• De si tôt

    De si tôt

    « En conséquence, l’afflux de liquidités sur les marchés ne devrait pas s’amenuiser de si tôt. »

    (Guillaume Bayre, sur lefigaro.fr, le 21 octobre 2013) 

     

    FlècheCe que j'en pense

     
    Il n'est jamais trop tard pour améliorer son orthographe. Encore faut-il que les ouvrages de référence nous facilitent un tant soit peu la tâche. Force est malheureusement de constater que, dans l'affaire qui nous occupe, il va falloir se lever tôt pour y retrouver ses petites liquidités. Jugez-en plutôt.

    Dans la huitième édition de son Dictionnaire (la neuvième n'étant pas encore parvenue à la lettre s), l'Académie n'a d'yeux que pour sitôt : la graphie en un seul mot a clairement sa préférence dès lors que tôt s'attarde en compagnie des adverbes aussi, bien et si : Je n'arriverai pas sitôt que vous. Il n'est toutefois que de survoler ledit ouvrage pour constater que cet ancien usage bat sérieusement de l'aile : les Immortels n'hésitent-ils pas à écrire à l'entrée « hé », avec une certaine inconséquence : « Hé, vous voilà ? je ne vous attendais pas si tôt » ?

    C'est que, comme le note à juste titre Littré, « des grammairiens pensent que, puisqu'on écrit plus tôt en deux mots dans ces phrases : Il était venu plus tôt que moi, son procès sera jugé plus tôt que le mien, il faudrait de même écrire si tôt en deux mots, dans celles-ci : Je n'arriverai pas si tôt que vous ; votre affaire ne sera pas si tôt finie que la mienne. Ailleurs on continuerait de n'en faire qu'un seul mot : Sitôt qu'il reçut la nouvelle, il partit. »

    Partant, nombreux sont les spécialistes (parmi lesquels Girodet, Thomas et Hanse) qui ne craignent plus de distinguer l'adverbe sitôt (en un seul mot), proche d'aussitôt, et l'expression si tôt (en deux mots), qui s'oppose à si tard. Comparez : Sitôt dit, sitôt fait. Sitôt arrivé, il se plaint. Elle partit sitôt (= aussitôt) qu'elle m'aperçut. Elle est partie si tôt (= tellement tôt) que l'on n'a pas eu le temps de discuter. Privilégier la graphie en deux mots quand le contexte donne son sens plein à tôt, rien que de très logique, après tout, pour peu que l'on s'attarde un instant sur le sujet. L'Académie elle-même semble enfin se laisser convaincre, comme le suggère la différence de traitement du verbe dire dans les dernières éditions de son Dictionnaire : « Qui eût dit qu'elle changerait sitôt ? » (huitième édition) ; « Qui eût dit qu'elle changerait si tôt ? » (neuvième édition).

    Mais voilà que les choses se compliquent avec la locution adverbiale de sitôt, qui ne s'emploie que dans une proposition négative avec le sens de « pas avant longtemps ». Il fallait bien, diront les mauvaises langues, que Grevisse s'immisçât tôt ou tard dans le débat : « Il est logique d'écrire si tôt en deux mots chaque fois qu'on exprime le contraire de "si tard" et aussi dans "pas de si tôt". » Et notre spécialiste de citer Cocteau : Il ne se couchera pas de si tôt – il aurait pu de même évoquer Voltaire : Les nouveautés ne seront pas de si tôt prêtes, ou encore Simone de Beauvoir : On n'a jamais réussi à arrêter le malheur, on n'y réussira pas de si tôt, en tout cas pas de notre vivant.

    Qui croire ? L'Académie, qui s'en tient à la graphie en deux mots (Il ne partira pas de sitôt), ou Grevisse, qui penche pour trois ? Inutile d'espérer une aide quelconque de nos dictionnaires usuels : si Larousse semble marcher dans les pas des académiciens, le Robert illustré 2013 ne fait guère de distinction entre les deux graphies − « Il ne reviendra pas de sitôt : il n'est pas près de revenir » (à l'entrée « sitôt ») et « Elle ne viendra pas de si tôt, pas dans un proche avenir et peut-être jamais » (à l'entrée « tôt »). Quelque subtile que puisse être la nuance, viendrait-il à l'idée de quelqu'un d'écrire : « Elle ne viendra pas de si tard » ou « Elle ne viendra pas de plus tôt » ? Hanse ne le croit pas. Aussi préfère-t-il s'abstenir d'écrire pas de si tôt, malgré les exemples trouvés chez quelques bons écrivains.

    Point n'est pour autant besoin, il va sans dire, d'envoyer notre journaliste expier sa faute, cithare à la main, à l'abbaye de Cîteaux. Il ne devrait pas la refaire... de sitôt.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    L’afflux de liquidités ne devrait pas s’amenuiser de sitôt (selon l'Académie, Littré, Girodet, Thomas, Hanse, Bescherelle et Larousse).

     

    « Tout dépend...Aucun(s) frais »

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 27 Novembre 2013 à 16:05

    Bonjour,

    Voilà qu'un texte bien banal suscite une plaisante remarque ! Pour ma défense, et comme indiqué en bas du texte, le matériau de départ est une dépêche Reuters mais j'avoue ne plus me souvenir si ce "si tôt" provient du texte fourni par l'agence de presse financière ou s'il s'agit d'une modification de ma main...

    En toute franchise je pense que je suis bien capable d'avoir commis moi-même cette dérogation aux bons usages orthographiques. Quoi qu'il en soit j'espère qu'on ne m'y reprendra pas... (suite connue !)

    Bien cordialement,

     

    GB

    2
    Mercredi 27 Novembre 2013 à 18:36

    Merci de votre visite... et que votre bon état d'esprit ne vous quitte pas de sitôt !

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