• Le jour de l'en

    « Le fort de Seclin demeure le seul dans son état d’origine, ce qui en fait toute son originalité. »
    (paru sur lavoixdunord.fr, le 23 juillet 2016) 

     

    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Sophie Boniface)

     

    « Pour Dany Cohn-Bendit, il y a effectivement des problèmes mais ce n'est pas le burkini qui en est à l'origine. »
    (paru sur europe1.fr, le 21 août 2016) 

     
    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Marie-Lan Nguyen)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Trop point n'en faut ! nous dit en substance Dupré dans son Encyclopédie du bon français. Car enfin, employer à la fois l'adjectif possessif de la troisième personne et le pronom en au lieu de choisir l'un des deux pour renvoyer au même terme et remplir la même fonction constitue, en français moderne, « une grosse incorrection » − à tout le moins une regrettable redondance syntaxique. En effet, quand en (mis pour de lui, d'elle, de cela, d'eux, d'elles) est complément d'un substantif, il équivaut à son, sa, ses, leur, leurs. Aussi le journaliste de La Voix du Nord avait-il le choix entre : ce qui fait toute son originalité (adjectif possessif) et ce qui en fait toute l'originalité  (article défini et en(1). À sa décharge, force est de constater que la construction hybride qu'il a finalement retenue (à tort !) se trouve sous quelques plumes avisées : « Le théâtre fait partie de la littérature, doit en redevenir une de ses gloires » (Jules Romains, cité par Grevisse), « J'ai été élevée dans la haine, j'en connais ses conséquences et le moindre de ses visages » (Laurence Nobécourt). Rien à redire, en revanche, de cette phrase de Lamartine : « L'homme est comme l'arbre qu'on secoue pour en faire tomber ses fruits », en remplissant ici la fonction de complément de lieu et non de complément du nom fruit.

    Mais voilà que les choses se compliquent : des distinctions se font jour entre l'adjectif possessif de la troisième personne et la construction concurrente avec en suivi de l'article défini. Ainsi, nous apprennent les grammairiens (Grevisse et Hanse en tête), le possessif s'impose-t-il à l'exclusion de en (2) quand le nom de l'objet possédé est précédé d'une préposition : « Dans ce cas, l'emploi de en est impossible : J'ai parcouru la Suisse, et j'ai admiré la beauté de ses paysages » (Cours complet de grammaire française, 1861) ; « Je connais bien la Suisse, je ne me lasse pas de ses paysages » (Ferdinand Brunot) ; « Cette maison est éloignée mais j'apprécie la beauté de son site (et non j'en apprécie la beauté du site» (Le Robert) ; « Je revoyais [...] l'antique château [...], la rivière qui baignait le pied de ses murailles » (Benjamin Constant) et non « Elle [l'Ebre] coule autour de la ville, de manière qu'elle en baigne le pied des édifices en quelques endroits » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert). Partant, Hanse préconise d'écrire : « Cette légende est très vieille ; peut-être quelque fait historique est-il à son origine ; et non pas [en est-il à l'origine]. » Voilà qui, à n'en pas douter, risque d'en surprendre plus d'un... jusque dans les rangs des spécialistes de la langue eux-mêmes. Ne lit-on pas à l'entrée « coupable » du Larousse en ligne : « Qui est responsable d'une faute, d'un mal, qui en est à l'origine » (3) et sous la plume de Jean-Pierre Colignon : « L'acception de ladite expression enjolive le fait divers qui en est à l'origine » ? Gageons que la question du caractère figé ou non de l'expression être à l'origine de n'est pas étrangère à ce flottement syntaxique.

    Les grammairiens auraient donc oublié d'accorder leurs violons. La chose n'est pas nouvelle et le mal pas bien grand, me rétorquera-t-on. Il est vrai que l'usager de la langue en a vu d'autres...

    (1) Si la seconde option a la préférence des puristes, depuis que la Grammaire de Port-Royal (1660) réserve le possessif aux êtres humains (ou considérés comme tels) et en aux choses, « le possessif en relation avec un nom de chose tend à gagner du terrain », observe toutefois Albert Dauzat.
    Pour Thomas, l'emploi du possessif est surtout déconseillé chaque fois que la possession ne peut se concevoir : « J'ai vu ce monument, en voici la photo (et non voici sa photo, un monument ne possédant pas une photo). »

    (2) Même avec un antécédent non humain.

    (3) Le TLFi, de son côté, s'en tient prudemment à « qui est à son origine » à l'entrée « primitif ».


    Voir également le billet Dont qui choque.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ce qui fait toute son originalité ou ce qui en fait toute l'originalité.

    Il y a des problèmes, mais ce n'est pas le burkini qui est à leur origine (selon Hanse).

     

    « "Donner de" n'est pas "donner"Si compter m'était conté... »

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