• Au feu !

    Au feu !


    « Il faudra voir sur la durée si des gradins flambants neufs suffiront à repeupler des bancs à moitié déserts » (à propos des stades de football brésiliens).
    (Jason Wiels, sur lepoint.fr, le 11 août 2014)



    FlècheCe que j'en pense

    Autant le préciser d'emblée : les spécialistes de la langue ne parviennent pas à s'entendre sur la façon de traiter l'expression flambant neuf.

    Désaccord sur le sens, d'abord : « Tout neuf », selon Girodet, Larousse et Robert ; « Tout neuf et brillant », selon le TLFi ; « Qui a encore l'éclat du neuf », selon l'Académie. J'avoue ma préférence pour la dernière définition, qui a le double mérite de faire allusion à l'éclat du feu (d'où celui du neuf) et d'admettre l'emploi de tout comme expansion sans verser dans la redondance : Littré n'évoque-t-il pas l'expression populaire un habit tout flambant neuf, entendez « un habit tout neuf et ayant à cause de cela une sorte d'éclat » ? Au figuré, flambant neuf se dit de nos jours de ce qui est tout nouveau, tout récent.

    Désaccord sur la nature des termes, ensuite (et surtout). Selon Dupré, « l'invariabilité de flambant semble acquise dans cette expression. Mais on observera [...] l'indécision de l'usage sur l'accord de neuf, traité tantôt comme adjectif tantôt comme adverbe ». Le linguiste Knud Togeby croit détenir l'explication de ce flottement : « À l'origine on a, dans [l'expression] flambant neuf, un participe présent épithète auquel s'ajoute un adjectif adverbial invariable [comme dans fleurant bon]. Mais flambant neuf a été réinterprété de sorte que flambant est devenu un complément adverbial de l'adjectif neuf, qui est alors accordé avec le nom. » Aussi trouve-t-on : « Des titres de propriété flambant neufs » (Blaise Cendrars) à côté de « Des bâtiments flambant neuf » (André Chamson) ; « Une forteresse flambant neuve » (Julien Gracq) à côté de « Des affiches flambant neuf » (Louis Aragon).

    Damourette et Pichon s’expliquaient mal le choix de l'invariabilité (1) ; gageons pourtant qu'ils n'auraient jamais écrit : une maison fleurant bonne ! Autrement déconcertante me paraît la position des écrivains qui reconnaissent nettement la valeur adverbiale de neuf dans flamber neuf − « Cette autre Église humanitaire qui flambe neuf » (Jules Barbey d'Aurevilly), « Toute cette voûte flambait neuf » (Goncourt), « Les cuivres de la suspension, repassés, flambaient neuf » (Paul Alexis), « Elle flambait neuf derrière le vitrail » (Jean Vautrin), « [Les murs] flambent neuf » (Claude Ollier), « Les quartiers, qui flambent neuf sous leur blanc crépissage » (Jacques Ancel), « La résidence flambait neuf » (Daniel Cohen) −, mais semblent soudain en proie au doute dès lors qu'il est question de flambant neuf.

    La nature de neuf n'est pas, du reste, le seul écueil que nous réserve notre expression. Thomas a beau se montrer prudent (« Flambant est généralement invariable »), Grevisse, rassurant (« Il est rare que le participe varie, surtout en genre »), Larousse, Bescherelle et l'Académie, catégoriques (« Dans cette expression, flambant, employé adverbialement, reste invariable »), les exemples d'accord de flambant, sans être majoritaires, ne sont pas aussi anecdotiques que d'aucuns voudraient nous le faire croire. Jugez-en plutôt : « avec des habits flambants neufs » et « trois costumes de matelots napolitains tout flambants neufs » (Alexandre Dumas) ; « vêtu d'habits flambants neufs » (Théodore de Banville) ; « dans ses cuivres flambants neufs » (Alphonse Daudet) ; « équipements flambants neufs » (Maurice Barrès) ; « tout flambants neufs dans leurs complets de nankin et leurs bottes vernies » (Charles Le Goffic) ; « dans des vers flambants neufs » (Louis Dantin) ; « les bâtiments, alors tout flambants neufs, de notre monastère » (Félix Lecoy) ; « L'Allemagne (...) montre flambants neufs des procédés de gouvernement ailleurs mieux patinés donc dissimulés ? » (André Glucksmann). Les esprits incrédules, qui ne manqueront pas de faire remarquer qu'il s'agit là d'accords au masculin pluriel, moins choquants pour l'oreille qu'au féminin, sont invités à méditer sur les exemples suivants : « paternité flambante neuve » (Honoré de Balzac) ; « une coque de bateau toute flambante neuve » et « les nippes toutes flambantes neuves » (Alexandre Dumas) ; « une superbe casquette de drap bleu, flambante neuve » (Alphonse Toussenel) ; « une blouse bleue, toute flambante neuve » (Eugène de Mirecourt) ; « nombreuses chapelles toutes flambantes neuves » (Paul Verlaine) ; « C'est parce que la "Belle-France" [= un bateau] est flambante neuve » (Gaston Chérau) ; « L... était flambante neuve » (Catherine Breillat). Et c'est à peine si j'ose jeter de l'huile sur le feu en évoquant la « vingtaine de Potez 40 flambants neuf » trouvée sous la plume d'Émile Biasini (2)... Est-il besoin de préciser que les dictionnaires usuels ne s'enflamment guère pour ces exemples embarrassants ? Robert ne laisse le choix qu'entre « maison flambant neuf ou flambant neuve » ; Larousse, entre « voiture flambant neuf ou flambant neuve ».

    Récapitulons : certains écrivains, considérant que l'on est en présence d'une locution figée (donc invariable), n'accordent aucun des deux termes : des vêtements flambant neuf ; d’autres accordent seulement le premier (cas « tout à fait exceptionnel », selon Grevisse, où l'accent est mis sur flambant − vraisemblablement analysé comme un adjectif au sens ancien de « brillant ; éclatant, superbe » − que vient modifier neuf en emploi adverbial) ou, beaucoup plus fréquemment, seulement le second (l'accent est cette fois mis sur neuf, que vient modifier flambant envisagé comme un adverbe au sens de « tout à fait, complètement » [3]) : des habits flambants neuf ou flambant neufs ; d’autres encore, interprétant l'expression comme le rapprochement d'un adjectif verbal et d'un adjectif de sens analogue, implicitement coordonnés, accordent les deux termes : des vêtements flambants neufs.

    Notre affaire, cela ne vous aura pas échappé, n'est pas sans rappeler les hésitations de l'usage pour l'accord de certains adjectifs employés adverbialement : ils sont fin prêts (on trouve fins prêts chez Jules Romains), elle était fin bonne (on trouve fine bonne chez Georges Duhamel), mais ils sont ivres morts, fous furieux. Que voulez-vous, la langue française a ses incohérences qu'il est parfois préférable de ne pas chercher à lever... au risque de mettre le feu aux poudres.

    (1) « Nous nous expliquons mal l'invariabilité du second adjectif dans l'exemple suivant : Il est tout rasé de frais, Jean-Louis, en casquette flambant neuf. (André Chevrillon) » (Des Mots à la pensée, 1934).

    (2) Autre exemple où le premier élément varie et non le second : « Les types de la haute sont tout battants neuf d'équipements » (Henri Barbusse).

    (3) « L'invariabilité de la forme en -ant n'est pas cependant dans ce contexte un indice de la nature verbale de cette forme, car même les adjectifs employés adverbialement dans ce genre de contexte cessent d'habitude de s'accorder », fait à bon droit remarquer Patrick Duffley dans Les Emplois du participe présent en français et en anglais.


    Remarque 1
    : Il faut attendre la neuvième édition (2005) de son Dictionnaire pour que l'Académie reconnaisse au verbe flamber le sens intransitif et littéraire de « briller d'un vif éclat », qu'elle enregistre pourtant à l'article « flambant » de la huitième édition (1935). Voilà qui est pour le moins surprenant quand on sait que cette acception est attestée depuis le XIIe siècle : « Un brant [glaive] nuef et flambant » (Les Quatre Livres des Rois), « Desir entra a flambans estandars » (Alain Chartier, vers 1425), « N'y voir flamber au poinct du jour les roses » (Ronsart, 1552).

    Remarque 2 : D'après Grevisse, « on a d'abord dit (XVIIe s.) tout battant neuf, expression qui, selon Rey et Chantreau, "fait allusion au cuivre fraîchement battu par le chaudronnier". (Tout) flambant neuf s'est introduit ensuite (au début du XIXe s.) et concurrence fortement la première formule. » Vérification faite, tout battant neuf, attesté dans les Curiositez françoises de César Oudin (1640) et dans le Dictionnaire de Furetière (1690), est contemporain de tout flambant neuf, qui figure dans un texte burlesque daté de 1655 (« [Mon habit] tout flambant neuf »), dans l'Histoire de l'admirable don Quichotte de la Manche (1681), ainsi que dans le Grand Dictionnaire français et flamand de François Halma (1733) avec la mention « expression basse et populaire ».

    Remarque 3 : On s'étonne que l'Académie enregistre le tour battant neuf (présenté comme « vieilli ») à l'entrée « battre » de la dernière édition de son Dictionnaire alors que la variante flambant neuf est consignée à l'entrée « flambant » : les Immortels hésiteraient-ils à statuer sur la nature verbale ou adjectivale de la forme en -ant dans nos expressions ?

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    Des gradins flambant neuf ou, plus couramment, flambant neufs (de préférence à flambants neufs).

     

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  • Commentaires

    1
    MataH
    Mercredi 10 Janvier 2018 à 22:35
    Je viens d'avoir cette discussion et défends le "flambant neuf" invariable. Pour moi en effet, flambant est un participe présent et neuf est en fait le nom commun : qui flambe comme le neuf. L'expression devrait donc être invariable.
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    2
    Chambaron
    Dimanche 26 Avril 2020 à 12:07
    Chambaron

    En dehors de la question d'accord, je complète par une petite note étymologique. En travaillant sur la racine indo-européenne *gwher-, on tombe sur la proximité intéressante des mots au Moyen Âge, notamment entre français et anglais.

    Comme évoqué dans votre remarque 1, le mot flamber est intimement lié aux arts de la forge et à celui des épées. Le brant évoqué se retrouve dans les mots français brandir et brandon et notre flambant neuf est passé en brand-new de l'autre côté du Channel. C'est cela qui est devenu le moderne brand, la marque apposée par le forgeron ou le fabricant. 

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