• Par contre / En revanche

    Pour ou contre par contre ? Que d'encre versée, que de polémiques recuites à propos de sa prétendue incorrection ! L'embarras de l'Académie à son litigieux sujet est manifeste :

    « Condamnée par Littré d'après une remarque de Voltaire, la locution adverbiale Par contre a été utilisée par d'excellents auteurs français, de Stendhal à Montherlant, en passant par Anatole France, Henri de Régnier, André Gide, Marcel Proust, Jean Giraudoux, Georges Duhamel, Georges Bernanos, Paul Morand, Antoine de Saint-Exupéry, etc. Elle ne peut donc être considérée comme fautive, mais l'usage s'est établi de la déconseiller, chaque fois que l'emploi d'un autre adverbe est possible » (neuvième édition de son Dictionnaire, 1988).

    Bel exemple de schizophrénie, s'il en est en matière de langue, de la part d'une vieille dame incapable de trancher entre deux usages apparemment irréconciliables. Mais que reproche-t-on au juste à cette malheureuse locution ?

    D'abord, ses origines commerçantes, si l'on en croit Voltaire, son plus féroce contempteur. « Écrire par contre pour au contraire [est une] barbarie qui vient du langage des marchands », affirmait l'écrivain en 1737 dans Conseils à un journaliste, avant de poursuivre son réquisitoire dans le Dictionnaire philosophique (1764) : « Tout conspire à corrompre une langue un peu étendue : les auteurs qui gâtent le style par affectation ; ceux qui écrivent en pays étranger, et qui mêlent presque toujours des expressions étrangères à leur langue maternelle ; les négociants qui introduisent dans la conversation les termes de leur comptoir, et qui vous disent que l'Angleterre arme une flotte, mais que par contre la France équipe des vaisseaux » et encore ailleurs : « Combien de platitudes familières : Par contre, au lieu de dire en récompense, en échange, au contraire » (Pensées littéraires, dans Œuvres inédites de Voltaire par Jules Janin). Par contre − qu'« aucun écrivain classique n'a jamais employé », si l'on en croit cette fois Roger Peyrefitte − figurait pourtant depuis 1693 dans le Dictionnaire de Richelet − à l'article « échange », il est vrai : « En échange. Sorte d'adverbe. Par contre, d'autre côté. Il a ce vice, mais en échange il a plusieurs bonnes qualitez » − sans que personne semblât s'en émouvoir... jusqu'à un jour de 1719 (ou de 1710 ?) où il en fut délogé sans autre forme de procès. Autrement dit, Voltaire ne fut apparemment pas le premier à avoir une dent contre notre locution. Toujours est-il que Littré lui emboîta le pas, un siècle plus tard (1) : « Par contre [doit] provenir de quelque ellipse commerciale (par contre ayant été dit pour par contre-envoi) ; en tout cas, il convient de suivre l'avis de Voltaire et de ne transporter cette locution hors du langage commercial dans aucun style. » Par contre-envoi ? Où diable Littré est-il allé pêcher pareille idée ? Par contre-coup, par contre-échange, par contre-partie, pourquoi pas, mais par contre-envoi ? On eût apprécié une référence, car ledit tour ne devait pas courir les rues marchandes du XVIIIe siècle... Bien plus fréquente dans le jargon des négociants européens de l'époque était − en revanche ? − la formule latine per contra (ou ses équivalents nationaux), depuis que l'inscription d'un montant dans un livre de comptes impliquait la mention du même montant sur la page en regard (per contra) de manière à établir la contrepartie, conformément aux principes de la comptabilité en double partie diffusés dès la fin du XVe siècle par les marchands vénitiens (2). De là l'usage du français par contre dans les ouvrages économiques de l'époque : « [Le thresorier] a dressé un livre [...] en debit. Et par contre il a faict sur iceluy crediteur ceux qui ont payé », « On tient ledit boulenger debiteur conforme au billet et par contre crediteur des pains » (Institution de l'aumosne médicale de Lyon, 1628) ; « Desdictes sommes faisons debitrice la caisse audit livre [...] par contre crediteurs lesdits [freres] Richards », « Nous avons escrit par erreur au compte [X le montant Y] en debit au lieu de les escrire en credit, et pour raccommoder ledit compte, leur donnons par contre credit » (Le Stile des marchands pour tenir livres de comptes, 1631). Dans d'autres documents, per contra a pour équivalent français ci-contre : « Pour le montant cy-contre » (Jacques Savary, 1675), « Porté la sommation cy-contre » (Matthieu de la Porte, 1685) et encore en 1850 : « Balance of interest per contra, solde des intérêts ci-contre » (Manual of Commercial Correspondence). Vous l'aurez compris : par contre, employé en comptabilité, signifiait « en regard, ci-contre, de l'autre côté », tout en véhiculant une idée de contrepartie (au sens de « chose qui s'oppose à une autre en l'équilibrant »).

    Ensuite, et c'est plus grave, le fait de ne pas être français. L'accusation de barbarisme lancée par Voltaire − et relayée par Féraud : « Par contre pour au contraire est un vrai barbarisme » (Dictionnaire critique, 1787), par Boiste : « Quelques auteurs qui ont parlé allobroge en français ont dit [...] par contre, au lieu d'au contraire » (Dictionnaire universel, 1803) et par Girault-Duvivier : « On fait un barbarisme en employant un mot qui n'est adopté ni par l'Académie ni par les bons écrivains [!] ; par exemple : par contre, au lieu de au contraire » (Grammaire des grammaires, 1820) − avait déjà commencé son travail de sape quand Louis-Nicolas Bescherelle porta le coup de grâce : « Par contre. Style commercial. En compensation. Cette expression n'est pas française ; ne dites donc pas : S'il est pauvre, par contre, il est honnête ; dites : S'il est pauvre, du moins il est honnête » (Dictionnaire national, 1845). Pas français, par contre ? Les uns le tiennent pour un gasconisme, les autres pour un germanisme, d'autres encore pour un latinisme (3). Qu'importe : le bougre n'est-il pas correctement formé, de deux mots en l'occurrence bien de chez nous ? Non, rétorquent en plissant le nez tous ceux qui, à l'instar de René Georgin, y voient l'attelage hautement suspect de deux prépositions : « Or une préposition ne peut, dans la bonne langue, en introduire une autre » (Pour un meilleur français, 1951). Mais qui est allé leur mettre pareille ânerie en tête, je vous le demande ? Littré, pardi ! quand bien même ce serait pour balayer aussitôt leurs réserves : « Cette locution [par contre] peut se justifier grammaticalement, puisque la langue française admet, en certains cas, de doubles prépositions » (que l'on songe à de par, par devant, etc.). Renseignements pris, Littré répondait ici au grammairien Étienne Molard, qui avait écrit quelques années plus tôt dans Le Mauvais Langage corrigé (1810) : « Si les artisans sont ordinairement pauvres, par contre ils se portent bien. Cette expression [par contre] rend mal le sens qu'on a en vue, ou plutôt elle n'en exprime aucun. Le mot contre est une préposition qui a toujours un complément. Au lieu de dire : Je n'ai pas pu aller à la campagne, mais par contre, je me suis bien amusé à la ville ; dites, mais en revanche, mais à défaut, ou employez simplement la conjonction mais, qui marque suffisamment l'opposition ou le dédommagement. » À la même époque, pourtant, un certain Pierre Larousse avançait une analyse toute différente : « Locution adverbiale. Par contre, en revanche, par compensation. Cette locution, généralement condamnée par les grammairiens, est universellement usitée. Il n'est, d'ailleurs, pas impossible de la justifier, en admettant que contre y est pris substantivement » (Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1869). Que Larousse n'a-t-il été davantage entendu ! Notre locution serait la combinaison non pas de deux prépositions, pas même d'une préposition avec un adverbe, mais de la préposition par avec le nom contre. L'hypothèse est moins saugrenue qu'il n'y paraît, quand on sait que l'emploi substantivé de contre au sens de « l'ensemble des arguments défavorables, la thèse contraire » (qui perdure dans l'expression peser le pour et le contre) est attesté de longue date : « Celluy, donques, qui tient le contre [= qui soutient le contraire] » (Le Songe du verger, 1378), « Car ce seroit une chose damnable A vous, de faire au contre de [= d'une façon contraire à] voz dictz » (Jean Bouchet, 1545), « Et tu as fait tout le contre [= le contraire] en trompeuse » (Ferry Julyot, 1557). De par contraire − forme autrefois en usage aux sens de « par hostilité » et de « par un effet contraire, de façon opposée », d'où « au contraire, en revanche, inversement » (4) − à par contre, il n'y avait qu'un pas, que les auteurs du XVIe siècle se sont décidés à franchir : « Je ne me dissimule pas combien est déplaisante la prolixité d'Augustin, mais je me demande par contre si ma propre brièveté n'est pas trop condensée » (Jean Calvin, 1549, cité par Abel Lefranc), « Le camp du roi, par contre, est divisé en factions et en querelles » (Michel de L'Hospital, avant 1568). L'histoire ne dit pas si cette évolution porte la marque du per contra des comptoirs italiens... (5) J'ai toutefois tendance à penser que le par contre « du langage des marchands » dénoncé par Voltaire n'était pas le même que celui de Calvin ou, plus précisément, que nous avions alors affaire à deux acceptions différentes d'une même locution : l'une courante, l'autre spécialisée (6). Aussi l'auteur de Candide se trompait-il − ou, pis, faisait-il preuve d'une incroyable mauvaise foi (7) − quand il croyait déceler l'influence du par contre commercial dans une phrase comme « L'Angleterre arme une flotte, mais par contre la France équipe des vaisseaux » : l'acception, en l'occurrence, n'est autre que celle, usuelle, employée deux siècles plus tôt par Calvin pour exprimer un fait qui est en opposition avec celui qui précède (8) ! Même confusion observée chez Littré quand il écrivait que ladite locution « ne se justifie guère logiquement, par contre signifiant bien plutôt contrairement que en compensation » : mais où diable décèlerait-on une idée de compensation dans le par contre de Calvin ? Tout porte à croire, à y bien regarder, que « au contraire, contrairement » correspond à l'acception courante, quand « en contrepartie, en compensation » ressortirait davantage à l'acception comptable.

    Le malentendu originel étant (définitivement ?) dissipé, intéressons-nous maintenant aux substituts que les détracteurs de par contre continuent de lui préférer dans la langue surveillée. Grevisse nous met en garde : « Il ne faudrait pas croire que en compensation ou en revanche pussent, dans tous les cas, suffire pour exprimer l'idée qu'on rendrait au moyen de par contre : en compensation et en revanche ajoutent à l'idée d'opposition une idée particulière d'équilibre heureusement rétabli ; par contre exprime, d'une façon toute générale, la simple opposition et a le sens nu de "mais d’autre part", "mais d'un autre côté". » Gide, nous dit-on, l'a fort bien montré en son temps : « Trouveriez-vous décent, écrivait-il en 1942 dans ses Interviews imaginaires, qu'une femme vous dise : "Oui, mon frère et mon mari sont revenus saufs de la guerre ; en revanche j'y ai perdu mes deux fils" ou "La moisson n'a pas été mauvaise, mais en compensation toutes les pommes de terre ont pourri" ? » C'est par contre (mieux que mais [9]) qui s'impose dans l'énoncé d'une perte, d'un inconvénient, confirme Hanse. Oserai-je faire observer à ces éminents spécialistes qu'un simple malheureusement aurait suffi dans ces exemples ? Oserai-je, surtout, avouer que l'argument ressassé selon lequel en revanche ne pourrait introduire qu'un avantage, un élément positivement évalué par le locuteur (quand par contre introduirait un avantage aussi bien qu'un inconvénient) me laisse à tout le moins perplexe ? Car enfin, les faits sont têtus : « Dans Rabelais on trouve ces chiens nommez Espagnols, parce qu'ils viennent d'Espagne ; comme en revenche les Espagnols ont nommé Galgo [de gallicus] un lévrier, parce que la race leur en est venue de France » (Dictionnaire de Furetière, 1690), « [Il ajoutoit] que le voisinage de la France avoit contribué à l'élevation de peu de maisons en Suisse ; mais qu'en revenche on avoit élevé sur ses frontières [plusieurs forteresses], qui bien loin de faire la sureté de la Suisse [...], la menaçoient plutôt de sa ruine » (Lettres historiques, 1693), « Mais aussi, en revenche, nous avons beaucoup de méchans poëtes » (Abel Boyer, 1721), « Il m'a refusé ce leger service, mais en revanche je ne veux plus me mêler de ses affaires » (Éléazar de Mauvillon, 1747), « Excellez et ne vous montrez pas, aurois-je volontiers dit à [tel homme]. En revenche, j'aurois dit à [tel autre] montrez-vous et n'écrivez jamais » (Madeleine de Puisieux, 1750), « En revanche, ses véritables dents [= celles du poisson scie] ne sont point attachées ainsi » (Georges Cuvier, 1805), « − Quoi, [seulement] trois onces de pain ! − Oui, mademoiselle ; mais en revanche la distribution manquait trois fois la semaine » (Stendhal, 1839), « Je crois n'avoir rien perdu de cette belle voix qui me caractérise. En revanche, j'ai bougrement perdu de cheveux » (Flaubert, 1850), « Il n'y a plus un chat à Paris, mais en revanche les étrangers y regorgent » (Mérimée, 1865), « Il devenait prématurément ferré sur la langue latine, mais, en revanche, il était absolument incapable d'expliquer deux mots de grec » (Huysmans, 1884), « En revanche, il a tort d'admettre [...] » (Auguste Cartault, 1906), « Nous étions incapables de la renseigner. En revanche nous ajoutions à son trouble en lui disant que [...] » (Proust, 1913), « Le pinson ne sautille pas. En revanche il vole en tourbillon » (Alain, 1921), « Il joue fort bien du violon ; en revanche, c'est un piètre chef d'orchestre » (Grand Larousse de la langue française, 1978). Point d'idée d'« équilibre heureusement rétabli », convenons-en, dans ces exemples ! Hanse avance une explication à ce paradoxe : « En revanche [devrait] logiquement avoir toujours ce sens, lié à celui de revanche [10] ; mais on le substitue parfois à par contre, qu'on n'ose employer » (sous-entendu : en souvenir de l'anathème voltairien). Sauf que l'argument n'est guère recevable en l'espèce, Stendhal, Flaubert, Mérimée, Huysmans et Proust, pour ne citer qu'eux, ne rechignant pas à employer par contre, à l'occasion (11). Goosse n'est pas dupe : « Si, dans en compensation, le nom garde son sens ordinaire, dans en revanche, l'idée de compensation n'est pas nécessairement présente et celle de revanche presque toujours absente, observe-t-il judicieusement dans Le Bon Usage (en n'hésitant pas, au passage, à contredire Grevisse, son beau-père). Comme pour par contre, c'est l'idée d'opposition qui domine. » 
     

    En résumé

    Quelles que soient ses origines, quelle que soit la nature grammaticale de son noyau contre, la locution par contre, attestée depuis près de cinq siècles, est désormais « reçue par le meilleur usage » (dixit Grevisse), en dépit de certains irréductibles qui continuent de prôner son remplacement systématique par en revanche, variante considérée comme plus soutenue.

    Quant à l'idée − relativement récente − selon laquelle en revanche, contrairement à par contre, ne saurait exprimer qu'une compensation (par un argument présenté comme positif), elle n'est pas confirmée par l'analyse des textes, même anciens. Pour autant, rien n'empêche ceux qui le souhaitent de s'y conformer, voire, selon le contexte et après avoir bien pesé le pour et le contre, de recourir à mais, d'autre part, d'un autre côté, au contraire, en compensation, en contrepartie, en retour, à l'inverse, à l'opposé, du moins, etc.

     

    (1) L'Académie, entre-temps, avait entamé sa valse-hésitation : absent des cinq premières éditions de son Dictionnaire, par contre est admis dans la sixième (1835) et dans la septième (1878) avec la mention « dans le style commercial », avant de disparaître de la huitième (1932)... puis de reparaître dans la neuvième (1988).

    (2) Matthieu de la Porte écrivait à ce sujet dans son Guide des négocians et teneurs de livres (1685) : « Comme le commerce a de tout temps fleuri en Italie, les habitans de ce païs se sont toujours exercez en toutes les sciences qui dépendent du négoce, nous leur devons entre autres celle de tenir les livres de comptes à parties doubles ; et de là provient que l'on se sert encore en cette science de quantité de mots italiens ou qui en derivent [...]. Les étrangers avec qui on negocie se servent ordinairement d'expressions italiennes dans le commerce, principalement les Hollandois, Allemans, Flamans et les autres nations du Nord, où l'on ne dit pas comme en France, tenir les livres à parties doubles, mais tenir les livres à la méthode italienne ou à l'italienne. » Parmi lesdites « nations du Nord », citons les Anglais qui, au XVIe siècle, accueillirent dans leur lexique le syntagme per contra sans le modifier.

    (3) « On le [= par contre] dit aussi communément en Provence » (Féraud, 1788), « Cette expression est tout à fait Gasconne. [...] je sais bien qu'il y a peu de François [réfugiés d'Allemagne] qui ne l'emploient toutes les fois que l'occasion s'en présente » (Éléazar de Mauvillon, 1747), « [L'expression par contre] n'aurait-elle pas son origine dans les traductions françaises de saint Thomas d'Aquin, qui emploie souvent sed contra au sens de par contre ? » (Albert Dauzat, 1950).

    (4) « E par contraire e par vilté » (Le Roman de Rou, XIIe siècle), « Par contraire lor dit a toz » (Le Roman de Tristan, XIIe siècle), « Més par contraire fu assés appellés » (Aliscans, fin du XIIe siècle), « S'il a Dieu cert dont par contraire » (Rutebeuf, XIIIe siècle), « De son honneur [...] elle en sera joyeuse, et, par contraire, doulente de son desplaisir » (Antoine de La Sale, 1456), « Ne veez vous pas tous les jours faire Guerre le filz contre le pere Et le pere au filz par contraire ? » (Jehan Regnier, XVe siècle).

    (5) En l'état actuel de mes recherches, le par contre de Calvin précède d'un siècle le par contre comptable.

    (6) Les deux acceptions sont réunies dans L'Art de tenir les livres en parties doubles (1786). Comparez : « Il faut le débiter et créditer par contre celui sur qui il se prévaut » et « Si 1/8 est la moitié de 1/4 le 6 par contre est le double de 3 ».

    (7) Selon Claude Duneton, « Voltaire n'aimait pas cette expression [= par contre] parce qu'elle lui rappelait trop ses origines sociales et son grand-père drapier » (L'Express, 2004). Bref, tout ça, c'est la faute à Voltaire, comme dirait l'autre !

    (8) Dans certains emplois anciens (et encore au XIXe siècle), une valeur de causalité a pu se combiner à celle d'opposition, jusqu'à réussir parfois à s'imposer comme dans ces exemples : « Desmoulins faisait pour ainsi dire le procès à tous les révolutionnaires et, par contre [= par suite, partant], à la révolution » (Charlotte Robespierre, avant 1834), « La Garonne déborda et, par contre, ses affluents » (George Sand, 1855).

    (9) Selon Hanse, « par contre [...] exprime une opposition de façon plus nuancée que mais » ; selon Grevisse, « mais exprime une opposition très floue, et au contraire, une opposition diamétrale, très précise, mathématique » (même son de cloche chez Robert : « Mais n'insiste pas assez sur l'opposition ; au contraire marque une opposition trop précise ») ; selon Nelly Danjou-Flaux, enfin, « mais a une force argumentative beaucoup plus contraignante que par contre et en revanche ».

    (10) Rappelons ici que le mot revanche (« fait de rendre la pareille »), ordinairement employé à propos d'un mal (préjudice, injure) que l'on a reçu, s'est aussi pris en bonne part, surtout à l'époque classique (valeur qui perdure dans à charge de revanche). De là la locution adverbiale en revanche, « en retour (en bonne ou en mauvaise part) ». Comparez : « Qui rit d'autrui Doit craindre qu'en revanche on rie aussi de lui » (Molière, 1662) et « Et moi en revanche je vous promets un livret » (Agrippa d'Aubigné, 1630), « L'amour qu'il a pour moi ne s'imagine pas Mais en revanche aussi je l'aime à la folie » (Jean-François Regnard, 1705), « Il m'a fait présent d'un tableau, je lui ai donné en revanche une belle bague » (Dictionnaire de Furetière, 1690), « Il m'a servi dans une telle occasion, et en revanche je l'ai servi dans une autre » (Dictionnaire de l'Académie, 1694). Voilà qui devrait faire réfléchir tous ceux qui ne perçoivent que vengeance derrière en revanche...

    (11) « Je vous indique, par contre, le Moniteur du 31 octobre » (Stendhal, 1817), « Par contre, même modification chez Leroux » (Flaubert, 1848), « Il fait un temps chaud et lourd insupportable ; par contre, on m'écrit d'Écosse qu'il pleut à verse » (Mérimée, 1861), « Par contre, si tu refuses ces conditions, mal t'écherra » (Huysmans, 1903), « À mon regard suffisait de la couleur, sans chaleur ; ma poitrine par contre se souciait de chaleur et non de couleur » (Proust, 1920).

    Remarque : Selon la linguiste Nelly Danjou-Flaux, « la locution en revanche − et c'est peut-être sa véritable spécificité − investit l'énoncé ou plutôt le couple d'énoncés qu'elle articule d'une forte valeur subjective, dans la mesure où elle laisse entendre que le locuteur est intéressé à l'existence de l'opposition, et plus précisément à l'existence du deuxième terme de l'opposition » (Au contraire, par contre, en revanche. Une évaluation de la synonymie, 1980). Pourtant, certains des exemples cités plus haut prouvent assez que en revanche, aussi bien que par contre, peut s'accommoder de contextes neutres, objectifs.

     

    Par contre / En revanche
    Extrait d'un livre de comptes présenté dans Le Stile des marchands

     

    « Mouche à (em)merdeFaut-il contourner incontournable ? »

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 29 Juillet 2012 à 10:10

    Bonjour Marc, merci de me donner des nouvelles parce que j'avais perdu ton lien,

    Et si l'on disait : "Dans l'accident, seule sa mère a été blessée." Ce serait plus simple et éviterait les controverses.

    De même : "Le jardin était à l'ombre, la maison en plein soleil."

    Bon dimanche,

    Lydia

    2
    Marc81 Profil de Marc81
    Dimanche 29 Juillet 2012 à 10:25

    Bonjour Lydia. Oui, c'est effectivement une possibilité : "Ses parents ont eu un accident. Seule sa mère a été blessée".
    Bon dimanche

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    3
    Kevindu92
    Jeudi 13 Décembre 2018 à 11:02

    Je me permets de prendre la défense de cette belle expression, bien plus élégante en réalité, tant dans sa sonorité que dans ses connotations lointaines, que "en revanche", qui est force un peu sur les nasales et évoque des inclinations bien basses.

    Le "contre" en question, bien que provenant d'une préposition, pourrait aussi bien glisser vers le substantif homonyme. Très utile et clair en langue sportive (utilisé en escrime depuis le XIXe, si l'on se fie à une unique consultation du TLFi), il a le mérite d'être bref, tonique et simple. Aujourd'hui qu'on ne connaît plus du tout l'origine commerciale de "par contre", on pourrait aussi bien lui donner une autre fondation sémantique : "par manière de contre". Avouez que c'est quand même plus noble que "en guise de revanche"...

    K

      • Vendredi 21 Décembre 2018 à 13:43

        Je vous remercie de votre commentaire et vous invite à relire cet article que je viens de récrire.

      • Vendredi 5 Avril 2019 à 11:58

        Ouiiii ! Par contre, i.e. "par l'effet d'un contre", ne souligne pas l'effet d'une revanche 

    4
    Michel Jean
    Lundi 8 Avril 2019 à 11:56

    Bonjour M.Marc, ce malheureux «par contre» ne pouvait que tomber dans divers «guet-apens» pour la forme ou le pour et le contre. Merci terrible l’article. Bye. Mich.

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