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Le "s" de la discorde
Doit-on redoubler le s entre le préfixe re- itératif et le verbe de base, quand celui-ci commence par s suivi d'une voyelle ?
Non, si l'on en croit Robert Estienne qui, dans son Dictionnaire françois-latin (1539, puis 1549), écrivait avec un s simple prononcé comme un s double : resacrer, resaigner, resaisir, resaler, resaluer, resarcler, resasser, reserrer, reservir, resonger, resonner, resortir, resouffler, resouper, resuer, mais aussi resembler, resusciter... « Il est probable, suppose Charles Thurot dans De la prononciation française (1883), que dès ce temps, dans les mots composés dont le simple est usité en français, l's initiale du second mot, quoique placée entre deux voyelles, se prononçait comme elle se prononce dans le simple [monosyllabe, resaluer, vraisemblable], et que, dans les composés d'origine purement latine, on prononçait par z l's initiale du second mot, ainsi resonner [re-so-né] (sonner une seconde fois) mais résonner [ré-zo-né] (latin resonare). » Confirmation nous est en partie donnée par le grammairien Antoine Cauchie : « S entre deux voyelles ne diffère en rien, dans la prononciation, de notre z, excepté quand il fait le début du mot simple, comme saluer resaluer, suer resuer, car alors il sonne comme dans le mot simple » (Grammatica gallica, édition de 1586).
Seulement voilà : force est de constater que la notation avec s simple, qui était « parfaitement claire » au XVIe siècle selon le TLFi, ne l'était plus autant à la fin du siècle suivant. Jugez-en plutôt :
Resacrer, resaigner, resaisir, resaluer, resasser, resecher, reseller, resemeler, resemer, resortir (« sortir plusieurs fois »), resouder, mais ressembler, ressentir, resserrer, ressortir (« être du ressort d'une juridiction »), ressouvenir, ressusciter (Dictionnaire de Furetière, 1690).
Ressembler, ressemeler, ressentir, resserrer, ressortir, ressouvenir, ressusciter (première édition du Dictionnaire de l'Académie, 1694).
Resaigner, resaler, resarcler, resasser ; ressembler, ressortir, ressusciter ; resemeller ou ressemeller, reserrer ou resserrer (Abel Boyer, The Royal Dictionary, 1699).
C'est que des grammairiens soucieux de rendre notre langue plus facile aux « apprenans » avaient entre-temps préconisé le redoublement du s afin d'éviter que ladite consonne ne prît le son du z entre deux voyelles :
« Aux mots composez de la preposition re et des verbes commencez par l's, il faut escrire la double ss, quand elle n'est pas prononcée comme le z. Escrivez donc ressembler, resserrer, ressentir, ressouvenir, ressusciter, etc. » (Laurent Chifflet, Essay d'une parfaite grammaire de la langue françoise, édition posthume de 1659).
« L's quoi-qu'entre deux voyelles [...] se prononce comme si elle étoit double, quand elle se trouve immediatement après la préposition réïterative re [...]. On orthographie pourtant la plupart de ces mots avec deux s [ressasser, ressüer, ressonner], car tout le monde n'est pas obligé de sçavoir la regle » (Jean Hindret, L'Art de prononcer parfaitement la langue françoise, 1696).
L'ennui, c'est que cette orthographe révisée, qui s'est répandue de façon anarchique, a conduit à un nouvel écueil : celui de la prononciation en [rès] (avec e ouvert) ou en [rés] (avec e fermé), selon la règle qui veut qu'un e suivi d'une consonne double ne soit pas muet. De là les mises en garde qui ont commencé à fleurir à la fin du XVIIe siècle :
« La double s se prononce comme une seule s forte. Exemples : ressembler, ressentir, prononcez : re-sembler, re-sentir » (Pierre de La Touche, L'Art de bien parler françois, 1696).
« Au lieu que le redoublement d'une consonne a accoustumé de donner un son plus clair à l'e qui précede, icy le redoublement de l's opere tout le contraire. Ainsi dans tous les mots où la particule re est suivie de deux s, comme dans ressembler, ressentir, ressouvenir, elle se prononce par un e muet, horsmis dans le mot ressusciter » (François-Séraphin Régnier-Desmarais, Traité de la grammaire françoise, 1705).
Il faut croire que ces ajustements n'ont pas suffi à sortir du conflit entre lesdites règles de prononciation, car les grammairiens des deux siècles suivants déploraient encore les incohérences de l'usage en la matière :
« Resacrer, resaigner, resaisir, resaler, resaluer, resasser (il y en a qui écrivent ces mots avec deux ss) » (Jean-François Féraud, Dictionnaire grammatical, 1768).
« Tantôt on ne double pas l's, comme resacrer, resaisir, resaluer ; tantôt on la double, comme ressentir, ressusciter ; cependant elle a le même son que dans sévere. Tantôt l'e qui est devant l's se prononce (ressusciter), tantôt il est muet (ressembler). Pour éviter tout embarras, il faudroit écrire avec l'accent : réssusciter, réssuyer [...] et avec deux s : ressacrer, ressasser, ressaisir, ressaluer, ressembler, ressouvenir, etc. » (Noël-François De Wailly, Principes généraux et particuliers de la langue française, édition de 1795).
« Les auteurs varient beaucoup sur la manière d'orthographier les verbes réduplicatifs dans lequel le s se trouve entre deux voyelles ; tantôt on double le s, tantôt on le laisse simple, sans que rien puisse justifier ces incroyables et choquantes disparates. Cependant, soit qu'on double le s, soit qu'on le laisse simple, il restera toujours une difficulté, une sorte d'irrégularité : dans le premier cas, l'e de la particule, quoique lié à la consonne suivante, garde le son sourd, ce qui est contre les principes généraux de la prononciation ; dans le second cas, le s, qui se trouve alors entre deux voyelles, conserve néanmoins le son sifflant, ce qui est également contre les principes généraux ; mais une grande partie de ces verbes reçoit déjà le double s sans réclamations, et les exceptions admises par les grammairiens ne sont pas mêmes uniformes, et ne s'appuient absolument sur rien ; celle qui concerne resigner, par exemple, rend ce verbe presque complètement identique avec résigner, qui n'y a aucun rapport. Il vaudrait donc infiniment mieux écrire ressacrer, ressaluer, ressigner, etc. » (Louis-Nicolas Bescherelle, Dictionnaire national, 1846).
Comme si cela ne suffisait pas, Littré, en 1863, s'avisa d'une nouvelle subtilité :
« Devant un mot commençant par s, l's est d'ordinaire redoublée, si elle doit conserver le son dur : ressembler, ressentir. Toutefois, en général, on ne double pas l's dans les verbes à signification itérative, lorsque ceux dont ils dérivent sont exprimés dans la même phrase. Ainsi l'on écrit : il a été saigné et resaigné ; il m'a salué et resalué ; cet acteur a été sifflé et resifflé, etc. ; mais l's se prononce dure : re-si-flé. Au contraire, quand les mots ont un rang dans la langue, l's se redouble : ressembler, ou se prononce douce : résister, résumer. » (1)
On comprend l'idée : plus le verbe en re- se trouve dans le sillage du verbe simple, plus la préfixation paraît évidente, et le redoublement du s, inutile. Mais cela suppose que l'on écrive d'un côté : la plaie a ressaigné, et de l'autre : la plaie a saigné et resaigné, ce qui paraît assez artificiel... et peu conforme à l'usage des auteurs de l'époque : « Je l'ai salué et ressalué » (Jean-Charles Laveaux, 1820), « Sans mesurer le champ de son voisin, Que chacun sème et ressème le sien » (Jean Polonius, 1829), « Saisir et ressaisir le pouvoir » (journal La Phalange, 1841), « Il serre et resserre les cordons de sa bourse » (journal L'Illustration, 1846), « La clochette sauta et ressauta » (Sand, 1853), « Il y a eu de si grandes chaleurs que les arbres ont séché et resséché » (Henri-Honoré Bescherelle, 1856), « Nous avons sifflé plus fort. Ils ont applaudi. Nous avons ressifflé » (Varin, 1862), « Je me remis à saler, saler et ressaler le beurre » (Gustave Le Vavasseur, 1863), « La conversation [...] que nous avons eue hier m'a fait beaucoup songer et ressonger » (Sainte-Beuve, 1865), « [Il] souffle et ressouffle de plus belle [dans un cor] » (Philippe Vigne, 1873), « Le morceau de pain sec qu'il a vu [...] saucer et ressaucer » (Louis Philbert, 1876), « Les vieux outils [...] servent et resservent » (Gaston Maspero, 1883), « Les numéros sortent, ressortent » (Adolphe Belot, 1887).
La situation est-elle plus claire de nos jours ? Voyons ce qu'en dit l'Académie dans la dernière édition de son Dictionnaire (2012) :
« Quand le préfixe [re-] est suivi d'un s, celui-ci se redouble le plus souvent, comme dans Ressasser, Ressentir, le e se prononçant e et non é. Mais le redoublement ne se fait pas si le mot est emprunté du latin (la prononciation est alors réz, comme dans Résister, Résulter [et Résurgence]), ni dans certains termes d'apparition récente où le sentiment de composition est fort, comme Resituer, Resocialiser. »
Oserai-je l'avouer ? L'analyse proposée me laisse singulièrement perplexe.
Le critère de l'étymologie, tout d'abord, ne paraît plus aussi déterminant, en français moderne, que ce que l'on veut nous faire croire. Car enfin, c'est oublier un peu vite que ressusciter, qui vient directement du latin resuscitare (lui-même formé de re- et de suscitare) et non du français susciter, s'écrit de nos jours avec deux s et se prononce [rès] ou [rés] selon les sources (2). On peut également mentionner le cas du verbe resaluer, que Littré dérive du latin resalutare : le bougre figure avec un seul s dans le Complément au Dictionnaire de l'Académie (1842)... mais avec deux dans le Supplément au Dictionnaire de l'Académie (1836) − comprenne qui pourra ! Plus surprenant encore : dans la dernière édition de son Dictionnaire, l'Académie admet que resurgir, pourtant emprunté du latin resurgere, puisse s'écrire avec deux s. Que peut bien motiver cette tolérance, je vous le demande ? L'usage des auteurs, incontestablement hésitant pour ce verbe (3), l'est-il tellement plus que pour la concurrence ? Rien n'est moins sûr. (4)
Ce qui ne fait aucun doute, en re... vanche, c'est que, parmi le contingent des réalisations virtuelles en res-, re(s)surgir est l'objet d'une attention toute particulière − et, me semble-t-il, injustifiée − de la part des observateurs de la langue contemporaine :« Ressurgir, avec deux s, est très fréquent. Nous pensons qu'il s'imposera, comme ressortir, ressaisir... » (Étienne Le Gal, 1960).
« Préférons resurgir à ressurgir (qui risquerait d'être prononcé [ré]) » (Nina Catach, 1971).
« La graphie resurgir est critiquable ; il vaut mieux écrire ressurgir, comme ressembler, ressentir, etc. » (Dupré, 1972).
« On écrit à tort et très souvent : ressurgir au lieu de resurgir (une s suffit) » (André Boussin, 1975).
« Resurgir (ou ressurgir) » (Grevisse, Le Bon Usage, 1980 ; seule la graphie avec s simple figurait dans son Code de l'orthographe de 1948).
« Ressurgir. On peut écrire resurgir » (Hanse, 1983).
« Resurgir ou ressurgir, l'usage n'est pas bien fixé » (Goosse, La Force de l'orthographe, 1989).
« L'orthographe ressurgir serait plus normale, mais contraire à la prononciation courante » (Alexandre Borrot, 1991).
« Resurgir s'écrit parfois ressurgir » (Jean-Paul Colin, 1994).
« Certains mots peuvent s'écrire des deux manières : resurgir ou ressurgir. L'orthographe avec un seul s prononcé [s] est aujourd'hui la plus fréquente » (Le Bescherelle pratique, 2006).
« Resurgir. Il existe une graphie plus rare ressurgir » (Girodet, 2008).
« Ancienne orthographe : ressurgir. Nouvelle orthographe : resurgir » (Dominique Dupriez, 2009).
« Resurgir l'emporte sur ressurgir » (Goosse, Le Bon Usage, 2011).
« Resurgir ne prend qu'un seul s » (Marie-Virginie Speller, 2018)
« Les deux graphies, resurgir et ressurgir, sont admises ; la graphie resurgir est plus fréquente » (Larousse en ligne).Cette avalanche d'avis, parfois tranchés, a au moins le mérite d'illustrer la tendance orthographique signalée dans le TLFi :
« La règle qui veut que [s] intervocalique soit noté par le redoublement de s s'est imposée : ressaisir, ressasser, ressembler, ressentir, resserrer, ressortir. Cependant l'observation des graphies dans les textes contemporains et les créations récentes montrent que l'usage vivant est l'absence de redoublement » (à l'article « re- »). (5)
Voilà qui nous amène au critère de nouveauté (ou de « récence »), retenu par plus d'un spécialiste :
« Devant les mots commençant par un s, l's est généralement redoublé (ressaisir, ressortir) mais le e qui précède reste sourd (re-sortir). Parfois l's n'est pas redoublé, notamment dans les formations récentes (resaler, resalir, resituer) et garde la prononciation ss » (Grand Robert).
« Il y a manque de prédictibilité, parce que des inscriptions plus anciennes marquent un double ss : ressusciter, ressurgir, ressaisir, ressasser, tandis que des mots récents se contentent d'un seul s : resaler, resigner, resonner » (Jean Léonce Doneux, L'Écriture du français, édition posthume de 2001).
« Les verbes de création récente ne doublent pas le s : resituer, resurgir, resaler » (Bénédicte Gaillard et Jean-Pierre Colignon, Toute l'orthographe, 2005).
« Devant un mot qui commence par s + voyelle, on écrit res- en doublant le s (ressortir, ressauter, resserrer) ou re- sans doubler le s dans les mots récents ou formés librement (resaler, resalir) » (Bescherelle. L'Orthographe pour tous, 2013).
« S'écrivent cependant avec un seul s certains termes, souvent récents : resaler, resalir, resituer, resocialisation » (Julien Soulié, Objectif zéro faute, 2019).
« Quelques verbes récents, toutefois, échappent à la règle [du redoublement du s] : resaler, resalir, resituer, resonner » (site du Projet Voltaire).
Las ! les (contre-)exemples avancés sont loin d'être tous pertinents. Va, à la rigueur, pour resocialiser (attesté depuis 1839, tout de même...) et pour resituer (relevé isolément en 1624 dans Le Grand Dictionnaire des rimes françoises), mais il est inexact de laisser entendre que les verbes resaler et resalir sont de formation récente. Je n'en veux pour preuve que ces attestations anciennes, qui montrent assez que l'histoire orthographique des deux intéressés n'est pas moins chaotique que celle des autres verbes en res- :
« Pour venaison resaler » (Registres de comptes de l'hôtel de la comtesse Mahaut, 1314), « [Il] les [= ix bacons] avoit resallez » (Archives de la ville de Tournai, 1438), « Resaler, aidez vous de Saler » (Robert Estienne, Dictionnaire françois-latin, 1549), « Resaler, saler derechef » (Abel Boyer, The Royal Dictionary, 1699 ; c'est la graphie ressaler qui figure dans l'édition de 1768 et les suivantes), « Resaler (il y en a qui écrivent [ce mot] avec deux ss) » (Jean-François Féraud, Dictionnaire grammatical, 1768), « Ressaler, saler de nouveau » (Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort, Dictionnaire étymologique, 1829), « Quand l'Académie admettra ce mot, elle l'écrira par deux ss : ressaler comme resserrer » (Julien Blanc, Enseignement méthodique de l'orthographe d'usage, édition de 1863), « Resaler, saler de nouveau » (Larousse du XIXe siècle, 1875), « Saler de nouveau sera ressaler » (Raoul Pessoneaux, Lexicologie française, 1887), « La Méditerranée [...] ressale le pays » (Alexandre Arnoux, 1940).
« Ressalir, et autres composez de la preposition re » (Charles Maupas, Grammaire et syntaxe françoise, 1618 ; s'agit-il de notre verbe ou d'une variante de l'ancienne forme resaillir « sauter de nouveau » ?), « On a pu se purifier [mais] on se resalit de nouveau » (Armand Jean Le Bouthillier de Rancé, 1683 ; la graphie ressalit figure dans une édition de 1846), « Il faut laver souvent ses mains, quoi-qu'elles se ressalissent aussitot » (Régnier-Desmarais, 1693), « J'ay lavé mes pieds ; comment pourray-je les ressalir ? » (Cantique des cantiques, édité chez Guillaume Desprez en 1694), « Resalir son linge » (Matthias Kramer, Dictionnaire roïal, 1712), « Resalir, salir de nouveau » (Larousse du XIXe siècle, 1875), « Tout s'est resali » (Henri Barbusse, 1916), « Ils ressalissent pour nettoyer » (Pierre de Régnier, 1933), « Il s'est ressali les mains » (Damourette et Pichon, 1936).
Même constat avec la poignée d'autres verbes que certains ouvrages de référence modernes orthographient avec un seul s, et qui n'ont de nouveau que l'apparence :
- resaluer (TLFi, Grand Robert) : attesté au sens de « saluer en retour » en 1170 chez Chrétien de Troyes et au sens de « saluer derechef » en 1664 chez Nathanaël Düez ;
- (se) reséparer (TLFi) : attesté en 1645 chez Jean Chapelain ;
- resiffler (Grand Robert) : attesté avant 1574 chez Étienne Jodelle ;
- resigner (Le Bescherelle pratique) : attesté au sens de « signer de nouveau » en 1618 chez Simon Stevin et en 1765 dans L'Encyclopédie de Diderot ;
- resonger (Grand Robert) : attesté au sens de « rêver de nouveau » au XIIIe siècle chez Gautier Le Leu ;
- resonner (TLFi, Le Bon Usage) : attesté au sens de « faire retentir à nouveau » en 1358 chez Jean le Long et au sens de « sonner derechef » en 1549 chez Robert Estienne ;
- resouffler (TLFi) : attesté en 1414 chez Laurent de Premierfait ;
- resupplier (Dictionnaire de l'orthographe d'André Jouette) : attesté (avec un trait d'union) en 1581 chez Loÿs Papon et (sans trait d'union) en 1608 chez Jacques d'Hilaire de Jovyac.Re(s)surgir, soit dit en (re)passant, n'a pas échappé pas à la confusion ambiante : le Complément au Dictionnaire de l'Académie (1842), le Dictionnaire national de Bescherelle (1846) et le Complément du Grand Dictionnaire de Napoléon Landais (1853) le donnent comme un néologisme, alors qu'il s'agit d'un latinisme attesté dès le XVe siècle au sens ecclésiastique de « renaître, ressusciter » : « Si que la mort naissoit la vie resurgit » (Jean Batallier, 1476), « Le son de la trompe angelique nous viendra resurgir au grand rencontre de la divine sentence » (Étienne du Tronchet, 1569), « [Il] vouloit noz corps croupir sans resurgir à Dieu » (Louis Saunier, 1584), puis, à partir du XVIIe siècle semble-t-il, au sens moderne de « apparaître brusquement de nouveau », développé à côté d'autres acceptions reprises au latin (« se relever, remonter ») : « Le propre du chaud est de resurgir droictement en haut » (David Chabodie, 1604), « Il y a des rivieres [qui] se perdent en terre et viennent resurgir es isles circonvoisines » (Jean Zuallart, 1608), « Resurgir, to rise, grow, spring up againe ; to recover a former being ; to lift up his head once more » (Randle Cotgrave, 1611).
« Mais telle est l'habitude des grammairiens, dixit Pierre Larousse (1874), de taxer de néologisme tout mot ignoré par eux. »D'aucuns feront peut-être observer, à la décharge des contrevenants pris la main dans le (res)sac, que ces verbes anciens ont pu tomber en désuétude avant d'être repris quelques siècles plus tard. Et que ce ne serait pas la première fois que le procédé consistant à réintroduire un mot sorti de l'usage serait associé à la création proprement dite. Que l'on songe à Ronsard, qui, « pour hausser [s]a langue maternelle, [fit] des mots nouveaux, rapell[a] les vieux » (Responce aux predicans, 1563) ; à Louis-Sébastien Mercier, auteur d'un ouvrage paru en 1801 sous le titre Néologie ou Vocabulaire de mots nouveaux, à renouveler ou pris dans des acceptions nouvelles ; au lexicographe Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers qui, dans son Dictionnaire de mots nouveaux (1842, puis 1845), entreprit d'enrichir la langue française, en forgeant des vocables à partir du lexique et du système de règles déjà existants, mais aussi en « rajeuni[ssant] beaucoup de mots anciens [...] que peut être à tort des dictionnaristes ont indiqués comme vieux ou inusités » (6) ; ou encore à Charles Bruneau, le continuateur de l'Histoire de la langue française de Ferdinand Brunot, qui n'hésitait pas à affirmer que « l'archaïsme est le meilleur des néologismes : le fait même qu'un mot a vécu prouve qu'il est viable, et le vieux mot a une couleur et un prestige que le mot nouveau ne possède point » (1948).
Sauf que ce qui vaut pour re(s)surgir (effectivement repris au XIXe siècle, selon le Dictionnaire historique [7]) ne vaut pas pour resaler, lequel n'a rien d'un mot tombé en désuétude ni même vieillissant, comme tend à le confirmer sa présence, sans marque d'usage, dans différents dictionnaires au cours des siècles.Enfin, pour en terminer avec l'article de l'Académie, je ne vois pas bien en quoi le sentiment de composition serait moins fort dans ressaigner, ressauter, ressemer que dans resituer. Le sens de tous ces mots n'est-il pas également perçu comme composé du sens itératif du préfixe re- et du sens du verbe simple ? (8)
Vous l'aurez compris, l'usage actuel est toujours aussi mal fixé, et la remarque de Bescherelle n'a rien perdu de sa pertinence : « Les exceptions admises par les grammairiens ne s'appuient absolument sur rien. » Aussi s'étonne-t-on que les réformateurs de 1990 n'aient pas cru utile de mettre un terme à l'aberration orthographique consistant à écrire ressaisir avec deux s, resaler avec un seul et re(s)surgir avec... l'embarras du choix. Le pédagogue et grammairien René Thimonnier leur avait pourtant montré le chemin, en préconisant dès 1977 le recours au « graphème ss chaque fois qu'un radical à s initial est utilisé avec l'un des préfixes a-, dé-, re- ». Las ! son « projet minimal de normalisation orthographique » est resté lettre morte, et « les adultes mêmes les plus cultivés en sont réduits à consulter incessamment les dictionnaires, et à constater leurs désaccords, tandis que les maîtres se voient obligés d'imposer la mémorisation de règles absurdes, [comme] celle qui prescrit d'écrire, conformément aux dictionnaires, ressauter, ressemer, ressaisir mais resaluer, resaucer, resalir ». Il n'y a pourtant aucune raison objective de traiter ces derniers verbes différemment des premiers. Qu'on se le dise et redise !
(1) Littré reprend là, presque mot pour mot, l'analyse de Benjamin Pautex dans Errata du Dictionnaire de l'Académie (1862).
(2) « La syllabe initiale [...] de ressusciter se prononce ré » (Thomas, 1956), « On prononce [ré] dans ressusciter et ressuyer » (Pierre Fouché, 1959), « On peut même dire que la prononciation parisienne est [rε] (è ouvert) » (Dupré, 1972), « Prononcer rè (ou ré) » (Hanse, 1983), « La prononciation [è] s'est imposée dans quelques mots comme ressusciter » (Jean Léonce Doneux, 2001), « Re se prononce ré » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, 2017).
(3) Il n'est pas rare, au demeurant, de trouver les deux graphies chez un même auteur : « Le vicomte ressurgit du paravent » (Paul Adam, L'Essence de soleil, 1890), « Byzance [...] fera resurgir [...] la logique d'Aristote » (Id., Le Malaise du monde latin, 1910) ; « Et lorsqu'il resurgit, il est inviolé » (Romain Rolland, Clerambault, 1920), « Le beau plat brisé [...] fait ressurgir le paysage d'autrefois » (Id., L'Âme enchantée, 1923) ; « L'intouchable ressurgit en Frédéric » (Luc Estang, Cherchant qui dévorer, 1951), « Afin qu'elle n'eût aucune chance de resurgir » (Id., L'Horloger du Cherche-Midi, 1959) ; « Le détail [qui] fait ressurgir un monde » (Julien Green, Journal, 1958), « Toute mon enfance resurgit à mes yeux » (Id., Ce qui reste du jour, 1971) ; « Quand le commando resurgit » (Jean d'Ormesson, Le Figaro littéraire, 1975), « Son souvenir ne ressurgit qu'au XIXe siècle » (Id., Saveur du temps, 2014) ; « Un terme inusité [...] peut resurgir » (Claude Duneton, Le Bouquet des expressions imagées, 1990) et « Le mot semble ressurgir » (Id., Le Guide du français familier, 1998) ; « [L'empire] ne demande qu'à resurgir » (Alain Rey, À mots découverts, 2002) et « Les chemins de fer ont fait naître ou ressurgir une foule de mots » (Id., 200 drôles de mots, 2017) ; « [Telle image] ressurgit » (Marc Fumaroli, Le Livre des métaphores, 2012), « [Tel vocable] resurgit » (Id., La République des Lettres, 2015). L'Académie elle-même use des deux formes dans la dernière édition de son Dictionnaire : « Une action passée [qui] ressurgit de manière fâcheuse » (à l'article « rattraper »), « Un cours d'eau [qui] resurgit à la surface » (à l'article « résurgent »).
(4) Comparez :
- ressaigner (Huysmans, 1895 ; René-Victor Pilhes, 1974 ; François Cavanna, 2012 ; Pierre Guyotat, 2014) et resaigner (Baudelaire, 1857 ; Jules Claretie, 1882 ; Gaston Leroux, 1914 ; Céline, 1936 ; Duhamel, 1938 ; Vian, 1940 ; Aragon, 1944 ; Pierre Guyotat, 2018) ;
- ressemer (Flaubert, 1856 ; Paul Claudel, 1913 ; Erik Orsenna, 1988 ; Jean Rouaud, 2020) et resemer (André Thérive, 1925 ; Joseph de Pesquidoux, 1928 ; Marcel Aymé, 1943 ; Charles Le Quintrec, 1998 ; Claude Allègre, 2014) ;
- ressonger (Sainte-Beuve, 1842 ; Théodore de Banville, 1884 ; Jules Lemaître, 1886 ; Edmond Rostand, 1890 ; Mallarmé, 1897 ; Henry Bordeaux, 1905 ; Maurras, 1950) et resonger (Sainte-Beuve, 1838 ; Flaubert, 1848 ; Jules Claretie, 1892 ; Verlaine, 1894 ; Léon Daudet, 1928 ; Henri Pourrat, 1931 ; Mauriac, 1969 ; Éric-Emmanuel Schmitt, 2007 ; Maël Renouard, 2020) ;
- ressoulever (Eugène Sue, 1843 ; Gide, 1890 ; Céline, 1936 ; Maurice Clavel, 1972 ; Claude Mauriac, 1975) et resoulever (Gide, 1895 ; Charles Péguy, 1902 ; Marcel Moreau, 1966 ; Bernard Bretonnière, 1998 ; Alain Ferry, 2009).
Étonnamment, rares sont les spécialistes, de nos jours, à ne pas limiter la tolérance graphique au seul verbe re(s)surgir : « Pour d'autres verbes, l'usage est hésitant » (Goosse, qui reste, hélas, très vague), « Deux mots offrent le choix : resemer/ressemer, resurgir/ressurgir » (Julien Soulié, Le Certificat Voltaire pour les Nuls, 2021 ; mais pourquoi seulement ces deux mots-là ?).(5) Là encore, l'unanimité n'est pas de mise. Comparez : « La tendance actuelle est de ne pas redoubler le s entre voyelles après le préfixe pour former le son [s] (ex. resaler) » (Michaela Heinz, Le Dictionnaire maître de langue, 2009) et « La tendance est à doubler [le s] : ressaisir, ressauter, resservir, ressortir... » (Julien Soulié, Objectif zéro faute, 2019).
(6) La règle orthographique adoptée par Richard de Radonvilliers dans son Dictionnaire pour les verbes itératifs en res- est d'une apparente simplicité : deux s pour ceux qu'il regarde comme déjà consacrés par l'usage (ressaisir, ressasser, ressécher, ressemer, ressemeler, ressentir, resserrer, ressouder, ressusciter), un seul pour les composés manquants qu'il juge dignes de figurer dans le lexique (resaler, resanctifier, resanctionner, resangler, resarcler, resauver, reservir, resoumettre, resoupçonner, resubjuguer, resupprimer). On relève toutefois plusieurs incohérences : resaigner, resaluer, resauter et resiffler, orthographiés avec un s simple bien que considérés comme des termes ayant déjà pris rang dans la langue (ressaigner et ressauter, notamment, figurent dans l'édition de 1835 du Dictionnaire de l'Académie, avec deux s).
(7) « Un dragon qui la voit ressurgir à quelque distance » (Le Mémorial bordelais, 1823), « Le sceptre ignorantin brisé par tant de lois, Avant de ressurgir de leur cendre immortelle » (Louis Brault, 1827).
(8) Il en va différemment des verbes où le préfixe re- peut s'entendre avec une valeur autre qu'itérative, comme ressentir (« sentir de nouveau » ou « sentir par contrecoup, éprouver vivement »).
Remarque 1 : Les auteurs séparent parfois le préfixe par un trait d'union, quand le verbe n'est pas dans l'usage général : « [Ils] vous re-supplient » (Loÿs Papon, Discours à Mademoizelle Panfile, 1581), « Les composés familiers du préfixe re-, que les dictionnaires n'enregistrent pas, comme re-saler, re-sabler, re-sauver, re-savonner, re-signer, re-sortir, etc., où l'on n'a pas coutume de doubler l's, comme on le fait dans les mots de la langue littéraire » (Philippe Martinon, Comment on prononce le français, 1913), « La loi [...] qu'il dut pourtant re-subir » (Gustave Dupin, 1921), « Il ne perd aucune occasion de suggérer et de re-suggérer à Favre [...] » (Henri Guillemin, 1951), « Nous sommes toujours en danger de nous re-satisfaire d'une loi demeurée extérieure » (Georges Crespy, cité par Jacques Ellul, 1957), « Elle n'arrête pas de soupirer [...] et de re-soupirer » (Yvon Mauffret, 1972) ou quand il existe un risque de confusion : « Mais il arrêtait pas de [...] re-sentir encore le cadavre » (Céline, Mort à crédit, 1936). En 1770, le grammairien Noël-François De Wailly préconisait même de généraliser l'emploi du trait d'union à tous « les mots dans lesquels l's, quoiqu'entre deux voyelles, conserve le son qu'elle a dans sévere : ré-susciter, re-sembler ». Féraud lui emboîta le pas : « On pourrait écrire avec une division ou un tiret re-sembler, re-sentir, re-serrer, ré-susciter, etc. » (Dictionnaire critique, 1788).
Remarque 2 : On peut lire dans le Guide du français correct (1992) l'observation suivante : « Dessaler, resaler. Comme le confirme la prononciation, seul le premier de ces deux verbes s'écrit avec deux s. » Jacques Capelovici écrirait-il la même chose à propos de dessaisir et... ressaisir ?
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