• Ô grand Jamais !

    ô grand jamais

    « Si il y a une chose dont je suis sûr en ce bas monde, c'est que jamais ô grand jamais les Fatals Picards n'accepteront le poste de Ministre de l'Intérieur dans un gouvernement de gauche. »

    (Laurent Honel, du groupe Les Fatals Picards, sur huffingtonpost.fr, le 15 octobre 2013) 


    FlècheCe que j'en pense

     
    À la réflexion, mieux vaudrait que nos sympathiques chanteurs picards se tiennent également éloignés du ministère de l'Éducation ! Que voulez-vous, trois fautes en une phrase, cela vous plombe une candidature.

    Commençons par rappeler ici que la conjonction si perd sa voyelle devant il. On écrira donc correctement s'il (et non si il).

    Ensuite, si jamais il vous vient l'envie de renchérir familièrement sur jamais, gageons que vous envisagerez d'employer substantivement ledit adverbe dans la locution au grand jamais avec le sens négatif de « en aucun cas, sous aucun prétexte » : Jamais, au grand jamais, je ne ferai cela. L'expression est attestée en 1546 sous la plume de Rabelais : « Jamais, jamais, au grand fin jamais » (entendez : au grand et final jamais). Je ne vois donc pas au nom de quel principe on viendrait aujourd'hui substituer à la préposition au le vocatif ô – à moins de vouloir faire un trait d'humour. Du reste, j'ai cru un instant qu'il s'agissait là d'une manifestation ô combien plaisante de « ce second degré qui est la grille de lecture du monde des Fatals Picards » : Ô grand Jamais ! comme on dirait Ô grand Mamamouchi ! ou Ô grand Esprit ! en invoquant un personnage fabuleux ou une puissance mystérieuse. Mais il n'est que de consulter la Toile pour mesurer à quel point le travers est répandu parmi les adorateurs contemporains : « La prostitution était un état, une nature, mais ô grand jamais une condition » (Laure Adler) ; « Que ça ne sente pas le papier, jamais, Ô grand jamais » (Nicolas Bedos) ; « Maîtriser sa colère et surtout ne jamais Ô grand jamais, tomber amoureux » (editionsflammarion.com) ; « Jamais, ô grand jamais » (Marianne) ; etc. Quand la confusion phonétique serait patente, j'ai grand-peine à croire qu'elle suffise à expliquer cette tendance, qui s'amplifie depuis les années soixante-dix.

    Quant au ministre de l'Intérieur, précisons enfin – son ego médiatique dût-il en souffrir – que l'usage veut que la majuscule soit portée sur le complément et non sur le mot ministre, emprunté du latin minister, « serviteur ». A-t-on jamais vu un serviteur se donner des airs typographiques de maître ? Jamais, au grand jamais !


    Voir également le billet Ô, oh, ho.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    S'il y a une chose dont je suis sûr en ce bas monde, c'est que jamais, au grand jamais, les Fatals Picards n'accepteront le poste de ministre de l'Intérieur.

     

    « L'air de rienLa ponctuation selon Bled »

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  • Commentaires

    1
    renard22
    Vendredi 18 Octobre 2013 à 17:51

    Bonjour,

    Tout à fait d'accord pour le "m" minuscule de "ministre", y compris pour le "Premier" (avec un "P" majuscule, selon la Consttitution du 4 octobre 1958). J'ai pris l'habitude de mettre ce mauvais usage sur le compte du respect des secrétaires pour la fonction, tout comme l'on voit très souvent écrit "le Maire" ou "le Président du conseil (général ou régional)". Je n'aurai garde, cependant, d'oublier les majuscules pour le "Président de la République", pour le "Gouvernement" ou pour l'"Etat".  

    Mais je m'interroge (et vous questionne) sur le "I" majuscule de "Intérieur" : l'usage dont vous faites état n'est pas partagé par les rédacteurs du Journal officiel de la République française, qui écrivent, autres exemples, "ministre de l'éducation nationale" ou "garde des sceaux, ministre de la justice".

    Qu'en pensez-vous?

     

    2
    Vendredi 18 Octobre 2013 à 19:25

    Ce ne serait pas la première fois que le jargon administratif s'autorise quelques libertés avec les règles de grammaire. Pour ma part, je préfère m'en tenir aux recommandations de nos spécialistes : "On met la majuscule seulement au complément : le ministère de l'Agriculture" (Girodet) ; "Le ministre de l'Intérieur" (Thomas et Hanse) ; "On met la majuscule au mot qui particularise : le ministère de l'Industrie, le ministre de l'Industrie" (Bescherelle) ; "Ministre délégué auprès du Premier ministre, auprès du ministre de l'Éducation nationale" (Académie).

      • Samedi 15 Octobre 2016 à 14:08

        Il m'a été une fois rétorqué, suite à des corrections de documents administratifs que j'effectuais, trop chargés de fautes à mon goût, "mais Monsieur vous semblez ignorer qu'en France il y a deux façons d'écrire : 1) Une façon pour soi et pour les autres 2) Une façon administrative qui est entièrement libre de ses choix. Je me suis donc défait de cette mission la trouvant imbuvable.

    3
    Mardi 24 Décembre 2013 à 12:33

    Merci beaucoup pour cette petite leçon, ça m'a beaucoup aidée !

    4
    Latigr
    Mardi 11 Juillet 2017 à 12:07

    Quant à moi, j'ajouterais à ces corrections "s'il y a une chose dont je sois sûr". L'hypothèse contenue dans "s'il y a", qui certes peut bien signifier "s'il est vrai que", m'engagerais à utiliser de préférence le subjonctif dans la proposition relative.

      • Mercredi 12 Juillet 2017 à 16:54

        Les deux modes sont possibles, selon le degré de certitude que l'on souhaite exprimer.

      • Latigr
        Mercredi 9 Août 2017 à 18:23

        Et je présente mes plus plates excuses pour "m'engagerais" au lieu de m'engagerait".

         

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