• Mais que fait la... prolis ?


    « Le célèbre écrivain égyptien Gamal Ghitany, auteur d'une œuvre prolifique [...], est mort. »
    (paru sur france24.fr, le 19 octobre 2015)
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Moumou82)

     
    FlècheCe que j'en pense


    Un écrivain prolifique, je veux bien ; mais une œuvre prolifique, voilà qui ne laisse pas de me surprendre. Car enfin, que signifie prolifique ? Composé à partir des éléments proli- (emprunté du latin proles, « race, lignée, enfants, famille », lui-même dérivé de alere, « nourrir ») et -fique (de facere, « faire »), l'adjectif apparaît au début du XVIe siècle avec le sens propre de « qui a la faculté d'engendrer » : « germe prolifique » (Rabelais), « liqueur prolifique » (Buffon) désignaient ainsi... le sperme ; « poussière prolifique » (E. C. Fréron), le pollen. Peut-on imaginer expressions plus poétiques ? Par extension, prolifique a également qualifié ce qui favorise (ou ce qui pousse à) la procréation − « pilule prolifique » (A.-R. Lesage), « remède prolifique » (N. Lémery), « (respirer un) air prolifique » (Rousseau), « misère prolifique » (L. Blanc), « zèle prolifique » (Proust) − avant de prendre le sens moderne de « qui a la faculté de se multiplier, de se reproduire rapidement », en parlant d'un être vivant : « Les lapins sont très prolifiques » (Larousse), « Prolifique nation, qui par-dessus toutes les autres eut la force multipliante » (Michelet), « le massacre n'a pas même signification pour un peuple qui se raréfie que pour un peuple très prolifique » (Gide)
    , « La génération montante, particulièrement marieuse et prolifique à cette époque » (Camus).

    Au figuré, prolifique se dit de ce qui favorise une production, une création − « la chaleur prolifique de sa conception [d'une pensée] » (Balzac) −, de ce qui se multiplie rapidement − « La laideur morale est prolifique comme les animaux imperceptibles » (H.-F. Amiel) −, de ce qui produit beaucoup − « Le mot bus a pour le moins été prolifique » (J. Pruvost) − et, spécialement, d'un créateur (artiste, écrivain) dont l’œuvre est particulièrement abondante : « Bach, Mozart, Poussin, Hugo, Balzac, Zola furent des artistes prolifiques » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, où ne figure que cette dernière acception réservée aux personnes). Partant, j'ai du mal à concevoir comment, dans l'affaire qui nous occupe, prolifique pourrait s'appliquer à l'œuvre elle-même : c'est évidemment l'auteur qui est prolifique, qui produit beaucoup d’œuvres, pas l'inverse !

    Mais voilà qu'à mon grand étonnement ledit contresens (qui n'est pas sans rappeler celui, tenace, entachant l'emploi de l'adjectif éponyme) prolifère jusque sous des plumes averties : « Sa vie agitée et son œuvre prolifique » (Jean-Marie Rouart), « l'œuvre prolifique et souvent contradictoire de Nietzsche » (Denis Vernant), « L’œuvre prolifique d'Erró » (Laurent Le Bon), « la réalisation d'une œuvre prolifique, inégale mais souvent talentueuse et brillante » (Roland Quilliot), « De son œuvre prolifique, retenons quelques films » (Grand Larousse encyclopédique), « la production prolifique d'Arman » (Pierre Nahon), « sa très longue carrière se caractérise par une production prolifique » (Pascal Bonafoux). Voudrait-on nous faire croire que prolifique s'entend désormais au sens d'« abondant » ?
    En matière d'acceptions, abondance de biens nuit quelquefois...

    Remarque 1 : Oserai-je avouer que l'expression « abondance prolifique » trouvée chez Baudelaire (« L'abondance prolifique, rayonnante, joviale presque, de Rubens ») me chiffonne tout autant ? C'est que je m'interroge sur sa signification exacte : une profusion « particulièrement féconde (en œuvres artistiques) », comme le suggère le TLFi ? Reconnaissez que cela a de quoi laisser songeur...

    Remarque 2 : C'est vraisemblablement par analogie avec fécond que se répand la construction prolifique en au sens de « qui abonde en, qui est riche en » : « Le XIXe est prolifique en textes reprenant cette métaphore » (Jean-Pierre Bernard), « la première moitié du XXe siècle a sans doute été l'une des plus prolifiques en sermons, décrets et directives de toutes sortes dénonçant les abus de la mode » (Gérald Baril), « L'année 1773, si prolifique en musique instrumentale » (Jean-Luc Tingaud). Elle est pourtant ignorée des dictionnaires usuels.

    Remarque 3 : On se gardera enfin de toute confusion entre prolifique et son paronyme prolixe, emprunté du latin prolixus (« allongé »), lui-même dérivé de liqui (« s’écouler, fondre »). Est prolixe celui qui, dans ses paroles ou ses écrits, est abondant et, souvent, trop long et verbeux. De là à envisager un auteur aussi prolixe que prolifique...

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Auteur d'une œuvre abondante (?).

     

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  • Commentaires

    1
    Michel JEAN
    Jeudi 22 Octobre 2015 à 10:31

    Bonjour M. Marc, ce matin écoutant gentiment la 9em symphonie oeuvre d'un grand auteur prolifique ok, j'accède tout aussi gentiment, grâce à cette oeuvre, à de prolifiques pensées...! Merci. Bye. Mich.

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