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Hors de saison
« L'équipage espagnol n'avait qu'un mois d'expérience sur cette route aérienne réputée difficile à cette saison » (à propos du crash du vol AH5017 d'Air Algérie).
(Mathilde Ceilles, sur lefigaro.fr, le 30 juillet 2014)
Ce que j'en pense
Encore un sujet – sans commune mesure, il va sans dire, avec les pertes en vies humaines qui ont été récemment déplorées − où les spécialistes de la langue ont bien du mal à s'accorder. Que l'on en juge : « À cette époque, à cette saison » (L'essentiel. Français langue étrangère, par N. Dulin, S. Palafox, M. Rosario Ozaeta), mais « Ne pas écrire À cette saison, mais En cette saison » (Petit mémento de quelques règles simples d'orthographe, de grammaire et de typographie à l'usage des rédacteurs, d'après une note rédigée par Isabelle Labbé) (1) ; « C'est à cette saison que les roses sont le plus belles » (Georgin), mais « C'est en cette saison que les courants sont le plus dangereux » (Académie) ; « Il est étonnant qu'il fasse si froid à cette saison » (Rey-Debove) , mais « Le Nil, gonflé, torrentueux en cette saison » et « Il se vend beaucoup d'eau en cette saison » (Grevisse).
Nos grands auteurs ne sont pas en reste : « à cette saison d'automne » mais « cela est suffisant en cette saison » (Zola) ; « À cette saison printanière de la vie » mais « En cette saison, le crépuscule jette alors ses dernières lueurs » (Balzac) ; « le spectacle offert par les jardins à cette saison » mais « le voyage du Péloponnèse, qui en cette saison est assez pénible » (Flaubert) ; « sachant trop ce qui en résulte pour mon asthme à cette saison » mais « en cette saison qui n'était pas encore "la saison" » (Proust). Pour un peu, on finirait par croire que logique et cohérence ne sont plus de saison...
Et que penser de la position − pour le moins acrobatique − de l'encyclopédie Larousse en ligne, qui semble recourir à l'une ou l'autre des deux formes en fonction de l'animal étudié : à cette saison, à propos du blaireau, du bœuf musqué, du triton alpestre, de la poule d'eau et du pygargue ; en cette saison, à propos du caribou, du sanglier et du mouflon ? Pis ! Nos chers académiciens, qui ne sont pourtant pas des perdreaux de l'année, ont toutes les peines du monde à respecter leur propre consigne en la matière : ils précisent, à l'entrée « en » de la dernière édition de leur Dictionnaire, que ladite préposition « sert à marquer la localisation dans le temps. En ce temps-là, en cette saison, en semaine, en temps de paix », confirment leur choix aux entrées « habituel » (« C'est un phénomène habituel en cette saison »), « matinée » (« Les matinées sont fraîches en cette saison »), « ordinaire » (« Un tel phénomène n'est rien moins qu'ordinaire en cette saison »), etc., et changent subitement de trajectoire à l'entrée « devoir » (« La campagne doit être belle à cette saison »). Comprenne qui pourra...
De son côté, Hanse nous invite à comparer, à la volée, « en ce siècle, en cette période troublée » et « à cette date, à cette époque »... mais fait, hélas, l'impasse sur « cette saison ». Le TLFi, quant à lui, a au moins le mérite de nous éclairer, à l'entrée « à », sur l'opposition entre les deux prépositions : « À présente une valeur inchoative, en (dans) marque qu'on se situe à l'intérieur de l'espace de temps défini par le substantif ou que cet espace est vu dans toute son étendue de durée; à l'automne signifie "au début de l'automne", en automne "l'espace de temps que dure l'automne" (...) À se substitue quelquefois à en (dans des tours aujourd'hui archaïques) : "... les jardins des environs étaient à cette saison pleins de fleurs..." G. de Maupassant. » Voilà qui est intéressant : d'une part, à se référerait au début de la période considérée (d'où à cette date, à cette époque, puisqu'il est question d'un point fixe dans le temps) alors que en insisterait davantage sur sa durée ; d'autre part, le tour à cette saison fleurerait l'archaïsme précieux, au point d'avoir désormais du plomb dans l'aile.
Autant l'avouer : je doute que ces subtiles considérations aient présidé au choix de la préposition dans les exemples précédemment cités. Autrement probable me paraît, en revanche, l'influence de l'anglais at this season of the year sur notre affaire. Devant tant d'incertitudes, mieux vaut encore s'en tenir à la graphie en cette saison, et ce, tout au long de l'année !
(1) On trouve également, à une époque plus lointaine : « Ce sera d'un grand intérêt à cette saison de l'année = ... en cette saison de l'année. À ne peut pas s'employer ainsi » (Étude sémantique de l'anglicisme dans le parler franco-américain de Salem, Edward Pousland, 1933) ; « J'aimerais savoir où elles ont pu se procurer, à cette saison, toutes ces fleurs de printemps et d'été. Au lieu de à cette saison, lisez dans cette saison » (Fautes de langage corrigées, Alphonse Guillebert, 1832).
Remarque : On dira toutefois correctement : À cette saison chaude succéda une saison plus froide.
Voir également le billet À / En (+ nom de ville).Ce qu'il conviendrait de dire
Une route aérienne réputée difficile en cette saison.Tags : en cette saison, à cette saison
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