• Terrain glissant

    « Profitez de la meilleure pelouse que vous n'ayez jamais eue. »
    (publicité télévisée pour une tondeuse de la marque Worx)  

     


    FlècheCe que j'en pense


    Loin de moi l'intention de couper les brins chevelus en quatre, mais je trouve à ce ne, fût-il prononcé par une délicieuse voix hors champ, des allures de mauvaise herbe au beau milieu d'un gazon anglais. Car enfin, l'absurdité du slogan ainsi taillé à coups de serpe n'aura pas échappé aux esprits affûtés qui parcourent les allées régulièrement entretenues de ce site : il ne s'agit pas tant, en l'espèce, de profiter de la meilleure pelouse parmi celles que l'on n'a eues « à aucun moment » [!] (sens négatif de jamais, employé avec la particule ne) que de profiter, à l'inverse, de la meilleure pelouse parmi celles que l'on a eues « un jour, à un moment quelconque » (sens positif de jamais, employé seul). Las ! force est de constater que plus d'un journaliste en herbe hésite à couper celle qui pousse sous le pied dudit ne parasite : « Il considérait son père comme le meilleur homme qu'il n'ait jamais vu et le meilleur ami qu'il n'ait jamais eu » (Paris Match), « Il nous a dit qu'on était le meilleur public qu'il n'ait jamais vu ! » (Le Figaro), « [Il] est le meilleur gardien qu'il n'ait jamais rencontré » (L'Express). C'est que deux idées fleurissent de conserve sur la même plate-bande : Profitez de la meilleure pelouse (jamais vue) ! et Vous n'avez jamais eu une pelouse aussi belle...

    À cette confusion somme toute classique entre les deux valeurs opposées de jamais est peut-être aussi venue se greffer celle entre les constructions meilleur que et le meilleur... que. Comparez : Le temps est meilleur qu'il n'était hier et C'est le meilleur temps que nous ayons eu depuis une semaine. Dans le premier exemple, meilleur, comparatif de supériorité, est suivi d'une subordonnée comparative dont le verbe se voit, en effet, ordinairement flanqué d'un ne en guise de tuteur (*) ; sauf qu'il ne s'agit pas alors du ne (vraiment) négatif évoqué précédemment mais du ne dit « explétif ». Dans le second exemple, le meilleur, superlatif relatif, est suivi d'une proposition relative dont le verbe s'emploie cette fois sans ne explétif et se met le plus souvent au subjonctif (« pour marquer une légère réserve, une atténuation », selon Hanse), parfois à l'indicatif (« si l'on affirme sans réserve un fait considéré dans sa réalité bien constatée »). Avouez que ces subtilités ne sont pas à la portée du premier tondu venu − a fortiori d'un robot condamné à évoluer au ras des pâquerettes...

    (*) Quand la principale est négative ou interrogative, ne est parfois omis, même s'il reste de meilleure langue selon Dupré.

    Remarque 1 : L'honnêteté m'oblige à préciser que la faute ne figure pas sur le site Internet de ladite marque : « Une toute nouvelle gamme [de tondeuses] pour vous donner la meilleure pelouse que vous ayez jamais eue. » C'est l'agence de publicité qui va se faire rentrer dans le chou...

    Remarque 2 : Voir également ce billet.

        

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Profitez de la meilleure pelouse que vous ayez jamais eue !

     

    « Vive la langue française !Cent ans de malheur ! »

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