Toujours est-il que la forme au cas par cas n'en finit pas de fleurir comme locution (adverbiale ou adjective) sous des plumes avisées : « Une évaluation au cas par cas sera requise » (Office québécois de la langue française), « Une étude lexicale au cas par cas » (Pierre Le Goffic), « [Un usage] toujours défini par exclusion, au cas par cas » (Bernard Cerquiglini), « Je serais tenté de raisonner au cas par cas » (Bruno Dewaele), « Je laisse de côté les difficultés plus rares et plus pointues que tu résoudras au cas par cas » (Patrick Rambaud) et jusque sur le propre site Internet de l'Académie : « Cette commission [des œuvres sociales] est chargée d’étudier au cas par cas les dossiers des familles nombreuses », « La prononciation des consonnes finales en français se traite au cas par cas ». Il faut croire que tous les Immortels ne s'en font pas... un cas de conscience.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Les tribunaux évaluent la situation (au) cas par cas.

     

    « Rappel à l'ordreÀ l'heure du désordre ? »

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