• Négation au choix

    « Quand on a qu'un choix, on n'a pas le choix... »
    (publicité pour le site conseillerpatrimoine.fr)  
     
     

     

     

    FlècheCe que j'en pense


    Malaise ce matin en découvrant, en pleine page dans mon magazine, cette publicité pour un site spécialisé dans la gestion de patrimoine. Certes, je n'ignore pas la propension actuelle à faire un sort à l'adverbe ne, mais la présence au sein d'une même phrase d'une forme grammaticalement incorrecte (on a que) et d'une autre irréprochable (on n'a pas) a quelque de chose de saisissant. Cela montre surtout, s'il en était besoin, à quel point la première n'est plus perçue comme une négation.

    Rien que de très prévisible selon Grevisse, pour qui la locution ne... que n'a pas vraiment un sens négatif, puisqu'elle est connue pour être synonyme de « seulement » : « C'est en quelque sorte une négation infirmée. » Partant, se demanderont les contrevenants, pourquoi diable faudrait-il recourir à ne dans On n'a qu'un choix quand on en fait l'économie dans le tour équivalent On a seulement un choix ? Parce que l'on a affaire à l'origine à une ellipse, leur répondent en chœur les Le Bidois, experts en patrimoine... syntaxique. « Combiné avec que, ne forme une locution de valeur restrictive, équivalant d'ordinaire à "seulement". Cette locution, très ancienne, s'explique par l'ellipse d'un terme tel que "rien d'autre" »  : « Duze demies hures / Ço ne sunt que sis hures » (Philippe de Thaon, vers 1119), comprenez douze demi-heures ne sont autre chose que six heures, font six heures exactement. Littré ne dit... rien d'autre, justement : « Il n'y a que lui, il n'y a [autre] que lui ; il n'est que blessé, il n'est [autre chose] que blessé. »

    Selon Robert Le Bidois, « la suppression de ne dans ne... que appartient exclusivement à la langue populaire. Ce tour s'explique par la tendance à faire passer sur le second élément de la locution (que) la valeur négative qui appartient de droit à ne. » Las ! la faute − favorisée à l'oral par la présence d'une liaison opportune (on a, dans notre exemple) −  se répand également à l'écrit. Jugez-en plutôt : « Quand on a que l'amour » (Le JDD), « quand on a que l'honneur » (Libération), « Et même si on a que peu de temps » (Le Parisien), « On a que nos yeux pour pleurer » (L'Express), « Difficile, quand on a que 19 ans » (La Voix du Nord), « on a d'yeux que pour le marivaudage du couple » (Télérama), etc. Il est cependant quelques cas (notamment quand la restriction est employée dans un groupe sans verbe) où l'emploi de ne est impossible, observe Bénédicte Gaillard : « Que doit être alors précédé de rien. » Que le présentateur Arthur, ardent promoteur du tic de langage « Que du bonheur ! », ne s'en est-il déjà avisé !

    Remarque 1 : Entre Je n'ai bu qu'un verre et J'ai seulement bu un verre, mieux vaut choisir ! Nombreux sont toutefois les auteurs à n'avoir pas rechigné, par le passé, à joindre les renforcements seul, seulement, uniquement à la locution ne... que, en dépit du caractère pléonastique dudit attelage. Qu'on en juge : « Je ne veux seulement que... » (Ronsard), « Lisander ne gaigna seulement que deux batailles navales » (Montaigne), « Il se forme une peur de ce qui n'étoit que scrupule seulement » (Malherbe), « Vous n'avez seulement qu'à dire une parole » (Corneille), « Il n'a chanté seulement que pour son divertissement » (Scarron), « C'est merveille / Qu'il n'ait eu seulement que la peur pour tout mal » (La Fontaine), « Vous n'avez seulement qu'à vous laisser conduire » (Molière), « N'ayant de son vol que moy seul pour complice » (Racine), « Je ne veux seulement que le sens commun » (Bossuet), « Je n'ai seulement qu'à dire ce que vous êtes » (Marivaux), « Je n'ai seulement qu'à le remercier » (Voltaire), « Il n'y a pas que l'amour seul qui donne de la jalousie » (Musset), « Le lâche n'aura seulement que de la prudence » (Flaubert), « Ce génie dont l'interprétation de la Berma n'était seulement que la révélation » (Proust), « Elle n'avait seulement besoin que d'une intendance » (Giraudoux), « ces hommes illustres qu'il ne nous invitait à admirer qu'en buste seulement » (Émile Henriot). Dans le tour ne faire que, seulement serait même utile pour la clarté de l'expression, si l'on en croit Grevisse, car il permettrait d'exclure le sens « ne cesser de » : « Simon ne faisait seulement que renouer son lacet » (Druon).

    Remarque 2 : N'en déplaise à Littré, le tour ne... pas (ou point) que, autrefois synonyme de « seulement », est désormais passé dans l'usage moderne avec le sens opposé de « ne... pas seulement ». Comparez : « Tu ne mourras point que de la main d'un père » (Corneille) et « Cet emploi n'a pas que des avantages » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Quand on n'a qu'un choix, on n'a pas le choix...

     

    « Aux confins du MilieuEncore eût-il fallu(s)... »

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  • Commentaires

    1
    Jerome
    Mercredi 16 Mars 2016 à 11:12

    Bonjour,

     

    C'est drôle, ce n'est pas tant l'oubli de ce "ne" qui m'a choqué, que l'étrange utilisation du mot choix. Qui dit choix, dit pluralité des options possibles.  Avoir un choix c'est pouvoir choisir entre différentes possiblitités. Parler de choix pour désigner une unique possibilité est impropre, non ?

     

    Bien cordialement

      • Mercredi 16 Mars 2016 à 11:40

        Votre remarque est d'autant plus justifiée que c'est précisément le sens du message qui est délivré : quand on n'a qu'un choix... on n'a justement pas le choix !

    2
    Jerome
    Mercredi 16 Mars 2016 à 14:48

    Oui, enfin... non ! Le message est "quand on n'a qu'une seule possibilité, on n'a pas de choix", parce que sinon, quand on n'a qu'un choix, justement, on a... un choix !

    *sourire*

    Autre chose me choque. mais là, ça concerne votre page d'accueil. Donc je ne veux pas l'exprimer ici. Comment faire ? Ne pouvez-vous pas m'envoyer un email, pour que nous en discutions-débattions ?

    3
    Vincent
    Mercredi 16 Mars 2016 à 15:25

    Bonjour Jérôme,

    "Choix" a deux définitions et la pub repérée par Marc joue là-dessus.

    1er sens : la possibilité de choisir : avoir le choix, un grand choix d'articles...

    2e sens : le résultat d'un choix : un bon choix, un mauvais choix...

    Dans "Quand on n'a qu'un choix", le mot a le 2e sens.

    Dans "on n'a pas le choix", c'est le 1er sens.

    Vincent

    4
    Beninstitdjam
    Samedi 19 Mars 2016 à 08:24
    Beninstitdjam

    Il ne s'agit pas de négation dans la phrase , c'est une liaison qu'il nous laisse qui nous laisse penser à la négation 

      • Vincent
        Samedi 19 Mars 2016 à 09:11

        En effet, les publicistes ne sont pas idiots. Il s'agit de toute évidence d'une forme d'insistance sur le qu'.

        Et puis, une publicité qui amène à en discuter, c'est une publicité réussie. Non ?

        Vincent

    5
    Michel JEAN
    Samedi 19 Mars 2016 à 11:17

    Pardon mais si vous observez la rhythmique de la phrase en plus du fait que celle-ci soit mauvaise; ce qui en apparence renforce et/ou souligne une contradiction/provocation, avec un appui, forcément innocent, de nos deux amis les bêtes qui est magnifié par le truchement d'une bonne mise en scène de la part du photographe, il est évident que le manque de rigueur observé et souligné par M. Marc dans ce travail est énorme dans la maîtrise du verbe. Bye 

    6
    Jerome
    Samedi 19 Mars 2016 à 12:28

    Bonjour Vincent,

    Je n'ai pas partagé votre analyse, mais j'ai préféré ne pas démarrer de polémique.

    Mais vous venez d'utiliser le mot "publiciste", dans votre réponse à Beninstitdjam. Sans doute voulez-vous parler de "publicitaire". Un publiciste étant un des métiers du journalisme, qui en principe informe, mais ne promeut pas.

    Cordialement

     

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