• On en entend de bien belles !

    « Pour le moment, seul le nom du réalisateur a été dévoilé et aucune information sur le casting n'a été donnée. Si on peut se permettre une petite suggestion, on a cru ouïe dire que Kristen Stewart aimait bien les bêtes et que Taylor Lautner s'y connaissait pas mal en poils » (à propos de la prochaine adaptation au cinéma du dessin animé La Belle et la Bête).
    (Julie Michard, sur telestar.fr, le 5 juin 2014)

     

    FlècheCe que j'en pense

    D'aucuns rétorqueront qu'il vaut mieux entendre cela que d'être sourd. Tout de même, j'ai du mal à en croire mes yeux et mes oreilles. C'est que, de toute évidence, l'ouïe de notre journaliste est comme l'oie de Raymond Devos (1) : elle nage en pleine confusion.

    Confusion entre ouï et ouïe, d'abord. Il faut dire que nos deux homophones sont issus du même verbe ouïr (emprunté du latin audire, « entendre, écouter »), que l'on n'emploie plus guère de nos jours, à l'infinitif et aux temps composés, qu'avec l'infinitif dire (parfois parler, raconter) pour signifier qu'il s'agit de propos, d'informations répandus par la rumeur publique − voire par affection d'archaïsme (comme dans la forme impérative Oyez, bonnes gens !) ou dans la langue juridique (Ouï les parties) : le premier fait office de participe passé (notez le tréma sur le i qui le distingue de l'adverbe oui) ; le second, de dérivé nominal pour désigner celui des cinq sens par lequel on perçoit les sons (Avoir l'ouïe fine. Être tout ouïe).

    Confusion entre ouï dire et ouï-dire, ensuite. C'est qu'il y a ouï et ouï, si, si ! Celui qui entre dans la forme verbale ouï dire n'est autre que le participe passé précédemment évoqué (J'ai ouï dire... entendez : j'ai entendu dire, comme Molière écrivait dans L'Avare : « J'en ai ouï parler » [2]), alors que dans le nom masculin invariable ouï-dire, lequel s'écrit avec un trait d'union et se rencontre à l'occasion dans la locution adverbiale par ouï-dire (« indirectement, en se fondant sur des bruits, des rumeurs, des idées reçues »), c'est de l'infinitif ouïr lui-même qu'il s'agit, après amuïssement puis chute du r final (3) : Je l'ai appris par ouï-dire (on écrivait autrefois : par ouïr dire). À en croire les ouï-dire…

    Vous l'aurez compris : tout porte à croire que notre journaliste avait bel et bien à l'esprit le tour « on a ouï dire », dans lequel elle a cru reconnaître le substantif ouïe, la nature de participe passé de ouï lui ayant échappé par ignorance de l'étymologie. La méprise, au demeurant, n'est pas inouïe, relèveront à bon droit les oreilles bienveillantes ; qu'on en juge : « Et quand Marthe eut ouïe dire que Jésus venoit » (Évangile selon saint Jean, dans une édition de 1716), « Ne diriez-vous point cela par préjugé, ou parce que vous l'avez ouïe dire souvent ? » (Œuvres complètes de Malebranche, sous la direction d'André Robinet, 1958), « J'ai eu ouïe dire que la chair avait connaissance de tout » (Laurence Nobécourt, 2018). Il n'empêche, je ne suis guère enclin à l'indulgence dès lors qu'il est question de s'aventurer hors des sentiers battus, sur les pentes autrement escarpées du registre soutenu. Que ne s'est-on contenté d'un prudent « on a cru entendre dire » ! Voilà qui est d'autant plus bête que la grammaire l'aurait échappé belle.
     

    (1) La conjugaison (très défective, soit dit en passant) du verbe ouïr fit les beaux jours du regretté maître ès jeux de mots, dans un sketch resté fameux : « L'ouïe de l'oie de Louis a ouï. − Ah oui ? − Elle a ouï ce que toute oie oit. »

    (2) Et aussi : « Arrêtez, Monsieur, s'il vous plaît, il est un peu de mes amis, et ce serait à moi une espèce de lâcheté que d'en ouïr dire du mal » (Molière), « À ce que j'ai ouï dire » (Racine), « Je t'ai souvent ouï dire que les hommes étaient nés pour être vertueux » (Montesquieu), « J'ai ouï parler, à cette époque, de plusieurs petites conspirations » (Stendhal), « Vous le regrettez donc, ce triste personnage. J'en ai ouï dire des choses monstrueuses » (Balzac), « J'ai vaguement ouï dire qu'il a été opéré ce matin » (Abel Hermant), « Je n'ai pas ouï dire qu'elle [= la chair d'un oiseau] fût comestible » (Anatole France),  « N'avez-vous pas ouï parler récemment des idées [d'untel] ? » (Paul Claudel), « Jusqu'où doit-on répercuter en public ce qu'on a ouï dire en privé ? » (Luc Ferry).

    (3) Il fut un temps où le r final des mots ne se prononçait pas (sauf s’il suivait un e ouvert comme dans mer) ; ainsi de finir (et des verbes du deuxième groupe), qui s'est prononcé « fini ». « Il subsiste [d'ailleurs] une trace de la prononciation en i de ces infinitifs : c’est la locution par ouï-dire. Dans cette locution, ouï n’est pas un participe, c’est l’infinitif ouïr (qui signifiait "entendre"). Le sens est "par entendre dire" », lit-on dans Les Mots français (1966) du grammairien Georges Gougenheim. Pour preuve ces exemples puisés dans des textes anciens : « Ce qu'ele set par oïr dire » (Le Roman de Guillaume de Dole, XIIIe siècle), « Et dont je parle par veoir, et non pas par ouyr dire » (Olivier de La Marche, XVe siècle), « Je n'en parleroye pas seulement par ouyr dire, mais de ce que j'en ay cogneu moy-mesme » (Jean Calvin, 1547) ; on trouve également la variante par l'ouïr dire : « Il a des choses veritables assez prez de sa contree et region, que jamais ne vouldroit croire par l'ouïr dire, s'il ne le voit » (Jean d'Arras, vers 1393), « Quant à cela, je le sçay par le seul ouyr dire de ceux du païs » (André Thevet, 1554).


    Remarque : La disjonction devant ouï-dire est exigée par Littré : Le ouï-dire.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    On a ouï dire que (voire on a cru ouïr dire que)...

     

    « Quelle épreuve !Confusionesofà »

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