• S'en substituer de nouvelles

    Il s'en substitue de nouvelles

    « Aux activités déclinantes s'en substituent de nouvelles, qui font naître plus de richesses » (à propos des disparitions d'emplois en France).

    (Philippe Manière, dans L'Express no 3199, octobre 2012)

     


    FlècheCe que j'en pense


    Cette semaine, les journalistes de L'Express me fournissent l'occasion d'évoquer les difficultés d'emploi... des pronoms personnels. Je n'en veux pour preuve, après l'impropriété signalée dans un précédent billet, que cette phrase à la structure apparemment redondante.

    D'une part, le verbe (se) substituer se construisant avec la préposition à (se substituer à quelque chose ou à quelqu'un), on peut à bon droit s'étonner de la présence du pronom en, utilisé d'ordinaire pour remplacer un complément introduit par de. En semble avoir été ici improprement substitué à y qui, seul, peut prendre le sens de « à cela » : Tel dispositif européen se superpose aux droits nationaux, sans s'y substituer.

    D'autre part, la position en début de phrase dudit complément d'objet indirect (aux activités déclinantes) ne saurait justifier la présence simultanée du pronom censé le remplacer (en apparemment mis à tort à la place de y). À moins, bien sûr, que le pronom y ne soit employé cette fois comme complément de lieu (avec le sens de « dans cet endroit-là ») : La France est en pleine mutation économique : de nouvelles activités s'y substituent aux emplois agricoles et industriels.

    Et pourtant, feront remarquer certains, c'est oublier que « En est requis (pour remplacer un nom) comme complément d'une expression quantitative [ou d'une expression désignant une catégorie pourvue de telle ou telle qualité, précise l'Académie] lorsqu'elle est sujet réel d'un verbe impersonnel, attribut ou complément d'objet direct : On manquait de porteurs, il s'en présenta un ». Voilà que Hanse nous rappelle à l'ordre, en insistant sur la valeur partitive du pronom en. En d'autres termes, en doit être ici analysé non pas comme complément du verbe substituer mais bien comme complément du quantifieur de nouvelles : Toutes nos assiettes sont ébréchées, je vais en acheter de nouvelles.

    Problème : si l'on s'en tient aux recommandations de Hanse, en partitif ne peut remplacer un substantif dans une expression exprimant une idée de pluralité en fonction de sujet que lorsque le verbe est construit de façon impersonnelle. Ce qui, vous en conviendrez, n'est pas le cas dans notre exemple.

    J'avoue que cette restriction me laisse perplexe car, après tout, ne dit-on pas correctement : À cette difficulté s'en ajoute une autre ? L'Académie elle-même note à l'entrée complet de son Dictionnaire : « C'est complet ! (se dit lorsqu'à [sic] des ennuis successifs s'en ajoute un dernier) ». Vous me direz, quel crédit accorder à de tels propos lorsque l'on constate que les Immortels s'autorisent l'élision de lorsque devant la préposition à ? C'est à désespérer de l'utilité d'établir des règles...

    À la réflexion (cf. travaux de recherche de V. Lagae), il semble bien que Hanse, d'ordinaire si tatillon, n'ait pas été exhaustif dans son analyse : l'exclusion de l'ensemble (en quantitatif + quantifieur) en fonction de sujet, bien que couramment admise par les spécialistes, doit être nuancée, notamment en cas d'inversion du sujet dès lors que ledit quantifieur est « complexe » (entendez : modifié par un adjectif, une relative...). Comparez :

    À cette activité s'en substitue une autre (le quantifieur une autre, complexe, est situé après le verbe → en quantitatif est admis).

    À cette activité, une autre s'en substitue (le quantifieur une autre, complexe, est situé avant le verbe → incorrect).

    À cette activité s'en substitue deux (le quantifieur deux n'est pas complexe → incorrect).

    En conclusion, notre journaliste peut être satisfait : sa prose n'est pas déclinante. Mais, diable, que la langue française peut se révéler subtile !

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Aux activités déclinantes s'en substituent de nouvelles, qui font naître plus de richesses (quantifieur postposé et complexe).

    Aux activités déclinantes se substituent de nouvelles activités, qui font naître plus de richesses (formulation sans recours à la pronominalisation).

    Aux activités déclinantes, il s'en substitue de nouvelles, qui font naître plus de richesses (tour impersonnel).

    Certaines activités déclinent ; s'y substituent de nouvelles activités, qui font naître plus de richesses (le pronom y est ici complément indirect du verbe se substituer).

     

    « Ceux-là même qui en ont fait de luiL'Aisne it's open »

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  • Commentaires

    1
    Michel JEAN
    Vendredi 17 Avril 2015 à 10:23

    Bonjour Mr Marc, naitre ! ou ne pas ... C'est vrai que ce Mr. laisse couler de sa plume des phrases comme les suivantes, qui, acoustiquement , ne disent pas ce qu'elles voudraient dire. Croyais que la forme "naitre" était réservé a de l'humain...? Merci. Mich.

    2
    Vendredi 17 Avril 2015 à 12:19

    Ce n'est pas l'avis de l'Académie : "Faire naître, produire, être la cause de. Faire naître des doutes, des soupçons. Cette querelle fit naître de profondes inimitiés. Sa déclaration fit naître le rire, l'indignation dans l'assemblée."

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    3
    MIchel JEAN
    Vendredi 17 Avril 2015 à 14:35

    R'B'j, encore moi, le déclinant" ad nauséam". Donc si [en] et [y] désignent un complément de lieu ne deviennent -t-il pas pronoms adverbiaux??? Merci.

    4
    Vendredi 17 Avril 2015 à 15:06

    C'est en effet le cas.

    5
    Mardi 29 Mars 2022 à 12:10

    J'espère que Michel Jean reçoit les commentaires de cet article : je ne saurais jamais le remercier assez de m'avoir fait découvrir, à 65 ans, la notion pourtant très simple de pronom adverbial. Je trouve ça très amusant !

    Cet apparent paradoxe d'adverbe pouvant avoir fonction de pronom fait resurgir un très vieux souvenir, un autre paradoxe, celui, en maths, de variation de la constante.

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