• Le mot de la fin ?


    « Merci enfin de nous indiquer vos coordonnées téléphoniques à toute fin utile. »
    (paru sur nicematin.com, le 13 mai 2014)  

     

    FlècheCe que j'en pense

    Un lecteur de ce blog(ue) m'interpelle en ces termes : « J'ai toujours estimé que l'expression qui suit est ici correctement orthographiée : "À toutes fins utile". La raison en est que lorsqu'on écrit par exemple, "je vous joins ce document, à toutes fins utile," c'est le document qui est utile à des fins diverses qui ne sont pas précisées puisque toutes les éventualités sont permises. Or je ne vois jamais écrire cette expression autrement qu'en mettant un s à utile, comme si les fins étaient utiles ce qui n'a aucun sens [...]. Alors qu'en fait on comprendra la logique en retournant ainsi : "utile à toutes fins." Fin de l'histoire. Et vous qu'en pensez-vous ? »

    Force est tout d'abord de constater que les spécialistes ne partagent pas l'analyse de mon interlocuteur : « Toujours le pluriel dans : à toutes fins utiles », écrit Girodet, catégorique. Même fin de non-recevoir chez Thomas, Bescherelle, Larousse et Robert, pour qui notre expression est figée dans sa graphie au pluriel.

    Un agrégé de lettres modernes fait toutefois entendre sa voix discordante : « On écrit au singulier à toute fin utile » (Jacques Vassevière, Bien écrire pour réussir ses études). Bien que minoritaire, ce point de vue n'en reste pas moins défendable − à mes yeux plus qu'à mes oreilles, tant on est habitué à faire la liaison entre fins et utiles. On sait en effet à quel point l'usage est hésitant en ce qui concerne la variabilité des expressions formées avec tout : en tout point ou en tous points, à tout moment ou à tous moments, de toute part ou de toutes parts, etc. La locution originelle à toute(s) fin(s) n'échappe pas à la règle − ou plutôt à l'absence de règle : Littré l'enregistre au singulier (« À toute fin, pour servir en tout cas »), l'Académie ne l'envisage qu'au pluriel (« À toutes fins, pour que cela serve éventuellement »), quand le TLFi laisse le choix (« À toute(s) fin(s), pour servir dans tous les cas »).

    Je vous envoie à toute fin le procès-verbal (Bossuet).

    Des phrases tempérantes et dilatoires, qui peuvent servir à toutes fins (Mirabeau).

    Difficile dans ces conditions de condamner définitivement la variante à toute fin utile, même si la forme au pluriel reste de loin la plus fréquente, ainsi que le constate Hanse : « À toutes fins (écrit parfois à toute fin), expression classique, est couramment remplacé par à toutes fins utiles (au pluriel). »

    Reste à s'entendre sur la fonction de l'adjectif. Selon mon interlocuteur, le bougre serait susceptible de varier selon le contexte. Rien que de très correct, au demeurant, quand utile peut s'envisager comme épithète détachée après la locution à toute(s) fin(s) : « D'où la nécessité de venir en classe avec son maillot de bains, à toutes fins, utile » (Le Bonheur perdu des exclus, Robert Lopez), « Un gros livre un peu bizarre, baroque, bon à tous usages et à toutes fins utile » (La Civilisation surréaliste, Vincent Bounoure). Dans ces exemples, on l'aura compris, c'est le maillot ou le livre qui est utile à toutes fins. Mais il existe de nombreux cas, que l'on ne peut ignorer sans fin, où il est impossible de raccrocher utile à un substantif autre que fins, pris au sens de « résultats que l'on poursuit, buts » : « Il note, à toutes fins utiles, que la lumière du soir donne aux visages une qualité supérieure à toute autre » (Malraux), « Il tient à rappeler, à toutes fins utiles, que [...] » (Bernard-Henri Lévy), « Mais je témoigne à toutes fins utiles que l'Europe ne soulevait pas ces cœurs de vingt ans » (Le Monde). L'Académie, du reste, ne s'y est pas trompée, elle qui présente dans la neuvième édition de son Dictionnaire à toutes fins utiles comme une locution adverbiale (invariable), dont le sens littéral est « pour servir dans tous les cas utiles », d'où « pour servir le cas échéant, pour que cela serve éventuellement ».

    Est-il... utile de préciser que rien n'empêche ceux qui le souhaitent de préférer le tour à toute(s) fin(s), plus concis quoique aujourd'hui vieilli ?

    Remarque : Calque de l'anglais for all practical purposes, la locution à toutes fins pratiques − à ne pas confondre avec sa jumelle à toutes fins utiles − peut être avantageusement remplacée, selon le contexte, par « en pratique, pratiquement » ou « en fait ».

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    À toutes fins utiles
    (selon les dictionnaires usuels).

     

    « Coût de rabotLe b est un p comme les autres »

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  • Commentaires

    1
    yr-2007
    Mardi 6 Février 2018 à 19:00

    Entièrement d'accord avec votre blogueur : c'est l'action qui peut être utile, non les fins. Ce n'est pas parce que beaucoup mettent un s à utile qu'ils ont grammaticalement raison. C'est tout de même rageant, cette dictature de la "majorité" : serons-nous un jour fermement conviés par l'Académie à prononcer vingt heuros et cent heuros (avec un h aspiré) sous prétexte qu'on l'entend à longueur de journée dans les publicités et dans la bouche des hommes politiques désireux de faire "peuple" ?

    Vous l'avez compris, je ne céderai pas à "ce qu'il convient de dire". Cordialement.

      • Mercredi 7 Février 2018 à 09:50

        "C'est l'action qui peut être utile, non les fins."
        Vous l'avez compris, ce n'est pas toujours le cas (cf. citations de Malraux et de Lévy).

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