• Perte d'équilibre

    « Bercy revoit ses ambitions à la baisse. [...] S'agissant de la réduction de la dépense publique, Édouard Philippe a confirmé que le gouvernement espérait en 2022 présenter un budget à l'équilibre, et non en excédent. »
    (paru sur francetvinfo.fr, le 10 juillet 2018)  

     
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par europeanpeoplesparty)

     

    FlècheCe que j'en pense

    Grande est la tentation, par analogie avec les tours à la baisse, à la hausse, d'écrire : à l'équilibre. Force est pourtant de constater que c'est bien plutôt en équilibre qui a la préférence des spécialistes de la langue pour indiquer une position stable : « Cela est en équilibre. Maintenir un corps ou quelque objet fragile en équilibre » (Littré) ; « La ballerine se tient en équilibre sur la pointe du pied. L'enfant marchait en équilibre sur le parapet. Mettre une pièce de monnaie en équilibre sur sa tranche. Un système en équilibre instable » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie) ; « Être, mettre en équilibre. Marcher en équilibre sur une poutre » (Robert) ; « Mettre les plateaux d'une balance en équilibre » (Larousse) ; « Des forces en équilibre » (Bescherelle).

    Rien que de très logique, me direz-vous, pour qui perçoit que le choix entre les prépositions en et à, dans ces locutions, dépend du point de vue sous lequel on considère les faits : en baisse, en hausse (comme en avance, en retard, en colère, etc.) indiquent un état, une réalité dûment observée (mesurée, en l'espèce), quand à la baisse, à la hausse (employés notamment après les verbes corriger, repartir, réviser, revoir, s'orienter...) marquent la tendance, le développement de l'action, sans que son terme soit connu avec certitude. Comparez : « Le franc est en baisse. Des actions en hausse, en baisse. Figuré. Son prestige est en baisse, sa cote est en hausse » (Académie), « Les cours des matières premières sont en hausse. Le dollar est en hausse » (Larousse), « Les températures sont en baisse. Des prix en hausse » (Bescherelle), « La Bourse a ouvert en baisse, en hausse. La fréquentation des théâtres est en baisse, en hausse » (Hachette-Oxford) et « Le cours de ces actions repart à la hausse. Des prix révisés à la hausse, à la baisse. Revoir des objectifs à la hausse, à la baisse » (Académie). Point de telles subtilités avec le substantif équilibre ; le bougre désignant précisément un état, seule la préposition en est envisageable (1) : Les plateaux de la balance sont en équilibre. Se tenir en équilibre. Marcher (en étant) en équilibre. Et, pour en venir à l'exemple qui nous occupe : « Présenter un budget en équilibre, en déficit, en excédent [selon que les dépenses et les recettes se balancent exactement ou pas] » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

    Las ! à y regarder de près, les ouvrages de référence auraient plutôt tendance à faire voler nos certitudes en éclats. Que l'on songe à l'emploi des locutions en baisse, en hausse, à la baisse, à la hausse avec le verbe être (exprimé ou sous-entendu), lequel relève souvent du délit d'initié. Ne lit-on pas dans la huitième édition du Dictionnaire de l'Académie : « Les fonds sont à la hausse, sont en hausse », puis dans la neuvième : « La Bourse est en hausse. La tendance est à la hausse » ? Que doit-on comprendre ? Que les deux constructions, hier synonymes, ne le seraient plus tout à fait de nos jours ? Le Larousse en ligne est à peine plus explicite : être en baisse, en hausse (« être en train de diminuer, d'augmenter de prix, de valeur, d'intensité, de force, etc. ») ; être à la baisse, à la hausse (« avoir tendance à, être sur le point de baisser, augmenter, en parlant d'une valeur [cotée en Bourse ?] »). Pas sûr que l'usager perçoive la nuance entre une vision pour ainsi dire statique de la réalité (dans la mesure où l'écart de prix, de valeur, d'intensité... pourrait être précisé [2]) et son pendant dynamique (réservé au seul domaine boursier ? [3]). Et que dire encore des désaccords qui opposent les spécialistes sur la nature desdites locutions ? Je vous laisse en juger : « En + nom abstrait forme de très nombreuses locutions adjectives se rapportant à un nom comme épithètes, comme attributs ou en position détachée. Ce genre de syntagme [se] trouve en particulier avec le verbe être ou des verbes tels que rester, mettre... » (La Grammaire du français parlé, 1968), « En équilibre, locution adjectivale : un plateau en équilibre ; locution adverbiale : marcher en équilibre sur un fil, tenir un verre en équilibre, mettre quelque chose en équilibre » (Larousse français-anglais) et « Locution adverbiale. En équilibre, plus rarement d'équilibre. Dans une position parfois difficile, précaire, mais stable » (TLFi).

    Gageons que le jour où les garants du bon équilibre syntaxique de notre langue accorderont leurs violons leur crédit auprès des usagers repartira... à la hausse.

    (1) On se gardera de toute confusion avec les cas où la préposition à est imposée par le verbe ou l'adjectif : participer à, revenir à, se rapporter à, tendre à, veiller à, relatif à... l'équilibre.

    (2) Il est à noter que c'est la préposition en qui s'impose quand l'écart est qualifié ou déterminé par un complément : les actions sont en baisse de 2 %, les températures sont en hausse de 2 degrés, la Bourse est en forte baisse.

    (3) Dans Les Mots de la fin du siècle (1996), Sylvie Brunet observe pourtant que « radios et télévisions semblent s’être donné le mot pour ne plus parler que de températures à la baisse (ou à la hausse) et de prix à la hausse (ou, plus rare, à la baisse) [...] par contagion du jargon boursier »...


    Remarque 1
     : La locution en équilibre est attestée au début du XVIIe siècle : « Pour tenir les navires en équilibre » (Jean-Pierre Camus, 1609). Il faut attendre la fin du siècle suivant pour voir apparaître en baisse, en hausse : « Si le papier est en hausse » (François Dominique de Reynaud de Montlosier, 1790), « [Valeur] sujette à varier soit en hausse, soit en baisse [on dirait aujourd'hui : varier à la hausse, à la baisse] » (cinquième édition du Dictionnaire de l'Académie, 1798).

    Remarque 2 : Dans le jargon boursier, jouer à la hausse (à la baisse) signifie « spéculer sur la hausse (sur la baisse) des marchandises, des valeurs ».

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Bercy revoit ses ambitions à la baisse.
    Présenter un budget en équilibre.

     

    « Le coup de pompeJe m'écrie donc je suis »

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