• Œil pour œil, dent pour dents

    « "Il s'est présenté comme l'homme qui n'aime pas les riches. En réalité, le président n'aime pas les pauvres. Lui, l'homme de gauche, dit en privé : "les sans-dent" très fier de son trait d'humour", assène l'ex-première dame dans son livre Merci pour ce moment. »
    (paru sur lesechos.fr, le 3 septembre 2014)

     

    Valérie Trierweiler (photo Wikipédia sous licence GFDL par Jackolan1)

      

    FlècheCe que j'en pense

    Il m'étonnerait que Valérie Trierweiler se fût ainsi cassé les dents sur la graphie de l'expression choc qui fait actuellement le tour des rédactions. Car enfin, si la question du nombre après la préposition sans est récurrente en français, il est des cas où l'hésitation n'est pas permise. « On écrira : Une boîte sans couvercle (puisqu'une boîte a un seul couvercle) mais un gilet sans manches (puisqu'un gilet a deux manches) » précise ainsi Girodet, réputé avoir la dent dure contre les contrevenants de la langue. C'est donc le sens qui, dans notre affaire (d'État), plaide en faveur du pluriel : à moins d'être un nourrisson, ne sommes-nous pas censés avoir plusieurs dents en bouche ?

    Force m'est toutefois de constater que le singulier se rencontre, à l'occasion, chez de bons auteurs : « Un vieux ridé sans dent » (Voltaire), « Des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dent » (Baudelaire), « Vierge folle sans dent » (Corbière), « Lèvres sans dent d'or ! » (Bazin), à côté de « vieillards cérémonieux, arborant sur des lèvres sans dents un sourire folâtre » (Huysmans), « Sans dents, mangeant la moitié de ses mots » (Balzac), « des bouches aujourd'hui sans dents » (Anouilh), « Les mots se devinaient plutôt qu'autre chose dans cette bouche sans dents » (Aragon).

    Les choses se compliquent encore quand on s'intéresse au nom composé (avec trait d'union, donc), lequel a fait une brève apparition dans le Dictionnaire de l'Académie avec pour définition : « Terme populaire dont on se sert pour désigner une vieille femme qui a perdu ses dents » (comme si la perte des dents ne concernait que le beau sexe !). Ne lit-on pas dans la sixième et la septième édition dudit ouvrage (datant respectivement de 1835 et de 1878, je vous le concède) : « Une vieille sans dents » (à l'entrée « dent ») et « C'est une vieille sans-dent » (à l'entrée « sans-dent ») ? Sans doute aurait-il été judicieux de relever l'incohérence graphique entre le syntagme de deux mots et le substantif féminin. Même flottement constaté chez Littré, qui ne dédaigne pas de manger à tous les râteliers : « des animaux sans dents » (à l'entrée « morné ») ; « Substantivement et au féminin, une sans dent, une femme qui n'a plus de dents » (sans trait d'union à l'entrée « dent ») ; « Vieille dame qui a perdu ses dents. Au plur. Des sans-dents » (avec trait d'union à l'entrée « sans-dent »). On rit du bout des dents... tout en reconnaissant que la flexion une sans-dent, des sans-dents ne fait, somme toute, qu'anticiper les recommandations des réformateurs de 1990 en matière de pluriel des noms composés.

    Il n'empêche : j'aurai toujours quelque réserve à écrire, révérence parler, un sans-couille, les bijoux de famille allant d'ordinaire par deux.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Les sans-dents
    (graphie majoritairement constatée dans la presse).

     

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  • Commentaires

    1
    M. BA
    Vendredi 5 Septembre 2014 à 09:20
    Je n’ai pas encore lu le « livre-choc » de l’ex-première dame, Mme Valérie Trierweiler. Mais, d’après ce que m’a rapporté un ami, il serait « très, très mal écrit »…
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    2
    Mercredi 10 Septembre 2014 à 13:52

    Cela se pourrait bien (voir ce billet).

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