• De proche en proche(s)

    « Autant dire qu'après la journée de mardi prochain, on sera nettement plus proches de connaître le candidat nominé par chaque parti pour l'élection générale. »
    (paru sur francetvinfo.fr, le 25 février 2016)   
    Donald Trump (photo Wikipédia sous licence GFDL par Michael Vadon)

     

    FlècheCe que j'en pense


    Quand proche de, suivi d'un nom, est placé après le verbe être (ou un verbe analogue :  paraître, sembler, etc.), proche peut être traité comme un adverbe ou une préposition (donc invariable) ou, plus couramment, comme un adjectif attribut (donc variable), sans différence de sens : Ces maisons sont proches (= voisines) de l'église ou Ces maisons sont proche de (= près de) l'église.

    Après les autres verbes, l'hésitation n'est pas permise  : « [Les fièvres] qui viennent proche de l'hiver sont encore plus longues » (Ambroise Paré), « Ils habitent proche de cette mer » (Jean-François Sarasin). C'est que, nous explique Louis-Nicolas Bescherelle, le mot lieu serait alors sous-entendu : « Les éclipses centrales de la lune qui se font [dans un lieu] proche de l'équateur » (Bernardin de Saint-Pierre). Proche − dérivé de prochain, lui-même issu du latin propeanus, dérivation de l'adverbe prope (« près ») − survit aussi comme adverbe, surtout dans la locution de proche en proche et avec tout : « Faire des conquêtes de proche en proche », « Ils demeurent ici proche » (Académie) ; « Ils demeurent tout proche l'un de l'autre » (Pierre Larousse). Toujours est-il que ces emplois invariables de proche − à l'exception de la locution adverbiale de proche en proche − sont aujourd'hui présentés comme vieillis et tendent à disparaître au profit de son emploi adjectival (*)  ou de son plus proche concurrent, près : Ils habitent près de la mer, Ils demeurent près d'ici, « Mes années à Crivitz [...] me paraissent toutes proches » (Jacques Chardonne), « Temps proches, tout proches de nous » (François Mauriac), « L'on reconnaît les camarades tout proches à leur voix » (Jules Romains), « Les bâtiments tout proches sont indiscernables » (Hervé Bazin), « Des événements tout proches de nous » (Petit Robert).

    Il ne vous aura toutefois pas échappé que, dans notre affaire, proche de est suivi non pas d'un nom, mais d'un infinitif. Autant le préciser d'emblée, les Immortels se sont toujours refusés à enregistrer dans leur Dictionnaire cette construction, pourtant attestée de longue date : « Lucifer est proche de tomber du Ciel » (Jean-Pierre Camus), « Proche qu'elle est de choir dans l'infamie » (Corneille), « Fort proche d'avoir la famine » (cardinal de Retz), « Une négociation si proche d'être terminée » (Antoine Varillas), « On n'est jamais si proche d'avoir des revers de fortune que quand elle favorise » (Madame des Ursins), « Rendre l'homme raisonnable et plus proche de devenir chrétien » (La Bruyère, dans la Préface de son discours de réception à l'Académie !), « Traiteriez-vous ainsi celle dont vous seriez si proche de faire votre femme ? » (abbé Prévost). La condamnation figure clairement dans le Dictionnaire des synonymes (1809) de l'académicien François Guizot : « On dit près et non proche de faire, de tomber, de partir, de parler, de périr, et autres verbes. » Voilà qui est assez... proche, au demeurant, de la position aujourd'hui tenue par un Girodet : « [Proche] s'est employé comme préposition invariable : Ils étaient proche de mourir. De nos jours, on dit : Ils étaient près de mourir. » Il n'empêche, force est de constater que, sur ce point, l'unanimité n'est pas de règle chez les spécialistes et que le tour perdure chez quelques grammairiens et auteurs modernes : « Proche de mourir » (Kristoffer Nyrop), « Le procès que Freud fait à la tragédie est [...] beaucoup plus proche d'être fondé en vérité » (René Girard), « Proche de rire et sangloter avec elles » (Anne-Marie Garat), « Il fut proche de commettre une action qui lui était formellement interdite » (Jérôme-Arnaud Wagner), « La femme se sent parfois déliée, proche de passer le seuil » (Jacqueline Kelen), « Il semble bien proche d'accepter la proposition » (Bertrand Joly), « Elle est proche de défaillir » (Antoine Audouard), « Il était tellement confus, si proche de commettre l'irréparable ! » (Hugo Boris), « Elle était si proche de voir son rêve se réaliser » (Alice Zeniter).

    D'aucuns me feront remarquer, pour en revenir à notre sujet, que ces exemples ne nous permettent pas de savoir si l'accord est grammaticalement fautif ou pas. Rapprochons-nous donc, cette fois, de Dupré : « On a encore parfois la locution prépositive : proche de  (dans le temps ou dans l'espace) : Ils sont proche de ("près de") mourir. Il est évident que, dans une formule de ce genre, la valeur adjective prévaut souvent : ils sont proches de la mort. » Pas sûr, quand bien même l'expression « locution prépositive » plaiderait en faveur de l'invariabilité, que nous soyons beaucoup plus avancés après cela... Une halte s'impose chez les Le Bidois : « Proche peut faire fonction d'adverbe, d'où son invariabilité : Plusieurs pensent se porter bien quand ils sont proche de mourir (= "près de mourir") (Pascal, Pensées, éd. Havet). Mais proche s'accorde s'il est pris adjectivement. » Est-ce à dire que proche peut être traité comme un adjectif dans l'exemple de Pascal ? L'idée paraît d'autant moins saugrenue que Grevisse fait observer, non sans malice, qu'« on a proches dans le manuscrit » des célèbres Pensées ! L'accord, du reste, se trouve dans une autre phrase de Pascal citée dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle chez Larousse : « Plusieurs sont proches de mourir, qui ne sentent pas la fièvre prochaine ou l'abcès prêt à se former » et, plus proche de nous, sous une plume pourtant académicienne : « Proches de devenir femmes, combien de Luciles ont pareillement connu cette halte étrange ! » (Marcel Prévost). Vous l'aurez compris : en la matière, la confusion gagne de proche en proche. Seul Knud Togeby, à ma connaissance, se montre catégorique dans sa Grammaire française (1985) : « Une longue série d'adjectifs se construisent avec de + infinitif : 1. avide, capable, certain, conscient, content, curieux, digne, fier, friand, impatient, incapable, indigne, inquiet, proche, sûr, susceptible, stupéfait, triste. »

    Dans le doute, mieux vaut encore s'en tenir à la recommandation de Girodet et préférer, devant l'infinitif, le tour près de, irré-proch-able.

    (*) Aussi s'étonne-t-on de lire sur le site cordial.fr : « Invariable dans l'expression "tout proche" ("ils sont tout proche"). »

    Remarque 1 : Féraud fait observer que proche, « quoiqu'il s'emploie adjectivement avec le verbe être, et avec la préposition de, n'est pas un pur adjectif [car] on ne dit point dans la proche maison ni dans la maison proche ».

    Remarque 2 : Proche comme près ne s'emploient pratiquement plus comme prépositions, sans de, que dans la langue affectée (proche l'église, proche le palais) ou régionale (notamment au Québec), ainsi que dans certains tours administratifs (un avocat près la Cour de cassation).

    Remarque 3 : Concernant la forme critiquée nominé, voir cet article.

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    On sera nettement plus près de connaître le candidat (?).

     

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  • Commentaires

    1
    Trirème
    Jeudi 31 Mars 2016 à 18:19

    "... On sera nettement plus proche de..."

    Il me semble que "On" est au singulier (3e pers.), donc pas de problème dans ce cas précis. Bien sûr la syllepse n'est pas loin et  c'est elle qui sème le trouble.

    2
    Michel JEAN
    Vendredi 1er Avril 2016 à 11:50

    Bonjour M. Marc, les Le Bidois font appel au principe de "transvaluation de catégorie" de Bally qui leur permet de dire que ces constructions comportent une transposition, sur le plan verbal, des combinaisons correspondantes du plan nominal ou substantif ( une voix fausse=chanter faux), (une parole haute=parler franc) à mon avis, sans vice, ne peut-on pas penser de même pour proche, en complément de votre article.

      • Vendredi 1er Avril 2016 à 16:09

        C'est probable, en effet, sur le modèle (critiqué) : ils sont proches de la mort, ils sont proches de mourir.

    3
    Michel JEAN
    Dimanche 3 Avril 2016 à 21:04

    Bonsoir M. Marc, à moi il me semble que c'est le:" on sera- (nettement plus) -proche de connaître"... Je ne comprend pas ce que "nettement plus" appelle comme précision ou précise, hormis un aspect certain de cacophonie ou de cacologie.

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