• Le vif du sujet

    « Piqué à vif par un article du [Midi libre], qui s'étonnait que le bulletin municipal ait qualifié l'ancien maire de Béziers et opposant à Napoléon III Casimir Péret de "rouge", l'ancien président de Reporters sans frontières a lancé les hostilités en février » (à propos de Robert Ménard, photo ci-contre).
    (Jim Jarrassé, sur lefigaro.fr, le 3 avril 2015) 

     
    (photo ville-beziers.fr)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Quelle mouche a donc piqué notre journaliste pour s'être ainsi emmêlé les expressions ? Loin de moi l'intention de blesser l'intéressé au vif, mais force m'est de rappeler ici que la locution à vif − laquelle signifie proprement « avec la chair à nu, douloureusement sensible et vulnérable » et, au figuré, « dans un état exacerbé » −, ne saurait être confondue avec sa cousine au vif, entendez « au point le plus sensible, le plus douloureux ». Comparez : peler une orange à vif, une plaie à vif, avoir les nerfs à vif, « Découvrir une chose, c'est la mettre à vif » (G. Braque) et « Le maréchal, en ferrant ce cheval, l'a piqué jusqu'au vif » (Littré), « La vanité de François, plus que son cœur, fut piquée au vif » (R. Radiguet), « Ils n'allaient pas laisser le père tout seul, au vif du chagrin » (C. Duneton).

    Le vif, emprunté du latin vivus (« vivant ; animé »), désignait autrefois la chair vive (couper dans le vif ; atteindre, blesser, piquer, porter, toucher au vif, c'est-à-dire à l'endroit où la plaie est à vif, où les atteintes sont ressenties au maximum) et, par analogie ou métaphore, le modèle vivant (sur le vif), la proie vivante (pêcher au vif), la partie essentielle de quelque chose (dans le vif du sujet).

    À la décharge de notre journaliste, reconnaissons que la confusion entre les locutions adverbiales à vif et au vif n'est pas nouvelle. Fénelon, dans ses Œuvres spirituelles, écrivait déjà sur la même page : « Est-ce cruauté au chirurgien de couper jusqu'à vif » et « Mais il coupe jusqu'au vif pour guérir l'ulcère de notre cœur ». Plus près de nous, cette phrase relevée dans le résumé de l'édition de poche du livre La puce à l'oreille du regretté Claude Duneton ne laisse pas de m'étonner : « Un récit alerte (...) qui aiguillonne à vif la curiosité du lecteur. » J'entends déjà les mauvaises langues jurer de retrouver le contrevenant mort... ou vif.


    Remarque 1 : Bien que connue de Littré (« Toucher au vif, toucher à l'endroit où une plaie est à vif », à l'entrée « toucher » de son Dictionnaire) et de l'Académie (« Mettre à vif en enlevant la peau », à l'entrée « dépouiller » de son Dictionnaire), la locution à vif ne figure pas − allez savoir pourquoi − à l'entrée « vif », contrairement à au vif.

    Remarque 2 : L'astuce suivante devrait lever toute hésitation :

    Astuceà vifà nu
    au vifau point le plus sensible

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Piqué au vif.

     

    « Jusque, dans les moindres détailsLe front de la discorde »

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  • Commentaires

    1
    MIchel JEAN
    Mardi 7 Avril 2015 à 14:12

    Bonjour Mr. Marc, que pensez-vous, à tout hasard, d'une expression entendu chez les anciens de l'Aveyron(village reculé) "avifvement. Moi perso il me semble que "à vif" peut être issu de cette forme. Merci.

    2
    Mardi 7 Avril 2015 à 14:52

    Je ne connais que le substantif avivement (dérivé d'aviver), qui désigne l'action de rendre plus vif et, spécialement (en médecine), la mise à vif des bords d'une plaie pour en favoriser la cicatrisation.

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    3
    Vaugelas
    Dimanche 26 Avril 2015 à 19:38

    Ce qui m'a vivement frappé, en fait, à la première lecture, n'a finalement fait pschitt qu'à la seconde... On peut certes s'interroger sur l'orthographe des noms propres, aussi bien que sur le sens que l'on donne à l'adjectif "rouge" en politique,  mais pas prêter à Casimir le nom de Péret et priver le pauvre Perier de ses bulles. La faute en revient-elle au Figaro ou au bloggeur plus soucieux de la langue que de l'histoire de la... Restauration ?

    4
    Vaugelas
    Dimanche 26 Avril 2015 à 19:43

    Décidément, erreur n'est point compte...

    Voici que mon Casimir n'est pas le bon : c'est bien Péret que visait notre auteur !

    J'en suis cruellement à vif, dans mon amour-propre s'entend !

    5
    Dimanche 26 Avril 2015 à 23:25

    Il faut croire que les Casimir nous mettent les nerfs à vif... Figurez-vous que j'avais pris soin de vérifier que l'ancien maire de Béziers est bien Casimir Péret (1801-1855), héros de la résistance après le coup d'état de Napoléon III en 1851... à ne pas confondre avec Casimir Périer (1777-1832), homme politique français qui se rallia à Louis-Philippe lors de la révolution de juillet 1830 et devint président du Conseil en 1831.

    6
    Vaugelas
    Lundi 27 Avril 2015 à 12:58

    Incollable, bravo !

    Opposant libéral à Charles X et "louis-philippo-compatible"sous la monarchie de Juillet, mon Casimir n'est pas le "rouge" de Robert Ménard, c'est sûr.

    En revanche, je faisais allusion à "l'orthographe des noms propres" et je note qu'avec l'accent (du Midi ?), on en voit de toutes les couleurs : Casimir Péret est généralement orthographié avec l'accent aigu, Casimir Perier sans accent... Sauf, c'est étrange, dans le cas de la rue Casimir-Périer à Paris 7e (et plusieurs sites mentionnent une rue Casimir Peret à Béziers smile, mais, là, j'imagine qu'il faut incriminer conjointement la vieille manie de ne pas accentuer les majuscules et les difficultés de transcription en HTML).

    7
    Lundi 27 Avril 2015 à 16:16

    Je confirme : l'orthographe des noms propres, aussi, nous met les nerfs à vif... wink2

    8
    MIchel JEAN
    Lundi 27 Avril 2015 à 17:59

    Bonjour Mr Marc, l'objet de mon propos sera aujourd'hui modeste et bref. Moi qui suis un ancien de Béziers peut vous confirmer, c'est le charme de l'accent "méridional", que le nom de Paul Riquet sera prononcé [riquet] et [ "péret" ] est [ pérette] pour [ bousquet] [bousquette] etc., malheur à vous si votre accent vous trahis... Et courage!!!

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