• Elle s'est rendu(e) compte

    Elle s'est rendu(e) compte

    « Lorsqu’elle a reçu les résultats de l’examen, je me suis dit qu’elle avait peut-être quelque chose de spécial et que je ne m’en étais jamais rendue compte » (propos de la mère de l'adolescente de 12 ans connue pour avoir un QI supérieur à celui d'Einstein, photo ci-contre).

    (Jérémy Garandeau, sur gentside.com, le 6 mars 2013)

    (photo Wikipédia)


    FlècheCe que j'en pense


    Si, d'après ledit article, la jeune Britannique d'origine indienne Neha Ramu s'est notamment illustrée à l’examen de grammaire en réalisant un sans(-)faute, on ne peut en dire autant de notre malheureux journaliste.

    En effet, à en croire nos plus éminents spécialistes, la cause est entendue : dans la conjugaison de se rendre compte, « le participe est toujours invariable ». Voilà qui est dit. Inutile pour autant d'espérer trouver la moindre justification à cet état de fait dans les comptes rendus de Girodet, Thomas, Hanse, Bescherelle et consorts : derrière le bel unisson, aucune explication. Une telle vérité aussi laconiquement partagée ne pouvait que paraître suspecte.

    L'Office québécois de la langue française est heureusement plus prolixe : selon lui, dans la locution se rendre compte, c'est le substantif compte, et non le pronom se, qui tient lieu de complément d'objet direct. Comme celui-ci est toujours placé après le verbe, l’invariabilité du participe passé est de rigueur, selon la règle d’accord des verbes occasionnellement pronominaux.

    Si l'explication est grammaticalement satisfaisante, elle ne laisse pourtant pas de heurter le bon sens : car, après tout, est-on fondé à considérer se rendre compte (de quelque chose), qui signifie « s'en apercevoir, en prendre conscience », comme la forme pronominale de rendre compte (de quelque chose), à savoir « en faire le récit, le rapport, en rendre raison » ? A priori, le compte n'y est pas... D'où la réflexion de mon correspondant (cf. commentaires ci-dessous), qui a tôt fait de ranger ladite locution dans le groupe des verbes (occasionnellement) pronominaux non réfléchis – entendez : qui existent aussi à la forme non pronominale, mais avec un autre sens (sur le modèle de s'apercevoir, qui ne signifie pas « apercevoir soi-même » mais « prendre conscience ») – et, partant, de prôner l'accord du participe passé.

    C'est oublier que le substantif compte est ici pris au sens figuré de « action de rapporter ce qu'on a fait, ce qu'on a vu, etc., et d'en rendre raison, de l'expliquer ». À l'origine, se rendre compte (de quelque chose) signifiait ainsi « se l'expliquer, s'en rendre raison », comme cela est encore attesté dans la huitième édition du Dictionnaire de l'Académie : « J'éprouvais un sentiment dont j'avais peine à me rendre compte. » Ce n'est que dans la dernière édition dudit ouvrage que l'Académie enregistre l'acception moderne de « s'en apercevoir, en prendre conscience », dans laquelle le sens originel de compte n'est plus perçu. Malgré ce glissement sémantique, l'invariabilité du participe passé – pleinement justifiée dans le sens premier – a été conservée dans le sens moderne.

    Il n'empêche, j'ai peine à me rendre compte du silence des ouvrages spécialisés sur ce point de grammaire... réservé à l'entendement des seuls surdoués ?


    Voir également le billet Accord du participe passé des verbes pronominaux.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Je ne m’en étais jamais rendu compte.

     

    « Aucun desAvoir à faire »

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  • Commentaires

    1
    nouvelobs
    Samedi 18 Mai 2013 à 16:34

    Personnellement, j'hésite encore (je vais poursuivre les recherches). On pourrait en effet considérer que "compte" est le COD et que donc "rendu" reste invariable. Mais cela ne me paraît pas très satisfaisant : on aurait l'expression "se rendre". Quoi? "compte" ???? Je préfère considérer l'expression "se rendre compte " comme "essentiellement pronominale" comme on disait jadis. Et donc, accord avec le sujet : "elle s'est rendue compte de ...".

    2
    Marc81 Profil de Marc81
    Samedi 18 Mai 2013 à 18:30

    Dans la huitième édition de son Dictionnaire, l'Académie écrivait : "COMPTE se dit figurément de l'Action de rapporter ce qu'on a fait, ce qu'on a vu, etc., et d'en rendre raison, de l'expliquer. Dans ce sens, il s'emploie ordinairement avec les verbes Rendre, devoir, demander. Je vous rendrai compte de cette affaire. Rendre compte d'un ouvrage dans un journal. Nous devons compte à Dieu de toutes nos actions. On nous demandera compte de nos actions."
    Auquel cas, il me semble que l'analyse suivante est, au contraire, grammaticalement satisfaisante : On nous demandera quoi ? compte de nos actions. Nous devons quoi ? compte à Dieu. Je vous rendrai quoi ? compte de cette affaire. Etc.

    3
    nouvelobs
    Samedi 18 Mai 2013 à 19:12

    Il ne s'agit pas de "rendre compte de qqch à qqun"  mais de "se rendre compte de qqch" (s'apercevoir de). Mais j'ai trouvé maintenant un grammairien qui dsait que le pp de se rendre compte restait invariable (sans considérer compte comme COD).

    4
    Marc81 Profil de Marc81
    Samedi 18 Mai 2013 à 19:24

    Mais si, justement : se rendre compte (de qqch.) s'analyse ici comme rendre compte à soi-même (de qqch.).
    Quant aux grammairiens qui vous confirmeront l'invariabilité du participe, vous avez le choix : Girodet, Thomas, Hanse, Bescherelle... Voyez également l'Office québécois de la langue française, qui analyse logiquement compte comme un COD.

    5
    nouvelobs
    Samedi 18 Mai 2013 à 20:03

    Je ne crois pas : "rendre compte de qqch à qqun" le sens de "faire rapport, justifier".

    Mais "se rendre compte de qqch" n'a pas cette signification et ne peut s'analyser comme "rendre compte à soi-même". La tournure pronominale, où le sujet doit donc correspondre au pronom "se", forme pour moi un bloc, une tournure verbale essentiellement pronominale, "se rendre compte", qui signifie "s'apercevoir".

    Mais en effet de nombreux grammairiens déclarent le pp invariable tout comme pour "se plaire" "se rire" etc.

    6
    Marc81 Profil de Marc81
    Samedi 18 Mai 2013 à 20:52

    En fait, l'Académie (toujours dans la précédente édition de son Dictionnaire), donnait la définition suivante : "Se rendre compte de quelque chose, se l'expliquer, s'en rendre raison". Ce n'est que dans la dernière édition dudit Dictionnaire qu'elle enregistre le sens moderne de "s'en apercevoir, en prendre conscience". Il me semble que c'est ce glissement sémantique (finalement assez récent) qui vous perturbe, l'invariabilité du participe passé - justifiée dans le sens premier - ayant été conservée dans le sens moderne.

    7
    nouvelobs
    Dimanche 19 Mai 2013 à 05:42

    Merci pour cette précision et cette fois nous sommes d'accord. Nous savons que le Dictionnaire de l'Académie est souvent en retard d'une génération (au moins). Je crois que l'étape suivante serait de permettre (d'imposer?) l'accord qui semble plus logique et plus dans la continuité de l'accord des verbes pronominaux, sur le modèle de "elle s'est aperçue ...". Moins machiste aussi : les femmes se sont "rendues" compte de la discrimination de la grammaire française ("le masculin l'emporte").

    8
    mozart
    Jeudi 5 Février 2015 à 11:12

    Non l'accord ne se justifie absolument pas ! elles se sont rendues à la police ok

    Mais elles ne rendent pas compte à elles mêmes ! cette astuce est primaire mais très efficace

    La présence du COD ne  peut être un justificatif puisque "compte" demande un COI et non un COD  on ne se rend pas compte quoi mais .. de quoi !

    Quant à prendre compte comme COD lui même !! là même Grevisse n'en parle pas !

    9
    nouvel obs
    Jeudi 5 Février 2015 à 17:23

    Comme signalé, le glissement sémantique de l'expression fait de "se rendre compte de"  un synonyme de "s'apercevoir de". Et sur le modèle de "elles se sont aperçues de" on pourrait avoir "elles se sont rendues compte de".

    10
    jo41
    Vendredi 6 Mars 2015 à 14:36

    Bonjour à tous,

    J'avais besoin de votre éclairage pour un devoir sur table que je prépare pour des étudiants.

    J'opte pour l'espoir d'évolution, par goût pour ces petits changements discrets...

    Je note "rendue compte". Et vous sais gré de cette leçon de grammaire.

     

    Si des commentaires me remontent j'en serai ravie !

    Merci.

    11
    Vendredi 6 Mars 2015 à 15:30

    Voilà qui s'appelle tenter le diable...

    12
    Michel JEAN
    Samedi 19 Novembre 2016 à 12:36

    Bonjour M. Marc, M. A. Rey dans P. Match p.22 :  Entre 92 et aujourd'hui, vous avez ajouté 200 p. À cause de l'inflation langagière ou de nouveaux sens priw par les mots  ? / Les deux. Mais aussi parce que des tabous sont tombés. Avant, les variétés du fran ais étaient masquées ;  dans les grands dict. du XIXe siècle, il n'y avait pas d'argot, ou il était confiné dans le guetto de dict. "du bas langage", dont le message était :  "Ne dites surtout pas ça ! " Or, le "ça" en question ce pouvait être un, mot régional qui vient du latin aussi légitime que celui d'Ile-de-France. Bye.

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