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Au pied de la lettre
« Il y a dans cette société [les abattoirs Gad] une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées. »
(Emmanuel Macron, photo ci-contre, au micro d'Europe 1, le 17 septembre 2014)
(photo economie.gouv.fr)
Ce que j'en pense
Le mot illettré s'apparenterait-il à une insulte ? Devant le tollé soulevé par les propos du nouveau ministre de l'Économie, la question mérite d'être posée.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, je ne dis pas : emprunté du latin illitteratus (« illettré, ignorant »), lui-même dérivé de littera (« lettre »), illettré s'employait alors à propos d'une personne qui n'a pas de lettres, entendez qui manque de culture, spécialement de culture littéraire. « Qui n'a aucune connaissance des Belles-Lettres, qui est dans une ignorance crasse », lit-on dans le Dictionnaire de Trévoux. C'est tout dire !
De formation beaucoup plus récente (vers 1970), illettrisme désigne de son côté l'incapacité à lire un texte simple en le comprenant (selon l'Académie et Robert), l'état de ceux qui, ayant appris à lire et à écrire, en ont complètement perdu la pratique (selon Larousse). De là la nuance que d'aucuns font valoir de nos jours entre illettré et analphabète : si les deux mots peuvent à l'occasion être synonymes (avec le sens moderne de « qui ne sait ni lire ni écrire »), il est parfois utile − en sociologie notamment − de distinguer l'illettré, qui peine à lire ou à écrire parce qu'il n’a pas assez pratiqué, de l'analphabète, qui ne sait ni lire ni écrire car il n’a jamais appris.
La « France d'en bas » aurait-elle donc quelque raison sémantique de voir dans les déclarations du ministre une marque de mépris ? Jacques Drillon, dans un article publié dans Le Nouvel Observateur, y va de son conseil : « [Emmanuel Macron] devrait savoir que tout terme désignant un manque, une infériorité (physique, mentale, sociale, pécuniaire), peut être pris en mauvaise part (...) Il apprendra à dire "qui ont un problème d’illettrisme", comme on dit des alcooliques qu’ils ont "un problème d’alcool". » Il faut croire que le politiquement correct et la langue de bois ont encore de beaux jours devant eux...Remarque : La graphie moderne − avec deux l et deux t − ne s'est fixée qu'après de nombreuses hésitations : illétré ou illitéré (Dictionnaire critique de la langue française, Féraud) ; illetré (Dictionnaire de Prévost et Grammaire des grammaires de Girault-Duvivier).
Ce qu'il conviendrait de dire
Gageons que, contrairement à « sans-dents », la formule « sans-lettres » aurait évité à notre ministre pareil gad... in médiatique !
Tags : illettré, illettrisme, emmanuel macron
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