• Lhété de tous les dangers

    « USA : le condamné reçoit 15 fois la dose léthale. »
    (sur lefigaro.fr, le 2 août 2014)

    (photo Wikipédia)


    FlècheCe que j'en pense

    La mise en garde s'étale pourtant en gras dans la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie : « L'orthographe Léthal, qui repose sur une fausse étymologie, est à déconseiller. » (1)

    Une fausse étymologie ? Le Dictionnaire historique de la langue française nous apprend, en effet, que l'adjectif létal est emprunté du latin letalis (« qui cause la mort, mortel »), dérivé de letum (« trépas »), et non pas, comme on a pu le croire au XVIe siècle, du grec lêthê « oubli » (que l'on retrouve dans léthargie), par allusion au Léthé, terme de mythologie désignant le fleuve des Enfers où les ombres des morts allaient boire pour oublier leur vie terrestre.

    N'en déplaise à Littré, qui écrit encore léthalité mais ignore curieusement léthal, rien ne justifie la graphie avec h intercalaire... si ce n'est l'anglomanie ambiante qui n'en finit plus d'affecter notre langue. Car, vous l'aurez compris, la graphie fautive dans la presse est le plus souvent due à une traduction hâtive d'une dépêche en anglais, nos voisins d'outre-Manche et d'outre-Atlantique n'ayant pas jugé utile de supprimer le h non étymologique dans leur lexique. Grande est notamment la tentation, à propos des affaires de condamnés à mort aux États-Unis, de traduire lethal injection par injection... léthale !

    Le goût de notre époque pour le politiquement correct n'est sans doute pas non plus étranger au succès dudit tour. Car enfin, pourquoi recourir à la série mortel, mortifère, mortalité quand l'emploi de létal, létifère, létalité permet d'adoucir l'idée de la mort en lui donnant l'apparence d'un repos aseptisé ou d'un sommeil oublieux que n'aurait pas renié Baudelaire ? On aurait tort de croire, pour autant, que mortel et létal sont interchangeables quel que soit le contexte. Ce serait... oublier que l'adjectif létal est un terme didactique qui s'est spécialisé au XVIe siècle dans le langage médical, au sens de « qui fait qu'un organisme vivant n'est pas ou n'est plus viable » ; il est employé plus particulièrement en pharmacie (dose létale), puis en génétique (facteur létal, gène létal). Le mot est, au demeurant, qualifié de « rare ou littéraire au sens de "qui provoque la mort" » dans le Dictionnaire historique. Mais ça, c'était avant. Avant que les États-Unis ne délaissent la chaise électrique pour l'exécution chimique, avant que des traducteurs paresseux ne nous abreuvent de « moyens militaires non létaux » (pour non-lethal military supplies) ou d'« armes létales » (lethal weapons), bref, avant que létal ne se répande à forte dose dans la langue courante. J'en veux pour preuve ces quelques exemples glanés sur la Toile : une « victime d'un accident létal », un « instant qui précéda ma chute létale », une « morgue [entendez : attitude hautaine] qui porte un coup létal », un « lendemain [qui] s'écoule dans un ennui létal »...

    C'est la mort dans l'âme qu'il me faut le reconnaître : de nos jours, létal, c'est bien plus mortel !

    (1) Girodet et Bescherelle sont plus catégoriques : « Pas de h après le t. »

    Remarque : Selon Dupré, « la mortalité est le fait de mourir ou de devoir mourir ; la létalité est le fait de ne pas pouvoir vivre. Il faut donc appeler létalité infantile la proportion d'enfants dont on peut prévoir la mort prochaine dès leur naissance, et mortalité infantile la proportion d'enfants mourant effectivement en bas âge (y compris ceux qui meurent de maladie ou d'accident, sans être atteints d'un facteur létal) ».

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Le condamné reçoit quinze fois la dose létale.

     

    « Accord au fields de l'eauAu feu ! »

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