• L'enfer de la partie

    « Orphée et le dualisme, au fond, ont parti lié. »
    (Marie Gil, dans son livre Roland Barthes. Au lieu de la vie, paru aux éditions Flammarion)

     

     

      FlècheCe que j'en pense


    Il est des cas, épineux, où l'absence d'article associée au choix d'un adjectif épicène (du moins à l'oral) ne permet pas de déterminer le genre du substantif. Ainsi de l'affaire qui nous occupe aujourd'hui. Rappelons donc à notre auteur que c'est le nom féminin partie qui est de mise dans les locutions lier partie ou avoir partie liée avec quelqu'un, lesquelles signifient « concerter son action, unir ses intérêts avec lui ; être engagé solidairement avec lui dans une affaire » (1) : « M. de Saint-Gilles passait en Hollande pour lier directement partie avec le cardinal de Retz » (Sainte-Beuve),
    « L'un des deux directeurs [...] avait partie liée avec de gros négociants bruxellois » (Martin du Gard), « Les magistrats avaient partie liée avec les bandits » (Jean Dutourd), « La matrone paraissait au mieux avec le cousin Anselme. Ils avaient probablement partie liée » (Claude Duneton). Partie s'entend ici au sens de « projet, affaire, cause que plusieurs personnes ont en commun », comme dans ce n'est que partie remise. De là, partie liée s'est dit de toute affaire convenue et, particulièrement, d'un duel (2) : « Des quatre, c'est une partie liée (3) » (Montaigne), « La proposition [de duel] fut acceptée : voilà la partie bien liée, le lieu pris, l'heure marquée » (Mme de Sévigné), « Jamais partie ne fut si bien liée » (Saint-Simon) ; et aussi, en termes de jeu, d'une partie avec revanche ou belle (« avec cette convention qu'il faille gagner deux manches sur trois ou deux manches de suite pour avoir l'enjeu », pour paraphraser Littré) par opposition à une partie unique : « Jouer aux dominos à quatre, avec revanche en partie liée » (Fernand Calmettes).

    En revanche, c'est bien le substantif masculin parti qui s'impose dans prendre parti pour quelqu'un ou tirer parti de quelque chose, respectivement avec le sens de « choix, résolution » et de « profit, avantage ». Maudits homophones ! Qui a dit que la langue était une partie de plaisir ?

    (1) Le tour avoir partie liée (et non pas être partie liée comme on le voit parfois) se rencontre également avec un complément de chose, au sens figuré de « être étroitement lié à » : « L'art classique ayant partie liée avec la renaissance de l'Antiquité, l'art romantique doit avoir partie liée avec celle du Moyen Âge » (André Malraux), « En France, la langue a partie liée avec la loi, avec l'autorité, avec le pouvoir » (Pierre Lepape). Cet emploi, bien que fréquent, est curieusement ignoré de tous les ouvrages de référence que j'ai pu consulter.

    (2) « On dit lier partie, pour dire, Convenir du jour et des conditions où on doit se divertir ensemble, jouer, voyager ou se battre » (Dictionnaire de Furetière, 1690).

    (3) Comprenez : Les quatre (l'offenseur et l'offensé, d'une part, et les seconds, de l'autre) forment alors une partie liée et un double duel.

    Remarque 1 : On notera que l'expression avoir partie liée se construit avec les prépositions avec pour introduire la personne avec qui une affaire est engagée et dans pour préciser l’objet de l’affaire : « [La ville d']Assat a partie liée avec Bordes dans le grand projet Aéro Pôle » (Sud Ouest).

    Remarque 2 : Quand bien même affaire a pu se dire, autrefois, pour « complot, dessein formé pour nuire ou perdre quelqu'un » (Dictionnaire de Richelet, 1680), c'est à tort, me semble-t-il, que Daniel-Gilles Richard laisse entendre dans son Dictionnaire d'expressions idiomatiques (2011) que l'affaire convenue serait nécessairement placée sous le sceau du secret : « Avoir partie liée avec quelqu'un : "Avoir quelque accord secret qui nous unit à lui". »

    Remarque 3 : On trouve quelques attestations de nos locutions au pluriel : « Que signifie ce commerce [avec le monde] ? [...] C'est y entretenir ses intelligences, c'est y avoir ses parties liées » (Bossuet), « L'Église a parties liées avec l'histoire » (Adalbert-Gautier Hamman, 1970), « Croyance et mystification ont parties liées sous la vêture des rationalisations » (Dictionnaire de la philosophie, publié en 2016 par Encyclopædia Universalis). Mais, allez savoir pourquoi, l'usage a préféré envoyer valser ce douloureux pluriel au profit du singulier...

    Remarque 4 : Voir également le billet  Parti/Partie. 

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ils ont partie liée.

     

    « Ça va mieux en le dis(s)antIl y a fort à faire »

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