• Le poids des mots, le choc des formules


    « On fera une fournée la prochaine fois. »
    (Jean-Marie Le Pen, dans son journal de bord, le 6 juin 2014)  

     

     

     

    FlècheCe que j'en pense

    Loin de moi l'intention de jeter de l'huile sur le feu de la polémique soulevée par la récente sortie de Jean-Marie Le Pen contre les artistes ayant manifesté leur opposition au Front national. En l'espèce, je m'en tiendrai à une simple analyse du point de vue de la sémantique, comme il convient dans une chronique de langue.

    Fournée, tel serait donc l'objet du délit. Encore faut-il s'entendre sur l'acception dans laquelle le mot est ici utilisé. C'est que, selon le Dictionnaire de l'Académie, le bougre désigne au sens figuré un groupe de personnes qui accomplissent ensemble les mêmes actes ou subissent le même sort : Les visiteurs étaient admis par fournées. Sous la Terreur, les suspects étaient jugés par fournées. Rien que de très anodin, de très politiquement correct, convenons-en, tant ledit substantif est couramment employé sans allusion aucune au four, qu'il soit ménager ou crématoire. Que l'on songe encore à cette citation de Goncourt : « Il est destiné à passer dans la première fournée des guillotinés. » Voilà qui, vous l'aurez compris, ne suppose nullement que le condamné va périr par la lame et par le feu !

    Le président d'honneur du Front national a donc beau jeu d'affirmer, la main sur le cœur, que le mot fournée, dans sa bouche, « n’a évidemment aucune connotation antisémite, sauf pour des ennemis politiques ou des imbéciles ». Il n'est ici question, selon lui, que d'une poignée d'artistes engagés contre le FN et qu'il verrait d'un bon œil mettre leur menace à exécution, à savoir quitter la France en cas de victoire du parti. Mais voilà, il n'aura échappé à personne que notre substantif dérive de four (plus précisément de l'ancienne forme forn, fourn), comme l'atteste son sens premier : « nombre de pains qu'on fait cuire ensemble dans un four » et, par extension, « ensemble d'objets de même nature ou quantité d'une même substance qu'on soumet en une fois à la cuisson dans un four » (Une fournée de faïence, de tuiles, de chaux). Vue sous cet angle, la fournée d'artistes prend des allures de brochette et se charge subitement de relents nauséabonds.

    Jean-Marie Le Pen est un trop fin connaisseur de la langue pour feindre d'ignorer que la polysémie de fournée ne manquerait pas de mettre le feu aux poudres, notamment quand son propos implique un membre de la communauté juive (en l'occurrence, Patrick Bruel). Quand bien même on voudrait nous faire croire, sans rire, que l'allusion est involontaire, ce « détail » n'est pas sans rappeler le jeu de mots injurieux « Durafour crématoire » pour lequel le fondateur du FN a été condamné par le passé. C'est que l'homme politique n'en est pas à son premier four. Pour autant, est-on fondé à condamner l'emploi d'un terme sous le prétexte qu'il est trop lourdement « connoté » ? Il est des cas, brûlants, où l'esprit ne fait pas bon ménage avec la lettre.

    « Il y a des tremblements de mots plus dangereux que des tremblements de terre », écrivait avec juste raison l'auteur de La Nausée. Jean-Marie Le Pen en fait, une fois de plus, la cuisante expérience.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    On fera un lot (ou une charrette ?) la prochaine fois.

     

    « En fin de compteDe fil en aiguille »

    Tags Tags : ,
  • Commentaires

    1
    No2a
    Jeudi 12 Juin 2014 à 07:13

    C'est donc un mot à bannir du vocabulaire puisqu'il est trop "lourdement connoté".

    Est-ce bien là votre avis?

    Cela ravirait tous ceux qui s'exaspèrent que la langue française soit si "compliquée", si peu "moderne". Profitons-en pour en faire autant pour ses semblables, il y vraiment trop de mots que personne n'utilise plus et qui polluent nos dictionnaires, d'ailleurs inutiles. 

    cordialement.

     

    2
    Jeudi 12 Juin 2014 à 09:45

    Bannir "fournée" de notre lexique ? Là n'est pas mon propos. Je suis bien plus intéressé par l'idée d'utiliser les mots à bon escient, en tenant compte du contexte... en discernant l'esprit qui se cache derrière la lettre.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :