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Un accord qui n'a pas la... cote ?
« Ils s'étaient cotisé pour lui offrir un de ces écrans plasma de plus d'un mètre de diagonale. »
(Alain Babanini, dans son livre Le Collecteur des quotidiens, aux éditions Lulu.com)
Ce que j'en pense
Dérivé du nom cote (dans son acception de « quote-part imposée à chaque contribuable »), le verbe cotiser est attesté dès le XIVe siècle au sens transitif de « faire contribuer (quelqu'un) pour une quote-part à une dépense commune » (selon le Dictionnaire de l'ancienne langue française de Godefroy), d'où « le soumettre à une taxe, à une contribution » (notez dans cette acception le caractère imposé de ladite cotisation) : « Ils [lui] donnèrent pouvoir et mandement de cottiser et taxer également chaque ville » (Jacques Amyot), « On cotise les personnes à proportion de leurs biens » (Dictionnaire de Furetière). De là l'emploi pronominal réfléchi au sens de « soumettre soi-même à une contribution », d'où « s'engager en commun à payer une somme d'argent » (ladite cotisation passant progressivement d'imposée à volontaire) : « Chacun des confederez se quottiseroit à ce qu'il devroit fournir » (Martin du Bellay), « Ils sont prêts à se cotiser, chacun selon leur fortune » (Chateaubriand).Si l'emploi transitif a fini par disparaître (sauf au Canada, si l'on en croit le Dictionnaire historique de la langue française) au profit de la construction indirecte cotiser à, « verser une cotisation » (cotiser à une mutuelle, à un syndicat, à un parti politique), il permet de justifier l'accord du participe passé à la forme pronominale : « Nous nous sommes cotisés pour lui offrir un cadeau » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie), « Les élèves se sont cotisés pour faire un cadeau à leur professeur » (Dictionnaire du français de Josette Rey-Debove), « Ils se sont cotisés » (Hanse, Robert), « Elles se sont cotisées ; ils se sont cotisés » (Office québécois de la langue française). Dans ces exemples, l'analyse est la suivante : ils, elles ont cotisé (comprenez : ont fait contribuer) qui ? se, mis pour eux, elles, complément d'objet direct placé avant le participe passé. L'accord de ce dernier en genre et en nombre avec son COD est donc de rigueur. Encore faut-il, me rétorquera-t-on avec quelque apparence de raison, se rappeler l'ancien sens transitif de cotiser pour parvenir à cette conclusion. Voire. Car on peut tout aussi bien considérer que le pronom se dans se cotiser n'est pas analysable − puisque dans l'usage moderne se cotiser ne signifie plus « cotiser soi-même » (ni, du reste, « cotiser à soi-même ») − et, partant, que le participe passé doit s'accorder avec le sujet.
Vous l'aurez compris : rien ne justifie l'invariabilité du participe cotisé dans l'affaire qui nous occupe. De là à demander à notre auteur de payer son écot à la langue française...
Remarque 1 : La distinction entre l'emploi intransitif et l'emploi pronominal de cotiser n'est pas très nette. Ne lit-on pas dans le Larousse en ligne : « Organiser entre soi une collecte de fonds en vue d'une dépense commune ou pour un don : Ses enfants ont cotisé pour lui offrir un cadeau », là où l'on écrirait aussi bien Ses enfants se sont cotisés pour lui offrir un cadeau ?Remarque 2 : On notera que le tour se cotiser à plusieurs est considéré par les spécialistes de la langue comme pléonastique, se cotiser impliquant à lui seul l'idée de pluralité (plusieurs personnes réunissent une somme d'argent pour effectuer une dépense commune). Hanse ajoute toutefois qu'« on peut préciser : à deux, etc. »
Voir également le billet Accord du participe passé des verbes pronominaux.Ce qu'il conviendrait de dire
Ils s'étaient cotisés pour lui offrir une télévision.
Tags : cotiser, participe passé, accord, se sont cotisé, se sont cotisés
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Commentaires
J'aurais commis la faute si j'avais rencontré cette situation plus tôt... En effet, j'aurais fait l'analyse suivante: l'un et l'autre ont contribué à..., et donc je n'aurais pas mis le "s" !
Merci donc de ce rappel!