• De l'influence de la prononciation sur l'orthographe

    « La "Uber économie" est en train de boulverser les codes de notre société. »
    (paru sur nicematin.com, le 22 juillet 2015) 

    (photo radiofrance.fr)

     

     
    FlècheCe que j'en pense


    D'après le Dictionnaire historique de la langue française et le Dictionnaire de l'Académie, bouleverser résulte de la soudure de deux verbes : bouler (dérivé de boule), pris au sens de « (faire) rouler, renverser, abattre », et verser, qui exprime une action analogue. Aussi ledit composé est-il souvent qualifié de « tautologique » (du grec tautologia, « action de redire la même chose »). Pour autant, cette étymologie ne fait pas l'unanimité : selon Littré, notre verbe signifie proprement « tourner comme une boule », quand Wachter (cité par Ménage) le fait venir du germanique bol (« tête ») et du latin versare (« tourner »), d'où « renverser la tête en bas ».

    Quelles que soient ses origines, bouleverser s'emploie désormais au sens moderne de « jeter dans le désordre et la confusion », au propre (« Qui, dans sa vie, n'a pas, une fois au moins, bouleversé son chez-soi, ses papiers, sa maison [...] ? », Balzac) comme au figuré (« cet ouragan de désespoir bouleversait [...] tout dans son âme », Hugo). Reste à s'entendre sur la prononciation du bougre. Et force est de constater que, là encore, les avis divergent : [bulvεRse] pour la majorité des spécialistes contemporains (Colignon, Gaillard, TLFi, Larousse, etc.), mais [bou-le-vèr-sé] pour Littré et pour Louis-Nicolas Bescherelle. Léon Warnant et Louis Chalon, dans leur ouvrage Orthographe et prononciation en français (2006), résume la situation d'un trait : [bu(-)l(ə)-vεR-se]. Bouleversant, non ?

    À dire vrai, le débat n'est pas récent. J'en veux pour preuve cette remarque extraite du Dictionnaire critique de la langue française (1787) de Féraud : « L'e est si muet que, dans la prononciation, il semble qu'il n'y en a point. Aussi, plusieurs écrivent boulversement, boulverser ; mais cette orthographe n'est pas la plus commune, et l'usage ne l'a pas autorisée. » Ce que Féraud ne précise pas, c'est que ledit verbe serait justement apparu dans notre langue sous sa forme « tronquée » : « Bref elle peut boulverser à l'envers / Les grands fondemens de cet univers » (Rémy Belleau, 1557). Deux siècles plus tard, la confusion entre les deux graphies règne jusque dans les ouvrages de référence de l'époque, à l'instar du Nouveau dictionnaire portatif de la langue française de Gattel (où le e, probablement tourneboulé par cette affaire, apparaît et disparaît au fil des éditions successives), du Dictionnaire de Richelet (bouleverser à l'entrée « sac[c]ager », mais boulverser à l'entrée « renverser ») ou de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (« prendre plaisir à bouleverser l'univers » à l'entrée « Éole », mais « boulverser tout l'univers » à l'entrée « providence »).

    Plus près de nous, la collection Bescherelle nous fait tourner bourrique : les auteurs du Bescherelle pratique ne forcent-ils pas notre attention sur ce « e qu'on ne prononce pas », pendant que ceux du Bescherelle Chronologie de la littérature française se laissent aller à écrire : « Commence alors le récit boulversant [sic] des combats » ? Pas certain que Toto trouve cela très logique...


    Remarque : Dupré observe une (fragile) distinction entre bouleversé de et bouleversé par : dans la première construction, il s'agit d'un mouvement intérieur (« Le Marseillais, bouleversé d'émotion [...] », Daudet) ; dans la seconde, le complément d'agent est extérieur (« ce temple est un peu bouleversé par des maçons qui s'en sont emparés », Voltaire). Dans les faits, le tour avec par semble plus fréquent : « Une ville bouleversée par les bombes », « Sa figure bouleversée par la terreur » (Littré) ; « Bouleversé par l'émotion, il était incapable d'enchaîner deux mots », « Je suis bouleversé par ce que vous me dites » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Bouleverser les codes de notre société.

     

    « Expert près les... tribunauxPas français, impensable ? Pensez donc ! »

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