• Ouverture d'esprit

    « Les Etats-Unis "ouverts" à discuter avec Moscou. »
    (paru sur lefigaro.fr, le 17 septembre 2015) 

     

     
    FlècheCe que j'en pense


    J'en étais resté, pour ma part, à (être) ouvert à suivi d'un substantif − et non d'un infinitif −, au sens figuré de « qui est réceptif, sensible, accessible (aux sentiments, aux idées, etc.) », en parlant généralement d'une personne : Être ouvert aux bons sentiments, aux critiques, au dialogue. Un cœur ouvert à l'espoir. Un esprit ouvert à l'innovation (on notera que, dans ce dernier exemple, emprunté au Dictionnaire de l'Académie, le sens est proche de « qui est capable de comprendre, de s'intéresser à »).

    Le tour n'est pas récent. On le trouve dans la première édition (1694) du Dictionnaire de l'Académie : « Il a l'ame ouverte à la joye », et chez plus d'un auteur classique : « Et l'âme ouverte au bien que le ciel lui envoie » (Corneille), « Ni la bouche ni les oreilles de cette pieuse abbesse n'ont été jamais ouvertes à la médisance » (Bossuet), « Le chemin est encore ouvert au repentir » (Racine), « À de nouveaux tourments mes sens étaient ouverts » (Voltaire).

    Mais voilà que mon esprit se trouble au détour d'une phrase d'André Chénier, citée par Littré : « Et les riches, grossiers, avares, insolents, / N'ont pas une âme ouverte à sentir les talents. » Le jeune poète de la fin du XVIIIe siècle aurait-il... ouvert la boîte de Pandore avant de perdre la tête ? Renseignements pris dans les textes anciens, cet emploi d'ouvert à suivi d'un infinitif − bien que rare − n'est pas isolé : « Comme on a trouvé le cœur et la main d'autruy ouverte à bien faire, aussi faut-il avoir la bouche ouverte à le prescher » (Pierre Charron), « Puisqu'on a trouvé l'ame prompte et ouverte à obliger, il faut avoir la bouche prompte à publier le bienfait, et l'ame ouverte à le sentir » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert), « une entreprise, où, en travaillant pour sa gloire, ils trouveroient un champ ouvert à faire beaucoup pour la leur » (Pierre-Joseph d'Orléans), « pour qu'on eût l'œil ouvert à prendre garde à quel dessein on l'envoyoit » (Joseph-François Michaud). L'influence des tours prêt à, enclin à n'est sans doute pas étrangère à cette extension syntaxique (emploi avec un infinitif aussi bien qu'avec un nom : un esprit ouvert à la discussionun esprit ouvert à discuter) et sémantique (il ne s'agit plus tant d'être réceptif à des sentiments ou à des idées que d'être enclin à faire quelque chose). Il ne vous aura pas davantage échappé que, dans ces (maigres) attestations avec l'infinitif, l'adjectif ouvert était (toujours ?) employé comme épithète ; de nos jours, on le trouve également placé en position d'attribut, sans modification de sens (me semble-t-il) : « [Une banque italienne] serait ouverte à prendre une participation minoritaire dans la nouvelle entité » (La Tribune), « les gens étaient très ouverts à écouter des musiques diverses » (Le Parisien), « le PDG de Thales Luc Vigneron a déclaré que son groupe était "ouvert à parler avec Safran" » (Le Figaro), « la Corée du Nord se dit ouverte à discuter de son programme nucléaire » (L'Express), « "On est totalement ouvert à trouver une solution" » (Le Monde), « Mais il était ouvert à voir plus grand » (Atlantico).

    Ces exemples sont-ils à imiter ? Loin de moi l'intention de passer pour un esprit... fermé aux idées nouvelles, mais force m'est de reconnaître que je manque, en l'espèce, de cautions indiscutables. Mieux vaut sans doute passer son chemin et réserver le tour (être) ouvert à aux seuls noms.

    Remarque : Selon le Dictionnaire des expressions et tournures calquées sur l'anglais de Michel Parmentier, être ouvert à l'idée, à la discussion, etc. serait un anglicisme (calque de to be open to the idea) au sens de « être disposé à ». Tout ce que mes recherches me permettent d'affirmer, c'est que les attestations de la construction (être) ouvert à suivi d'un infinitif, quant à elle, sont nettement plus fréquentes chez nos cousins québécois que de ce côté-ci de l'Atlantique. Le débat reste ouvert.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Les États-Unis (sont) disposés à discuter avec Moscou ou Les États-Unis (sont) ouverts à la discussion avec Moscou.

     

    « Histoire de ne pas se voiler la face...Les gars de la maline »

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