• Avec nul, c'est toujours pareil !

    « [Les combattants russes accomplirent la Grande Guerre] avec un courage, une abnégation, des sacrifices à nuls autres pareils en Europe.  »
    (paru sur lemonde.fr, le 7 mai 2015) 

    Fantassins russes (photo Wikipédia)

    FlècheCe que j'en pense


    La locution adjective à nul autre pareil − comprenez : « pareil à nul autre », donc « sans égal, incomparable » − peut-elle varier en nombre ? En genre, l'accord ne fait aucun doute, si l'on en croit le Dictionnaire de l'Académie (1) : « À nul autre pareil, à nulle autre pareille. Une œuvre à nulle autre pareille. » Mais en nombre ? Nul ne risque de le savoir, avec pareil exemple... Autrement vicieuse est la position des éditions Hatier, qui nous obligent à lire entre les lignes du Bescherelle pratique : n'y apprend-on pas que « sans pareil(le) s'accorde en genre et en nombre », alors que « à nul autre pareil s'accorde en genre » ? L'embarras des auteurs devait être grand pour qu'ils s'abstinssent de préciser dans ce dernier cas : « mais pas en nombre »... Force est de constater, une fois encore, que les ouvrages de référence n'ont pas leurs pareils pour esquiver les difficultés quand elles se présentent.

    D'aucuns feront remarquer que des exemples au pluriel se trouvent pourtant dans le TLFi : « un raffinement de procédés à nuls autres semblable » (Mounier) ; « Les vociférations funéraires des femmes de la Méditerranée sont à nulles autres pareilles » (Cendrars) ; « ces liens uniques, à nuls autres comparables » (Martin du Gard) ; « La guerre a des douceurs à nulle autre pareilles » (Péguy). Et aussi dans Le Bon Usage : « La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles » (Malherbe) ; « une douceur et un feu à nul autre pareils » (Philippe Claudel). Mais, sans autres explications, allez donc trouver une logique à ces accords pour le moins divergents. Existe-t-il seulement une règle en la matière ?

    Oui, selon l'Office québécois de la langue française qui, seul, ose se mouiller − fût-ce de façon quelque peu maladroite. Jugez-en plutôt : « Dans l'expression à nul autre pareil, nul s'accorde en genre uniquement avec le nom que remplace le pronom autre, sauf lorsque ce nom ne s'emploie qu'au pluriel. L'adjectif pareil s'accorde en genre et en nombre avec le nom que remplace autre. » Avouez que cela aurait une tout autre allure avec un adverbe uniquement placé de façon à éviter l'ambiguïté d'interprétation (accord uniquement en genre ou uniquement avec le nom ?). Heureusement, les exemples proposés dans la foulée nous aident à comprendre que les accords sont censés se faire comme si le complément de l'adjectif pareil reprenait sa position naturelle : Nous avons vu des expositions à nulle autre pareilles (c'est-à-dire : des expositions pareilles à nulle autre exposition, à aucune autre exposition) mais Il a eu des funérailles à nulles autres pareilles (c'est-à-dire : des funérailles pareilles à nulles autres funérailles, à aucunes autres funérailles, le nom funérailles ne s'employant qu'au pluriel). Toute la difficulté réside, vous l'avez compris, dans le fait que l'adjectif nul, à l'instar d'aucun, ne peut en principe se mettre au pluriel que devant un nom n'ayant pas de singulier (frais, funérailles...) ou prenant un sens particulier au pluriel (gages, soins...). Force est toutefois de constater, avec le TLFi, que les exemples de nuls suivi d'un nom − quel qu'il soit − au pluriel sont loin d'être rares dans la langue littéraire (en souvenir de l'usage classique ?). Thomas a beau s'en offusquer (« On ne dira pas, par exemple : Nuls autres habitants à l'horizon »), l'Académie n'en avait cure jusqu'à encore récemment. Je n'en veux pour preuve que cette phrase de François Guizot − qui date tout de même de 1861 − dénichée sur le site Internet de la vénérable institution : « [La démocratie] ne reconnaît nuls autres droits que les siens. »

    Dans le doute, mieux vaut encore éviter ce genre d'expression un rien emphatique, depuis longtemps dénoncé par Boileau, Voltaire et quelques autres.

    (1) Dans le corrigé d'un exercice de préparation aux concours d'adjoint administratif territorial, Denise Laurent, Véronique Saunier et Bruno Rapatout préconisent toutefois d'écrire : « Cette femme était à nul autre pareil. » Pas sûr que les candidats y gagnent quoi que ce soit...

    Remarque 1 : Seul l'accord dans la citation de Mounier me paraît difficilement justifiable : un raffinement semblable à nuls autres raffinements ?

    Remarque 2 : Autrefois, la langue poétique employait également la variante à nul autre second pour « qui tient le premier rang » : « Et c'est une folie à nulle autre seconde / De vouloir se mêler de corriger le monde » (Molière).

    Remarque 3 : Pour sans pareil, l'usage est à peine moins indécis : accord en genre et en nombre ou, plus rarement, invariabilité (« sans rien de pareil »). Bénédicte Gaillard reste au milieu du gué, en classant ledit tour parmi les « expressions figées (...) toujours au singulier » ! Voir également le billet Pareil

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Un courage, une abnégation, des sacrifices à nul(s) autre(s) pareils en Europe.

     

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  • Commentaires

    1
    theodorus1963
    Lundi 30 Mars 2020 à 01:03
    Souhaite impatiemment découvrir les innombrables secrets de la riche et délicate langue française.
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