• Voilà deux mots délicieusement désuets, que l'on a parfois tendance à confondre – en raison de la proximité de leur sens – et encore plus à mal orthographier.

    Flèche Moult


    Issu du latin multum (« beaucoup »), moult s'écrit avec un l et un t qui se prononcent désormais (il fut un temps où l'on prononçait mou) mais sans e final.

    Jusqu'au XIIe siècle environ, moult (sous ses différentes formes anciennes) était employé comme adjectif ou comme adverbe : quand il portait sur un nom nombrable, il s'accordait donc avec celui-ci comme n'importe quel adjectif (cf. l'étude de Christiane Marchello-Nizia dans Grammaticalisation et changement linguistique). Depuis, il n'est plus guère utilisé que comme adverbe – donc invariable – d'intensité, avec le sens de « très » devant un adjectif et de « beaucoup » derrière un verbe.

    Je t'embrasse moult (= beaucoup). [Flaubert]

    Cet exercice est moult compliqué. Elle est moult surprise (= très, vraiment, fort).

    Cet emploi archaïque de moult, que Littré trouvait si « préférable à beaucoup », s'est aujourd'hui effacé devant son emploi comme adjectif indéfini (moult + nom), malgré les protestations des puristes. Moult devient alors synonyme de maint et de beaucoup de, mais avec ce petit côté facétieux qui plaît tant à certains. Il n'en demeure pas moins invariable (vestige de son passé en tant qu'adverbe)... même si la logique voudrait que, dans cet emploi adjectival, il s'accordât en nombre et en genre.

    Ils ont posé moult questions, après moult hésitations (= beaucoup de).

    Ce sujet a été abordé moult fois (= de nombreuses fois).

    En moult occasions mais À (ou En) maintes occasions, maintes fois.

    Il m'a raconté ses vacances avec moult détails (= avec force détails).


    AstuceÀ l'oral, on prendra un soin tout particulier à ne pas faire de liaisons inappropriées (les fameux pataquès)...

     

    Flèche Maint, Mainte

     
    À la différence de moult, l'adjectif indéfini maint varie. Vraisemblablement d'origine germanique, il est le plus souvent employé au pluriel avec le sens de « un grand nombre de, plusieurs », parfois au singulier avec le sens de « plus d'un » (si curieux que puisse paraître le fait qu'un mot puisse affecter la forme du singulier tout en exprimant l'idée du pluriel).

    À maintes et maintes reprises. Maintes fois (= très souvent).

    À (ou En) maintes occasions ou À (ou En) mainte occasion.

    En maints endroits ou En maint endroit.

    Maint / Moult

     


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  • Voilà pourtant une distinction qui me tenait à cœur : celle qui prétendait réserver l'usage de second aux seuls cas où l'énumération ne comporte que deux éléments.

    Ainsi, je me rappelle l'optimisme de feu Maître Capello qui préférait parler de la Seconde Guerre mondiale plutôt que de la Deuxième Guerre mondiale, parce qu'il n'en espérait pas une troisième ! De même était-on fondé à évoquer le Second Empire mais la Deuxième République.

    Et voilà que, d'une phrase lapidaire, l'Académie réduit tous mes efforts de subtilité à néant : « L’unique différence d’emploi effective entre deuxième et second est que second appartient aujourd’hui à la langue soignée, et que seul deuxième entre dans la formation des ordinaux complexes (vingt-deuxième, etc.). » Et Joseph Hanse d'insister : « Jamais la langue n'a fait couramment entre les deux la distinction que des théoriciens ont voulu établir et qui est respectée par certains. » Pour preuve, ces exemples trouvés chez des auteurs qui n'ont pas pour habitude de jouer les deuxièmes (ou les seconds) couteaux : « Le premier qui vit un chameau / S'enfuit à cet objet nouveau ; / Le second approcha ; le troisième osa faire / Un licou pour le dromadaire » (La Fontaine) ; « j'en arrive à me demander si [...] une femme assez adroite pour cacher un second amant à un premier en le logeant dans un bahut, n'en cache pas au second un troisième, en le fourrant dans un coffre à bois » (Courteline) ; « Je bois une seconde gorgée [de thé] où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième m'apporte un peu moins que la seconde » (Proust). Il n'y aurait donc nulle obligation de se renseigner sur la taille d'un immeuble avant de pouvoir affirmer habiter au deuxième plutôt qu'au second étage ! Ni sur l'ampleur d'une fratrie avant de pouvoir s'adresser au deuxième plutôt qu'au second enfant.

    Les mots second et deuxième ont exactement le même sens, à savoir « qui vient immédiatement après le premier élément dans une succession ou une hiérarchie ». Il se trouve juste — ironie de l'histoire — que second (emprunté du latin secundus, suivant) est apparu... en premier dans la langue française, au XIIIe siècle soit une bonne centaine d'années avant son concurrent deuxième, lui volant ainsi la vedette dans la plupart des expressions figurées (seconde chance, second degré, second lieu, second lit, second mariage, seconde nature, second plan, second rang, second rôle, second souffle, second violon, seconde vue, état second, de seconde main, causes secondes, etc.) et des emplois substantivés (le second du navire mais un deuxième classe).

    Pour autant, second et deuxième étant interchangeables (sauf dans les locutions figées ci-dessus et dans la formation des ordinaux composés), rien n'empêche ceux qui le désirent de continuer à faire cette utile distinction (entre suites comportant plus ou moins de deux éléments), par souci de précision et d'élégance. Un raffinement « tout arbitraire », selon Littré, mais qui devrait ravir Maître Capello !

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    Remarque 1
    : Il est plaisant de relever que, à l'entrée « février », l'Académie écrit dans la huitième édition de son Dictionnaire : « second mois de l'année », mais « deuxième mois de l'année », dans la neuvième. À croire qu'il est difficile de se débarrasser du poids de la théorie...

    Remarque 2 : Dans sa Grammaire des grammaires (1822), Girault Duvivier apporte une précision intéressante :

    « Second, Deuxième. On dit également le premier, le second, le troisième, le quatrième, etc., et le premier, le deuxième, le troisième, le quatrième, etc.

    Mais il y a cette différence que le deuxième fait songer nécessairement au troisième, qu’il éveille l’idée d’une série, et que le second éveille l’idée d’ordre sans celle de série. On dira donc d’un ouvrage qui n’a que deux tomes : voici le second tome, et non pas le deuxième ; et de celui qui en a plus de deux : voici le deuxième tome, ou si l’on veut, voici le second tome. »

    En synthèse, il convient bien de recourir à second quand la série se limite à deux éléments, mais il est possible de recourir indifféremment à deuxième ou second quand elle en comporte davantage. Subtile nuance !

    Remarque 3 : Les anciens ordinaux prime (premier), tiers (troisième), quart (quatrième) et quint (cinquième) fleurent bon l'archaïsme : « Le prime vent du soir » (Maurice Genevoix) ; Le tiers livre de Rabelais ; « Achevons cette quarte bouteille » (Théophile Gautier).

    Deuxième / SecondDeuxième / Second

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    L'expression second souffle est pourtant d'usage beaucoup plus courant.
    (Film de Jean-Pierre Melville et film d'Alain Corneau)

     


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  • Aborigène, nom et adjectif, vient du latin Aborigines, qui désignait les premiers habitants du Latium, le peuple primitif d'Italie.

    Un aborigène est donc une personne qui vit dans le pays ab origine, c'est-à-dire « depuis le commencement » (par opposition à celle qui vient s'y installer)... pas quelqu'un qui aurait élu domicile dans les arbres, comme peut le laisser supposer le barbarisme consistant à affubler ledit substantif d'un r superfétatoire, par confusion avec le radical arbor, « arbre » en latin (arboriculture, arboricole et non arborigène).

    On notera que l'adjectif aborigène s'applique non seulement aux êtres humains, mais également à tous les êtres vivants.

    Les aborigènes d'Australie (ou de n'importe quel autre pays !), la flore aborigène.

    Un singe arboricole (= qui vit dans les arbres).

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    Remarque 1
    : Au sens de « personne qui est originaire du pays où elle vit », le substantif aborigène a pour synonyme indigène et autochtone. Littré distingue cependant ces trois termes selon leur étymologie :

    « Autochthone [du grec aûtos, "même", et khthôn, "terre"], qui est de la terre même ; indigène, qui est né dans le pays ; aborigène, qui est dès l'origine dans un pays. Indigène [du latin indigena, "né dedans"] indique seulement les gens nés dans un pays ; idée à laquelle autochthone et aborigène ajoutent que le peuple dont il s'agit a été de tout temps dans le pays et n'y est pas venu par immigration. Les créoles sont indigènes des Antilles ; mais ils ne sont ni autochthones ni aborigènes. Entre autochthone et aborigène, il n'y a que cette différence-ci, et qui est purement étymologique : autochthone rappelle à l'esprit l'opinion antique que l'homme naquit de la terre, tandis que aborigène n'implique rien sur la question d'origine. » (NB : On écrit désormais autochtone avec un seul h.)

    Astuce

    On retiendra que l'aborigène et l'autochtone vivent dans le pays depuis l'origine de son peuplement (en tant que premiers occupants du territoire), quand l'indigène est simplement né sur place.


    Les mêmes remarques valent avec les adjectifs associés, à cette nuance près – me semble-t-il – que seuls indigène et autochtone peuvent se dire des choses (coutume, littérature, langue, musique, religion...) avec le sens de « qui est propre à un pays », et que seul autochtone peut s'appliquer aux terrains (« qui est formé sur place », en termes de géologie). On notera enfin qu'indigène prend parfois, dans l'usage actuel, une connotation péjorative infondée, tandis qu'aborigène s'est abusivement spécialisé dans la dénomination des populations d'Australie et de Nouvelle-Zélande.

    Les aborigènes, indigènes ou autochtones d'Indonésie.
    La population aborigène, indigène
    ou autochtone.
    Une plante aborigène, indigène
    ou autochtone.
    Une langue indigène ou autochtone
    (mais la langue aborigène dans son acception restreinte et abusive de « peuple primitif d'Australie »).
    Une roche autochtone.

    Remarque 2 : L'adjectif allogène (composé d'allo- et de -gène, du grec gennân, « engendrer » et à ne pas confondre avec son homophone halogène) signifie « qui est d'une autre origine que la population autochtone et continue à présenter certains caractères qui l'en distinguent », par opposition à indigène (Cette communauté allogène a conservé sa langue).

    AborigèneAborigène / Autochtone / Indigène
     

    Le terme aborigène est abusivement                   Film de Rachid Bouchareb.
    réservé au peuple primitif d'Australie
    et à sa culture.

    (Livre de James Vance Marshall et
    Francis Firebrace, Editions Circonflexe)

     


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  • Opportunité désigne le caractère de ce qui vient à propos, de ce qui est opportun. Ce substantif féminin ne devrait donc, dans l'absolu, jamais être employé au pluriel.

    L'opportunité d'une démarche, d'une décision, d'un propos (= sa pertinence).

    Il réfléchit à l'opportunité d'une reconversion professionnelle.

    Avoir le sens de l'opportunité (= ne pas hésiter sur la conduite à tenir, en toute situation).

    Si ce sens « abstrait » est aujourd'hui la seule acception reconnue par l'Académie, tel ne fut pas toujours le cas. Ainsi peut-on lire à l'entrée « opportunité » de la première édition de son Dictionnaire (1694) : « Occasion propre, favorable. Il a trouvé l'opportunité. » Cet emploi au sens concret de « circonstance opportune, occasion favorable » (également attesté chez Littré) figurait encore dans la huitième édition (1935) : « Caractère de ce qui est opportun. L'opportunité d'une décision, d'une démarche. Absolument, Profiter de l'opportunité », avant de laisser place à une virulente mise en garde :  « C'est à tort que ce terme est substitué à Occasion dans tous ses emplois. Ainsi, on ne dira pas Je me réjouis d'avoir l'opportunité de vous rencontrer, mais Je me réjouis d'avoir l'occasion de vous rencontrer » (neuvième édition, en cours).

    Pourquoi un tel revirement ? Parce qu'il serait de bon ton, aujourd'hui, de classer opportunité parmi les anglicismes à éviter ? On est fondé à s'interroger sur... l'opportunité de recourir à nos voisins d'outre-Manche pour évoquer une acception attestée chez nous depuis plus de trois siècles ! Le diable se cachant dans les détails, il semble plutôt que l'explication soit à chercher du côté de la mention « absolument ». Littré ne s'y est pas trompé : « Absolument. Occasion favorable. Saisir l'opportunité. Il s'est prévalu de l'opportunité. » Ainsi serait-il correct de saisir l'opportunité, mais pas de saisir l'opportunité de parler à quelqu'un. Les finesses du français sont assurément infinies... avec ou sans complément.

    Vous l'aurez compris : le commun des mortels n'a que faire de pareilles subtilités. Bien que critiqué dans la plupart des ouvrages de référence (dont Hanse, que l'on a connu plus libéral), l'usage élargi de opportunité (par une sorte de retour aux sources au contact de l'anglais opportunity, « affaire, aubaine à saisir ») semble voué à perdurer, faute de synonyme satisfaisant suggérant la même idée de chance. Pour éviter tout reproche, on pourra toutefois continuer de privilégier, dans la langue soignée, occasion (voire possibilité), quand le contexte est neutre, et chance, aubaine, perspective ou belle occasion, quand le contexte est positif. Quant à ceux qui tiennent à réhabiliter opportunité dans son acception originelle, ils gagneront à réserver ce terme aux situations réellement favorables.

    Je me réjouis d'avoir l'occasion (ou la chance) de vous rencontrer (de préférence à d'avoir l'opportunité de vous rencontrer) mais J'ai eu l'occasion de lui parler (sans plus de précision).

    Des aubaines à saisir dans le rayon de la décoration (de préférence à Des opportunités à saisir).

    Il saisit l'occasion qui s'offre à lui. Manquer une occasion.

    Profiter de l'occasion pour féliciter quelqu'un.

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    Remarque 1
    : On se méfiera de l'ambiguïté dont sont désormais porteuses des phrases telles que « Il étudie l'opportunité de sa candidature » : parle-t-on de la possibilité de sa candidature ou de sa pertinence ?

    Remarque 2 : Quand il est question d'emploi, opportunité (alors souvent au pluriel) désigne une perspective (de carrière, d'avenir). Cette acception n'est pas répertoriée par l'Académie.

    Opportunité

    Des perspectives de carrière, ce serait mieux !

     


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  • Faisant tous deux référence à une certain sentiment d'insatisfaction ou de culpabilité, regret et remords (notez le s final même au singulier) sont souvent confondus.

    La différence, bien que subtile, n'en est pas moins présente : en fait, remords est beaucoup plus chargé moralement que regret.

    « Le remords est le sentiment de culpabilité que l'on éprouve quand on a commis une faute [...], alors que le regret c'est [surtout aujourd'hui] le déplaisir d'avoir perdu un bien qu'on possédait, ou d'avoir manqué celui que l'on aurait pu acquérir, [et], par affaiblissement, la contrariété que l'on a à faire ce qui nous déplaît ou déplaît à autrui » (rubrique Dire, ne pas dire du site Internet de l'Académie, 2019).

    Ainsi peut-on regretter une parole qui s'est révélée blessante, une opportunité qui ne s'est pas concrétisée, un être cher qui a disparu, mais l'on se doit d'être pétri de remords quand on a trompé son conjoint !

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    Remarque : Il existe plusieurs expressions construites avec regret : être au regret de (= éprouver un déplaisir d'avoir dit, d'avoir fait quelque chose), se consummer en regrets, faire quelque chose à regret, etc.

    Regrets Remords

     


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