• De fil en aiguille

    « Il y a encore pas mal de gens dans la profession qui pensent que le marché va repartir. C'est vrai que, pour l'instant, le Club Méditerranée est le seul à tirer son épingle du jeu. »
    (Michel Houellebecq, dans son livre Plateforme, paru chez Flammarion)  

     

     

    FlècheCe que j'en pense

    Loin de moi l'intention de monter cette affaire en épingle, mais il me semblait que l'Académie ne reconnaissait à l'expression tirer son épingle du jeu que le sens de « se dégager adroitement d’une affaire qui tourne mal ».

    Littré en fait remonter l'origine à un « jeu de petites filles », en pratique dès le XVe siècle : « elles mettent des épingles dans un rond, et, avec une balle qui, lancée contre le mur, revient vers le rond, elles essayent d'en faire sortir les épingles ». Selon Claude Duneton, « une joueuse habile parvenait au moins à récupérer sa mise, c'est-à-dire à retirer son épingle du jeu ». De là, semble-t-il, l'emploi métaphorique de notre locution :

    « Mais, ne pouvant rien contre vent et marée, il tira son espingle du jeu » (D'Aubigné).

    « Avec empressement je suis venu lui dire (...) Qu'on avait voulu m'y mêler quelque peu ; Mais que j'avais tiré mon épingle du jeu » (Molière).

    « J'ai tiré mon épingle du jeu du mieux que j'ai pu ; et, grâce à vos bontés, nous avons évité le grand scandale » (Voltaire).

    « Pour le présent, ça va trop mal, il n'y a qu'une chose à faire, qui est de tirer mon épingle du jeu » (Claudel).

    « Il s'était mis dans ce parti, mêlé à une fâcheuse intrigue, mais il a tiré son épingle du jeu » (Dictionnaire de l'Académie).

    Au risque de me répéter, le sens retenu dans ces exemples est celui de « se sortir habilement, sans dommage et à temps d’une situation qui devient délicate ». Mais voilà : entre l'idée de retrait opportun, de moindre mal et celle de réaliser un profit, il n'y a qu'une tête d'épingle que d'aucuns se sont empressés de balayer d'un revers de manche. Pour preuve, ces définitions piquées çà et là sur la Toile : « ''tirer son épingle du jeu'' signifie "s'en sortir à son avantage'', ''parvenir à tirer bénéfice de'', ''être bénéficiaire'' » (corrigé d'une épreuve à l'« examen d'adjoint administratif ») ; « savoir tirer le meilleur parti d'une situation donnée » (Philippe Gaillard, diplômé en lettres modernes, dans son livre Tu donnes ta langue au chat) ;  « Tirer son épingle du jeu (...) indique une action dont l'auteur tire profit » (Philippe Lasserre, dans un article de la revue Défense de la langue française). Je ne sache pourtant pas que nos dictionnaires usuels aient à ce jour enregistré cette extension de sens condamnée par Jacques Capelovici (*).

    À moins que... À moins qu'il ne faille plutôt regarder du côté de cet autre jeu des épingles, dont Élisabeth Celnart nous rappelle les règles dans le Manuel complet des jeux de société (1830) : « Deux petites filles mettent sur table chacune une épingle couchée, qu'elles poussent chacune à son tour avec une épingle tenue droite : celle qui passe la première son épingle en croix sur celle de sa compagne, gagne une épingle ; et par conséquent, elle ôte une épingle du jeu, d'où vient le proverbe, Tirer son épingle du jeu. Celle qui a perdu remet une nouvelle épingle, et s'efforce de la placer en croix sur l'épingle restée. » Convenons que, dans ce cas précis, il est moins question de limiter les dégâts en sauvant sa mise que de tirer profit d'une action habilement menée.

    Vous l'aurez compris : afin d'éviter tout risque de se faire épingler, mieux vaut encore s'en tenir à l'idée communément admise par les spécialistes de se (re)tirer d'(une) affaire − ou de retirer ses billes, pour rester dans l'univers du jeu.

    (*) « Par une extension contestable, on en est arrivé au sens de "se tirer habilement d'affaire" en réalisant un profit, dont la matérialisation par une simple épingle n'a rien de bien convaincant pour peu que les mots aient encore un sens » (Guide du français correct). Jacques Capelovici semble toutefois oublier que les épingles, aux yeux de ces dames, étaient des biens autrement précieux à l'époque desdits jeux que de nos jours.

    Remarque 1 : Les esprits qui se piquent de psychanalyse ne manqueront pas de trouver à notre expression une connotation sexuelle, l'épingle représentant le sexe masculin qu'il convient de retirer au moment opportun afin d'éviter que le jeu de la séduction ne tourne au drame d'une paternité non désirée.

    Remarque 2 : On notera que l'expression voisine tirer les marrons du feu est l'objet d'une confusion sémantique similaire (voir ce billet).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    C'est vrai que, pour l'instant, le Club Méditerranée est le seul à être bénéficiaire (?).

     

    « Le poids des mots, le choc des formulesUn océan de confusion »

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