• Peut mieux faire

    Peut mieux faire

    « Il faut à la fois déterminer le gaz mais aussi, autant que faire ce peut, s'il était dans une bombe, comment il a été tiré et utilisé. »
    (paru sur lemonde.fr, le 5 avril 2017)  

     

      FlècheCe que j'en pense


    Voilà une expression au charme désuet, que l'usager moderne analyse plus souvent qu'à son tour de façon erronée. Il croit y déceler « autant que cela peut se faire » (d'où la tentation du pronom ce, mis  pour cela), mais ne perçoit pas qu'un se manque à l'appel. Non ! Pour autant que je sache, il s'agit là du tour impersonnel il se peut faire − pour il peut se faire (1) −, plus couramment employé sous la forme absolue il se peut (cela se peut) : « Il se peut faire que les autres pensent ainsi » (Dictionnaire de Jean Nicot, 1606), « Toutefois il se peut faire que je me trompe » (Descartes), « Il se peut faire qu'il y ait des vraies démonstrations, mais cela n'est pas certain » (Pascal), « Cette recherche se peut faire » (Bossuet), « Dans de telles conditions, cela se peut faire » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). Reconnaissons, à la décharge des contrevenants, que l'ordre des mots, peu naturel, et l'omission du pronom impersonnel il, fréquente dans ce type de construction (2), ne facilitent pas l'interprétation d'autant que faire se peut en « autant qu'il se peut faire », autrement dit « autant que cela peut se faire, autant que cela se peut », d'où « autant que cela est possible, dans la mesure du possible ».

    Ladite locution, qui exprime donc « une possibilité sur laquelle on émet des réserves » (selon le Dictionnaire de l'Académie), est présentée comme « figée » dans Le Bon Usage. Voire. Car enfin, on a connu des syntagmes au degré de figement autrement élevé.
    D'abord, les exemples où le verbe pouvoir est conjugué à d'autres temps que le présent de l'indicatif (mais toujours à la troisième personne du singulier) ne sont pas rares : « Il sera bon de dépouiller, autant que faire se pourra, les lieux observés » (D'Alembert), « Pour concilier leur dévotion avec leur paresse autant que faire se pourrait » (Gérard de Nerval), « C'était donc une heure dans la vie à noter, à graver, à défendre, autant que faire se pourrait, contre un trop rapide oubli » (Pierre Loti), « Il en [= des enfants abandonnés] a hébergé et élevé cinq cents en treize ans, donnant à chacun, autant que faire se pouvait, une âme » (Émile Henriot), « Autant que faire se pouvait avec une documentation souvent lacunaire, incertaine et toujours tardive, on a tenté de... » (Alfred Ernout), « Car le sentiment qu'il portait au jeune homme ressemblait à l'amour autant que faire se put  [sic] » (Gerald Messadié), « Chaque citation est, autant que faire s'est pu, doublement référencée » (Henri Béhar), « Nous nous en tenions à l'écart autant que faire se pouvait » (Robert Deleuse), « L'honneur cependant d'un juste critique sera d'échapper autant que faire se pourra à un impressionnisme trop aisément satisfait de sot » (Grand Larousse encyclopédique).
    Ensuite, le TLFi mentionne à l'entrée « pouvoir » la variante tant que faire se peut (littéralement « aussi longtemps que cela peut se faire »), quand le Larousse en ligne consigne de son côté la formule si faire se peut : « Tant que faire se pourra » (Bossuet), « La sœur du roi devait évidemment s'occuper [...] de la solitude de son frère, ce qui jusqu'à un certain point, et tant que faire s'était pu, avait été fait » (Jean Giono), « Entrer, tant que faire se peut, dans l'âme du possédé » (Bernard-Henri Lévy) ; « Surmonter, si faire se peut, les plus grandes adversités » (François de La Mothe Le Vayer), « Trouver − si faire se peut − dans les lettres françaises ce qu’il y a de meilleur » (Jean d'Ormesson).
    Enfin, faire se peut s'emploie depuis au moins le XVe siècle comme complément dans diverses constructions comparatives et superlatives : « Le plustost que faire se pourroit » (Livre des faits de Jean Le Meingre, vers 1409), « Comme si vingt hommes l'eussent assise le plus doucement que faire se peut » (Journal d'un bourgeois de Paris, 1434), « Le plus abregement que faire se peut » (Louis XI, 1462, cité par Littré), « La meilleure apparence que faire se peut » (Pierre de Crescens, 1486), « Tant et si longuement que faire se pourra » (Charles Quint, 1534), « Au plustost ou Le plustost que faire se peut » (Jean Nicot, 1606), « Représenter chaque chose le plus au naturel que faire se peut » (Honoré d'Urfé, 1607), « Fai(re) lever les voiles et cingler le plus promptement que faire se peut » (Pierre Matthieu, 1625), « Je dis adieu, avec autant de regrets que faire se peut » (Discours sur la mort du chapelier, vers 1628), « Enjoignons aux pères de famille de faire la diminution, sur chacun d'eux, aussi juste que faire se pourra » (Montesquieu, 1721), « Employer, le plus que faire se peut, le temps et les mains des sujets » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1765) « J'avancerai les miennes [d'affaires] le plus que faire se peut » (Louis-Joseph Papineau, 1822), « Tirer le plus honnêtement que faire se peut trois francs du plus grand nombre possible de poches françaises » (Jules de Goncourt, 1855), « Aussi peu que faire se pourra » (Émile Meyerson, 1931) ; cet usage, que d'aucuns qualifieront volontiers d'archaïsant ou de précieux, perdure sous quelques plumes contemporaines : « Aussi délicatement que faire se peut » (Pierre Perret), « Profiter chaque jour du soleil aussi longtemps que faire se peut » (Renaud Camus), « Expliquer, aussi simplement que faire se peut » (Pierre Bergounioux) − on dirait plus couramment, de nos jours, aussi délicatement (longtemps, simplement) que possible.

    Toujours est-il que, figée ou pas, notre locution s'écrit justement avec le s de possible − un moyen mnémotechnique comme un autre, que l'on gagnera à retenir... autant que faire se peut !

    (1) Littré précise que le pronom se « peut se placer devant pouvoir, sans que pouvoir soit pour cela verbe réfléchi ; se appartient alors au verbe à l'infinitif qui suit ».

    (2) Que l'on songe à mieux vaut, peu importe, n'empêche, comme bon lui semble, comme suit, si besoin était, etc.

    Remarque 1 : Le lecteur pressé pourrait croire que la locution autant que faire se peut est absente du Littré. Si elle ne figure à aucune des entrées attendues, elle apparaît toutefois au détour de l'introduction de la préface : « La définition et les divers sens classés et appuyés, autant que faire se peut, d'exemples empruntés aux auteurs des dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles. » Précisons, tant qu'à faire, que la première attestation qu'il m'ait été permis d'établir date de 1506 : « Pénétrer, autant que faire se peut, l'essence de ce dont les autres ne voient que les ombres et les simulacres » (François de La Mothe Le Vayer).

    Remarque 2 : Il va sans dire que la graphie autant que faire se peu, que l'on trouve çà et là sur la Toile, n'est pas davantage recevable.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Autant que faire se peut (ou, plus couramment, autant que possible, dans la mesure du possible).

     

    « À si peu près...Accords à haut risque »

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