• Être ou ne pas être (pour)

    « Toutefois, les ténors de l'opposition qui ont tenté de surfer sur la vague "anti-Dilma" en ont eu pour leurs frais [...] Ils ont été traités d'opportunistes par les manifestants anticorruption. »
    (Thierry Ogier, sur lesechos.fr, le 14 mars 2016)   
    Dilma Rousseff  (photo Wikipédia sous licence GFDL par Agência Brasil)

     

    FlècheCe que j'en pense


    J'entends déjà les mauvaises langues claironner qu'il vaut mieux éviter de prendre ce que disent les journalistes pour argent comptant. En l'espèce, il aura suffi au lecteur attentif de rétablir l'auxiliaire être dans ses droits pour éviter de faire les frais d'un fâcheux contresens.

    L'expression en être pour ses frais, attestée en 1690 chez Furetière sous la forme en être pour les frais, signifie proprement « ne tirer aucun profit de ses dépenses, avoir dépensé beaucoup d'argent sans résultat » (frais y est pris dans son acception de « dépenses ») et, au figuré, « s'être donné du mal inutilement, être déçu » (frais y est pris dans son acception d'« efforts ») : « Elle en fut pour ses frais, pour ses paroles insidieuses, pour ses mines coquettes, et sortit du salon avec un irrévocable désir de vengeance » (Balzac), « J'ai vu le moment où j'allais en être pour mes frais » (Courteline), « Je crains, ma tante, qu'il en soit pour ses frais » (Gide), « Je ne pipais pas pendant qu'il me parlait. Il en fut donc pour ses frais de confidences » (Céline), « Là-dessus les gens brodent. Ils en seront pour leurs frais » (Druon).

    Reconnaissons, à la décharge de notre journaliste, que le risque de confusion est d'autant plus grand que ce genre de construction idiomatique résiste souvent à l'analyse : en être prend-il ici le sens de « être engagé (dans quelque affaire) » et pour, celui de « en échange de », comme le suppose Kristian Sandfeld dans Syntaxe du français contemporain (1928) ? Toujours est-il que en être pour quelque chose (ses frais, son argent, sa peine, son temps, sa réputation...) équivaut − Littré nous en fiche son billet − à « l'avoir perdu ». Le sens est d'ailleurs à peu près le même que celui de l'expression familière en être (ou y être) de (sa poche, sa peine, son temps...).

    Mais voilà : à côté de en être pour son argent s'est formé au début du XIXe siècle le tour en avoir pour son argent, qui signifie quant à lui « obtenir un bien ou un service répondant à la somme ou, par extension, aux efforts qu'il a coûtés ». Aussi ne s'étonnera-t-on pas − proximité sémantique oblige − de voir fleurir, dans la foulée, des « en avoir pour ses frais », qui n'auraient rien de condamnable... s'ils n'étaient plus souvent qu'à leur tour employés au sens de « en être pour ses frais » ! Comparez : Le public veut en avoir pour ses frais (ou, plus couramment, pour son argent) et Ceux qui prédisaient un échec en ont pour leurs frais (au lieu de en sont pour leurs frais). Que voulez-vous, avoir ou être, c'est comme boire ou conduire : il faut choisir !

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Ils en ont été pour leurs frais.

     

    « La guerre des signesDrôle de méthode »

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