• Frag(r)ant délit

    « La conviction est une fragance politique, l'éminence s'en asperge après sa toilette électorale, mais, très vite, elle disparaît pour laisser la place aux remugles du renoncement. »
    (Joseph Macé-Scaron, sur marianne.net, le 11 octobre 2014)


    (photo Wikipédia sous licence GFDL par Takkk)

     

    FlècheCe que j'en pense

    Il faut croire que promesses et convictions ne sont pas seules à s'envoler aussitôt qu'elle sont proférées : les bonnes résolutions linguistiques, aussi, ont une fâcheuse tendance à s'évaporer au premier courant... d'r. Car, je ne vous apprends rien, la graphie correcte pour désigner un parfum, une odeur suave est bien fragrance (avec deux r, en français comme en anglais), et non fragance aux forts relents de barbarisme : « une fragrance de fleurs et d'aromates » (Théophile Gautier).

    À vue de nez, la confusion n'est pas récente. Ne lit-on pas dans l'Encyclopédie du bon français de Dupré : « Fragrant, fragrance, du latin fragans, "odorant", de fragrare, "répandre une bonne odeur" », quand mon Gaffiot donne fragrans (avec deux r) comme participe adjectif de fragrare ? La coquille se rencontre encore sous la plume d'un Albert Paraz (« Étant aérophagique, mes vents n'ont qu'une fragance diluée et peu fascinante »), d'un Charles Exbrayat (« la fragance agressive de l'oignon »), d'un Louis Dubrau (« Une odeur de poussière imprégnait l'air où dominait cependant la fragance de la mer toute proche »), d'une Françoise Sagan (« La fragance de la mandragore ») et, les mauvaises odeurs n'ayant pas de frontières, jusque outre-Manche, chez Abel Boyer (« A divine fragance ») et dans une édition du Paradis perdu de Milton (« in a cloud of fragance »). Grande est, apparemment, la tentation chez l'usager − par esprit de contradiction ? − d'oublier le r quand il est requis... et de l'ajouter quand rien ne le justifie (que l'on songe à la forme fautive frustre au lieu de fruste).

    Même correctement orthographié, fragrance ne fut pas toujours en odeur de sainteté : apparu dans notre lexique au XIIIe siècle (sous la forme fraglance), le mot fut courant au XVIe siècle (sous sa forme moderne), avant de tomber en désuétude aux XVIIe et XVIIIe siècles. Quand il refit fortune au début du XIXe siècle − notamment chez Chateaubriand (« la fragrance de l'angélique, du cédrat et de la vanille »), à qui il fut sans doute inspiré par l'anglais −, le bougre fut un peu vite taxé de néologisme, alors qu'il ne s'agissait que d'un archaïsme. De nos jours, les spécialistes le donnent comme un terme suffisamment « rare et littéraire » pour que l'on n'ait point trop d'occasions, au quotidien, de détourner la tête en se pinçant le nez à la vue de sa variante éclopée.

    Fragrance, fragance... Après tout, diront les mauvaises langues, qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse !

    Remarque 1 : L'adjectif associé est fragrant (« qui exhale une odeur suave ») : « Il est des jours... / Tout bleus, tout nuancés d'éclatantes couleurs, / Tout trempés de rosé et tout fragrants d’odeurs » (vers de Lamartine, qui fleurent bon... le pléonasme !).

    Remarque 2 : On se gardera de toute confusion avec flagrant, flagrance, empruntés du latin flagrare (« brûler »).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La conviction est une fragrance politique.

     

    « Une drôle de sensationGoût prononcé pour le désaccord »

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  • Commentaires

    1
    Chambaron
    Lundi 27 Février 2017 à 00:09

    Comme le confirme toute analyse de fréquence du terme, le mot est en progression vertigineuse depuis les années 1960. Il n'est que d'entrer dans une parfumerie ou de consulter des catalogues dédiés pour s'en convaincre. Quelque vieux François aurait sans doute écrit : « Il n'y a plus de fragrance délit. »

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